Laurent WAUQUIEZ

 Député et maire du Puy-en-Velay (Haute-Loire) et ancien ministre.

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Le fardeau du logement

Historiquement, le logement était le grand facteur de stabilité des classes moyennes. Aujourd'hui, il incarne la peur du déclassement. Il est en effet de plus en plus difficile d'accéder à la propriété pour les jeunes ménages, pour qui trouver un logement locatif relève également souvent du parcours du combattant.

Le logement est devenu la mère de toutes les batailles. C'est sur ce front que les classes moyennes ont laissé le plus de forces. Devenir propriétaire, et souvent même locataire, est devenu un parcours d'obstacles. Payer son loyer ou rembourser un emprunt immobilier pèse de plus en plus lourd dans un budget. Comment, avec un logement qui absorbe la moitié des dépenses contraintes, imaginer mettre de l'argent de côté et envisager l'avenir avec confiance ? Le logement est devenu le talon d'Achille des classes moyennes. Or, il apporte plus que jamais une protection contre les aléas de la vie. C'est un rempart en cas de coup dur et une sécurité pour la retraite. On se constitue un patrimoine que l'on pourra transmettre à son tour à ses enfants. S'installer dans son logement, c'est un moment clé dans le parcours d'une famille.

Une double exclusion

Les classes moyennes sont victimes d'une double exclusion.

D'un côté, elles n'ont plus les moyens d'acheter dans les grandes villes. Le marché du logement est désormais le moteur d'une sorte de centrifugeuse sociale qui les repousse vers les marges de la ville. Au centre, et notamment à Paris, restent avant tout les plus riches dans de beaux appartements et les plus modestes en logement social.

D'un autre côté, elles n'ont pas accès à la majorité des aides sociales sous conditions de ressources. Elles sont au-dessus des plafonds des aides personnelles au logement, même quand leur salaire se situe au niveau du smic. Et, alors qu'elles sont théoriquement éligibles pour les HLM1, dans les faits, elles sont rarement prioritaires. Pourtant, dans les grandes villes, la différence de loyer peut varier du simple au triple entre le parc social et le parc privé.

Paris est de ce point de vue un superbe symbole de l'abandon des classes moyennes. La mairie est tout simplement en train de vider la ville de ses catégories intermédiaires, non sans arrière-pensées électoralistes. Elle a racheté à prix d'or les immeubles du parc privé pour les transformer en logements sociaux. Pourquoi pas ? Le problème est que ces logements sociaux sont ensuite destinés quasi exclusivement aux catégories les plus modestes. 80 % d'entre eux ont été attribués à des personnes touchant moins de 40 % du plafond de ressources, qui est de près de 52 000 euros de revenu fiscal de référence pour une famille avec deux enfants. Coût des opérations : plus d'un milliard d'euros en dix ans. Cette politique « sociale » n'est d'ailleurs que le paravent de l'installation massive dans Paris des catégories les plus aisées. Et pour les logements intermédiaires ? Et pour les classes moyennes ? Rien, et même pire que cela : la préemption exercée par la municipalité a alimenté la spéculation immobilière et fait fuir l'offre privée de logements locatifs. Aujourd'hui, pour une famille de classes moyennes, se loger dans Paris, même avec des revenus relativement confortables, est devenu inaccessible. On sait ce que cela implique ensuite en termes de trajets et de fatigue dans les transports en commun.

Une crise à plusieurs facettes

La crise du logement a plusieurs visages qui ne cessent de resurgir. Force est d'abord de constater que les prix de l'immobilier et leur évolution ne correspondent en aucune façon à la qualité des logements. Une étude d'Eurostat révèle que, si les conditions de logement en France restent « bonnes », elles sont de qualité inférieure à celles observées au Royaume-Uni, en Irlande, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Scandinavie ou en Espagne2.

De même, le taux de propriétaires dans la population exprime bien les difficultés qu'éprouvent les classes moyennes. Si 65 % des Européens sont propriétaires de leur logement, c'est le cas de tout juste 57 % des Français. Nous nous plaçons ainsi à la 22e place sur 27.

Les prix de l'immobilier constituent une autre spécificité française. La capacité des Français à se porter acquéreur de leur habitation ne cesse de diminuer sur le long terme. Certes, les prix de l'ancien ont reculé de 1,1 % au premier trimestre 2012, mais ils restent bien supérieurs aux prix du printemps 2011. À Paris ou Rennes les prix ont encore augmenté de 7 % en trois mois, de 5 % à Lyon. Bonne ou mauvaise nouvelle ? Le patrimoine des 57 % de Français propriétaires s'accroît, mais les chances des 43 % restants d'accéder à la propriété s'amenuisent. L'augmentation des prix incite les Français à investir dans la pierre, c'est-à-dire à utiliser leur épargne pour rénover, pour construire. Encore faut-il ne pas les en dissuader. Si les différents types de prêts à taux zéro ont été un coup de pouce important pour les ménages voulant se porter acquéreur d'un logement, la crise de ces dernières années nous a appris à être très prudent dans la gestion du crédit et des taux d'intérêt. Nous l'avons notamment vu aux États-Unis : des taux d'intérêt extrêmement bas durant des années, et ce sont des ménages surendettés et une bulle immobilière qui se forme, une économie entière qui menace de s'effondrer. Il faut donc aussi envisager des politiques permettant l'augmentation des mises en chantier, réfléchir à d'autres moyens d'accéder à la propriété.

