© Michel Labelle

Guillaume POITRINAL

est président du directoire d’Unibail-Rodamco.

Michel GOSTOLI

est président d’Eiffage Construction.

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Les réactions des professionnels

Guillaume Poitrinal : « Finançons mieux et allons plus vite ! »

À l'heure de la contraction du crédit et de la crise économique, le rôle des sociétés d'investissement immobilier cotées (SIIC) peut être important car elles vont continuer à investir. Il faudrait toutefois que la réalisation des projets en France puisse être accélérée...

 On a noyé la crise, il y a un an, par une espèce d'avalanche de liquidités. Aujourd'hui, cette liquidité est en train de devenir de plus en plus rare et elle va continuer à se réduire, au fur et à mesure du rétrécissement prévisible du bilan des banques, puisque la réponse aux excès de Lehman Brothers a été - très intelligemment - de contraindre nos banques et de réduire leur capacité d'investissement.

À partir de là, la question qui se pose et va se poser à l'industrie du bâtiment, c'est donc celle des financements. Les promoteurs isolés vont avoir beaucoup de mal à financer leurs projets, notamment les projets en blanc, parce que le crédit bancaire va être de plus en plus rare. Les entreprises seront touchées également, car les banques vont moins leur prêter. 

Le rôle de l'immobilier en Bourse

L'immobilier en Bourse peut apporter une réponse absolument considérable. En effet, les sociétés d'investissement immobilier cotées, les SIIC, ont 50 milliards d'euros de capitalisation boursière et sont à l'origine de projets totalisant 17 milliards d'euros en France et 25 milliards d'euros en Europe. Ces SIIC sont présentes absolument partout, sur tous les projets significatifs. Euralille, l'aéro-ville de Roissy, les développements d'Orly, la transformation du Forum des Halles, la future tour de la Porte de Versailles, à Paris, Lyon Confluence, Euromed... : ces projets énormes sont aujourd'hui portés par des sociétés d'investissement cotées qui continuent et vont continuer à investir.

On a souvent critiqué ces structures en disant qu'elles ne paient pas d'impôt. Alors qu'elles paient de l'impôt, comme des sociétés civiles de placement immobilier (SCPI) ou des organismes de placement collectif immobilier (OPCI). Il y a un seul niveau d'imposition, mais elles doivent distribuer un dividende qui est égal, et parfois même supérieur, à leur profit ! Le gros avantage des SIIC est qu'elles sont cotées et, par rapport à des véhicules de rente comme les SCPI et les OPCI, les SIIC sont des promoteurs intégrés parce qu'il se trouve qu'en Bourse, on ne peut pas se contenter d'être uniquement un instrument de rente. Et que l'institutionnel - et même le particulier -, qui investit en Bourse n'a pas de raison d'investir s'il n'y a pas de projets.

 Accélérer les projets

 Notre secteur est confronté à un second défi : celui du temps. Notre pays est engagé dans une grande phase de ralentissement. La réalisation de nos projets d'infrastructure prend souvent entre 10 et 15 ans, pas seulement pour construire une tour à la Défense ou un grand centre commercial, mais aussi pour un rond-point, une école ou un logement social.

La totalité des logements sociaux à Paris est attaquée en justice. Nous avons le record de la bureaucratie préalable, avec un Code de l'urbanisme qui fait 3 000 pages, qui prend entre 80 et 250 pages par an et nous avons ensuite le record de la lenteur de la justice. Il y a des centaines de milliers d'emplois à gagner uniquement en permettant à la France d'accélérer un peu et de retrouver un rythme adéquat avec le challenge de la modernisation. Il n'est pas normal que, depuis 1992, sur l'île Seguin, à Boulogne-Billancourt, on ne produise plus de voitures et que tout soit en friche. Il n'est pas normal qu'il n'y ait plus de trains, gare d'Auteuil à Paris, depuis 1985... Il est temps de réveiller la France et d'avoir des projets qui vont plus vite !

Michel Gostoli : « Luttons contre la gangrène des recours »

Pour tous les acteurs de la construction, l'empilement des normes et réglementations diverses constitue un important sujet de préoccupation. Il faudrait les réviser, voire en prescrire certaines et veiller à ce que l'administration n'en donne pas des interprétations divergentes. Il faudrait aussi mettre un terme à l'inflation des recours abusifs contre les permis de construire.

 Le vaste sujet de la normalisation et de la réglementation m'inspire trois constats : un malaise, des contradictions et une grande rigidité.

 Malaise, pourquoi ?

 Il y a une grande confusion quand on parle de normalisation et de réglementation car nos professions, qu'elles soient immobilières, d'aménagement ou de construction, souffrent d'un trop-plein dans ces deux domaines.

On dénombrerait plus de 5 000 normes dans le bâtiment. On pourrait donc penser que des mesures sont prises, soit pour réviser ces normes, soit pour décider de la prescription de certaines d'entre elles qui sont très anciennes. Il n'en est rien, c'est de là que vient le malaise. Je vous laisse imaginer les compétences que doit déployer le chef de projet qui construit la tour Majunga à la Défense, dans tous les domaines qui touchent à l'urbanisme, à la construction, aux calculs, etc. Il est obligé d'être adossé à une kyrielle de spécialistes et de juristes et sa tâche est extrêmement complexe.

 Contradictions et différences ou excès d'interprétation

 On bute sur une autre problématique, c'est que vous pouvez avoir, par exemple dans le domaine fiscal, des interprétations d'une règle ou d'une norme qui vont être différentes selon les administrations, mais aussi au sein de la même administration ! Un exemple ? Pour répondre à la problématique du logement en Ile-de-France, Eiffage propose, entre autres mesures, de transformer les bureaux qui sont obsolètes en logements quand c'est possible. Or, pour un certain nombre de projets dont l'administration fiscale a été saisie afin de savoir si ces immeubles réhabilités pouvaient répondre aux conditions d'application de la loi Scellier, l'administration fiscale, saisie dans trois endroits différents, a apporté trois interprétations différentes.

 La rigidité et le délai d'arbitrage

 Deux exemples parmi bien d'autres : dans une restructuration en remembrement de quartier, si au sein de ce quartier a été créé, il y a cinquante ans ou plus, un lotissement, l'aménageur est confronté aux règles de ce lotissement qui depuis sont devenues complètement obsolètes, mais ne peuvent absolument pas être contournées pour autant ! Cela induit, évidemment, une perte de temps incroyable, c'est pourquoi on devrait envisager des cas de prescription, c'est-à-dire que certaines décisions, normes ou réglementations puissent être abrogées.

L'exemple des ascenseurs est, lui, positif. Pour tous les bâtiments de plus de cinq étages, la construction de deux ascenseurs devait devenir obligatoire. Heureusement, grâce à une procédure de concertation, l'administration a reculé.

Un dernier point : notre pays souffre aujourd'hui d'une véritable gangrène, d'un mal profond, ce sont les recours sur les permis de construire. En effet, une grande majorité de projets qui sont lancés aujourd'hui donnent lieu à des recours pour des raisons diverses et « avariées » qui sont absolument incroyables et portent un frein au développement de ce projet, mais aussi au développement de notre économie et de l'emploi. Il faudrait que le législateur prenne des décisions fortes pour punir les recours abusifs, ce que la FFB et Eiffage défendent fortement.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2012-3/les-reactions-des-professionnels.html?item_id=3160
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