Bernard VORMS

Économiste, ancien président du Conseil national de la transaction et de la gestion immobilières, ancien directeur général de l’Agence nationale pour l’information sur le logement (Anil).

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Le point de vue de l'expert

1. Pour le logement locatif privé, deux leviers peuvent être activés : encourager de nouveaux investisseurs et inciter les détenteurs de logements à les mettre ou à les conserver en location.
2. Restaurer le 1 % dans sa fonction première, le logement des salariés, est une exigence essentielle pour l'ensemble du secteur du logement.

En matière de financement du logement, tous les gouvernements depuis près de trente ans ont fait preuve d'une grande constance en encourageant simultanément l'accession à la propriété, la construction locative sociale et l'investissement locatif privé. À cet égard, les débats entre la droite et la gauche, notamment autour du thème de la France des propriétaires, restent strictement rhétoriques.

Autre élément qui domine les débats entre les acteurs de la filière et les pouvoirs publics, l'idée que, malgré des progrès indéniables, nous serions en présence d'un déséquilibre quantitatif global et même, aux yeux de certains, géographiquement indifférencié, entre la demande et l'offre de logement, donc d'une crise du logement.

Crise économique et baisse des aides publiques

La crise économique et financière a joué un rôle de révélateur. Comment a-t-on surmonté cette épreuve ? En 2008, comme dans la plupart des pays européens, le marché immobilier s'est effondré à la suite de la crise des crédits subprime. Alors que l'économie française subit en 2009 la récession la plus importante d'après-guerre, la demande s'évanouit et les dépenses consacrées au logement se contractent fortement. Cependant, à la différence de nombreux pays, les emprunteurs ne sont pas bousculés : le taux des défaillances et le nombre de saisies augmentent très peu. Même la dégradation de l'emploi n'a, jusqu'à présent, pas eu d'effet notable, du point de vue des établissements de crédit, sur les remboursements. C'est sans doute en partie parce que le chômage touche d'abord les jeunes et les titulaires d'emploi précaire, lesquels sont plutôt locataires.

Le plan de relance de 2009 permet d'affiner le diagnostic. Il joue sur les mêmes leviers : un effort exceptionnel de construction locative sociale, des aides puissantes et coûteuses, tant à l'investissement locatif qu'aux plus modestes des primo-accédants, lesquels financent totalement leur opération par l'emprunt. Conclusion : le système de crédit est sain et son caractère trop restrictif est compensé par l'importance des aides publiques (près de 2 % du PIB) 1.

Il reste que les problèmes qui se posent sont les mêmes qu'avant le début de la crise : la situation se caractérise avant tout par une très forte progression de l'effort supporté par les plus modestes pour se loger, le phénomène des mal-logés, qui est d'une autre nature, et une mauvaise répartition géographique de l'effort public, qui ne parvient pas à juguler le déséquilibre quantitatif de certains marchés. S'ajoutent à cela les difficultés, particulièrement accusées en France, auxquelles font face les outsiders, les nouveaux arrivants, principalement les jeunes et ceux qui bougent, les " mobiles ".

Or, le changement qui s'annonce menace profondément cet équilibre : après l'épreuve de la crise vient celle de la baisse des aides publiques. L'aide à l'investissement locatif doit être supprimée en 2013 et les aides à l'accession passent dès 2012 de 2,6 milliards d'euros à 800 millions, heureusement maintenus sur le seul logement neuf. Quel en sera l'effet sur la production de logements neufs, d'une part, et, d'autre part, le logement sera-t-il en mesure de jouer son rôle macroéconomique dans le soutien de l'activité ?

Quelles sont les propositions de la FFB ?

D'abord, définir une fiscalité de droit commun attractive pour le locatif privé. Commençons donc par le parc locatif privé, qui est à 95 % entre les mains de personnes physiques. Comme dans la plupart des pays, les investisseurs institutionnels ont déserté le champ du logement dans les années 1980. En France, les personnes physiques ont pris le relais des institutionnels, et il semble bien que ce soit un effet des incitations mises en place dans les années 1980. Le parc locatif privé français s'est accru d'un million et demi d'unités entre 1988 et 2006, il représente aujourd'hui 22 % environ de l'ensemble des résidences principales, retrouvant ainsi, à peu de choses près, la part qui était la sienne en 1984.

Inciter fiscalement les investisseurs

Sans incitation financière ou fiscale, qui investira dans le logement neuf alors que les rendements locatifs sont au plus bas ? Deux leviers peuvent être activés : encourager de nouveaux investisseurs et inciter les détenteurs de logements à les mettre, ou à les conserver, en location. Les investisseurs personnes physiques n'ont assurément pas les mêmes critères d'arbitrage que les institutionnels, mais ils se montrent très sensibles aux incitations financières ou fiscales. Une critique souvent faite aux aides à l'investissement locatif est leur relative cécité géographique, même si l'exemple ressassé de Montauban n'est pas représentatif d'une part importante de ces investissements. Ces dérives constituent la preuve même du pouvoir incitatif des aides fiscales.

Il me semble que le système proposé par la FFB, qui a pour but d'améliorer les rendements locatifs, le fait en valorisant la stabilité. Il décourage les comportements d'investissement « nomade » et encourage, a contrario, la détention longue. C'est ainsi qu'on conduira l'investisseur à s'intéresser plus au logement et à sa localisation qu'à la carotte fiscale.

Utiliser le 1 % pour loger les salariés

En ce qui concerne l'autre proposition de la FFB, restaurer le 1 % dans sa fonction première, le logement des salariés, il s'agit là d'une exigence essentielle pour l'ensemble du secteur du logement.

Il est d'autant plus important pour les partenaires sociaux de préserver les moyens réunis par Action Logement afin de répondre aux besoins en logement des salariés que les aides publiques sont appelées à se réduire.

Il n'est pas choquant qu'un prélèvement devenu obligatoire depuis 1953 contribue à financer des programmes d'intérêt général liés au logement. Mais le réduire à un simple budget annexe du ministère du Logement risque de le condamner à terme. Comment défendre une cotisation des entreprises destinée à loger les salariés lorsqu'elle ne remplit plus cet office que de façon très marginale ? Or, abandonner le lien entre la préoccupation du logement des salariés et le 1 %, c'est le condamner à terme et abandonner le fléchage des moyens financiers dont il dispose vers le logement. Ce serait un coup de plus porté à l'équilibre du système de financement du logement décrit précédemment.

Le 1 % peut assurément jouer un rôle essentiel pour favoriser l'accès au logement de ceux qui sont défavorisés par le modèle français, principalement les jeunes, mais aussi ceux que leur vie professionnelle contraint à la mobilité. Les objectifs sont faciles à énoncer, mais les moyens pour les atteindre restent à définir. Le défi reste à relever.

Reste le domaine de l'accession. À ce sujet, la principale critique que l'on peut faire à la FFB, c'est... de ne pas faire de proposition !

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2012-3/le-point-de-vue-de-l-expert.html?item_id=3166
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Crise du logement en France : présentation du point de vue de l'expert quant à la situation du logement en France : logement locatif et logement des salariés.