Enfin, et nous arrivons au noyau dur du problème : depuis le début des années 2000, les salaires ne suivent plus la fuite en avant des prix de l'immobilier. Le phénomène est encore plus vicieux que cela : selon le Crédoc, 500 000 personnes ont renoncé à un emploi en raison de difficultés de logement3.

Changer de méthode : développer l'offre

Établir des diagnostics ne suffit pas ; que propose-t-on ? Depuis une vingtaine d'années, le problème a été pris à l'envers. Tous nos efforts ont été concentrés sur la demande. On a essayé d'accompagner les ménages. L'idée partait d'une bonne intention, mais elle n'a fait que nourrir l'emballement de la machine.

Avec la Droite sociale, nous avons lancé la réflexion sur les solutions à apporter à cette crise. Nos propositions sont fondamentalement tournées vers l'offre. Rien ne se fera sans constructions nouvelles. Un des leviers importants pour libérer l'offre, c'est de fluidifier la réglementation de la construction en France. Il faudrait se livrer à un toilettage complet et accorder beaucoup plus de marges de manœuvre au maire pour construire. Je propose que soit entrepris un vaste travail de simplification qui rende la tâche plus facile aux élus locaux pour libérer les terrains. De ce point de vue, l'Angleterre a fait un choix radical que nous pourrions expérimenter. Le principe est le droit à la construction, et le refus, l'exception.

Pour éviter que la pression électorale n'entre en ligne de compte, les maires qui le souhaitent devraient aussi pouvoir renvoyer aux services de l'État l'instruction de dossiers qu'ils ne parviennent pas à faire passer seuls. Par exemple, certaines communes dans la périphérie directe des grandes villes comme Paris continuent d'avoir une densité déraisonnablement basse, avec uniquement des petites maisons, au lieu d'immeubles à quatre ou cinq étages. Les maires sont en position très difficile pour densifier l'habitat, car ils courent le risque de se mettre à dos leurs habitants. Et pourtant il serait conforme à l'intérêt général de pouvoir offrir plus de logements dans ces secteurs, au lieu de repousser la population sans cesse plus loin. Le maire ne peut régler seul ce problème.

Repenser les critères d'accès au logement social

En ce qui concerne les logements sociaux, le travail à fournir est là aussi conséquent. Si nous ne pouvons que nous réjouir que les seuils aient volontairement été pensés assez hauts pour que les classes moyennes puissent y accéder (64 % des ménages français sont éligibles à un logement social), au moins comme tremplin et dans le cadre d'une politique de mixité sociale, il serait intéressant de ne pas tout miser sur les sacro-saints critères de revenu. Ne peut-on pas s'inspirer du modèle anglais de choice based letting, où l'on décide de privilégier en alternance ou bien les travailleurs ou bien les familles ? Il faut absolument veiller à ce qu'il y ait toujours des représentants des classes moyennes dans l'attribution des logements sociaux, ce qui constitue à la fois un droit pour les classes moyennes et une chance pour la diversité sociale.

Le problème est qu'aujourd'hui, dans les critères prioritaires d'attribution, l'accès à l'emploi ne figure pas du tout. La conséquence concrète, ce sont ces travailleurs qui se ruinent en frais de transport et d'essence, voire sont obligés de refuser un emploi parce qu'ils ne pourront pas se loger à proximité. C'est particulièrement le cas dans les grandes agglomérations où le logement social est en tension. À Paris, par exemple, quelqu'un qui décroche un contrat en apprentissage dans une boulangerie n'a aucune chance de trouver un logement. Il en est de même d'une infirmière, d'un chauffeur de taxi ou d'un vendeur de magasin.

Ma proposition en la matière correspond à une conception de fond. On ne fait pas de politique sociale en oubliant les travailleurs. Le social en France a été trop souvent construit sur la seule aide aux plus pauvres. Je ne dis pas qu'il faut cesser de les soutenir, mais je préconise simplement d'ajouter aux critères de priorité des questions liées à l'emploi : la distance du lieu de travail, le rapprochement du conjoint, qui n'est pas une mince affaire, les modes de garde pour les enfants aussi. Une infirmière qui vit seule, qui a deux enfants, des horaires atypiques et gagne 1 300 euros, il faut bien tenir compte de sa situation !

Il est également nécessaire d'exiger des bailleurs sociaux, en échange des avantages dont ils jouissent, comme la TVA à 5,5 %, l'exonération de l'impôt sur les sociétés et de la taxe foncière, qu'ils construisent et ne soient pas uniquement des gestionnaires d'un bâti déjà existant. Enfin, on pourrait proposer de faire accéder à la propriété certains occupants de logements sociaux.

Agir sur le logement doit être une priorité. La fabrique à déclassement est là. Diminuer le poids de cette redoutable ponction est l'urgence pour les classes moyennes. Il faut avoir le courage de secouer quelques corporatismes et de remettre notre système à l'endroit, avec une seule priorité : construire les logements que les familles attendent. Inverser la donne n'est pas une simple question budgétaire ou matérielle. Il ne s'agit pas que de mètres carrés, il s'agit de redonner de la stabilité et de l'espoir en l'avenir à des classes moyennes trop souvent laissées-pour-compte dans la politique du logement.

  1. François Cusin et Claire Juillard, Le logement, facteur d'éclatement des classes moyennes ?, CFE-CGC, novembre 2009.
  2. http://epp.eurostat.ec.europa.eu/cache/ITY_PUBLIC/3-23022011-BP/FR/3-23022011-BP-FR.PDF.
  3. Consommation et modes de vie, n° 240, Crédoc, juillet 2011.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2012-11/le-fardeau-du-logement.html?item_id=3292
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