Julien DAMON

Rédacteur en chef de Constructif.

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Logement : une grande disparité de situations

La forte amélioration de la qualité des logements des classes moyennes au cours des vingt dernières années ne doit pas masquer la persistance de disparités non négligeables. Globalement, leurs segments intermédiaires et inférieurs ressentent une pression accrue des dépenses contraintes de logement.

Les classes moyennes, auxquelles s'identifient majoritairement les Français, rassemblent les individus situés entre les moins bien lotis et les plus fortunés. Ces classes moyennes méritent leur pluriel, d'abord parce qu'elles sont hétérogènes. Elles le méritent aussi car les diverses études ne prennent pas en considération les mêmes définitions ni les mêmes périmètres1. Par conséquent, pour évoquer l'évolution des situations des classes moyennes, il faut toujours bien préciser de quoi on parle. Pour traiter des situations de logement et des statuts d'occupation, on s'appuiera sur deux sources de données, l'Insee et le Crédoc, et sur un critère économique de définition et de ventilation des classes sociales : les niveaux de vie.

Amélioration générale des conditions

Une première observation, si l'on prend en considération les résultats des enquêtes Logement de l'Insee, tient dans l'amélioration de la qualité des logements pour toutes les catégories de la population. On sépare la population en cinq catégories de tailles égales, représentant donc chacune 20 % de l'ensemble. Ces cinq quintiles vont du moins aisé (Q1 : les 20 % les moins riches) au mieux loti (Q5 : les 20 % les plus aisés). On peut - c'est une convention - considérer que Q2 rassemble les classes moyennes inférieures, Q3 les classes moyennes intermédiaires, et Q4 les classes moyennes supérieures.

Dans les cinq cas, il y a croissance de la proportion des ménages disposant des équipements de base (eau, sanitaires, chauffage central). La tendance est au rattrapage des ménages les plus aisés. La proportion de ceux qui disposent des équipements de base passe en effet, sur une vingtaine d'années (1988-2006), de 88 % à 97 %. Les moins bien lotis gagnent, en l'espèce, 32 points, les classes moyennes inférieures 22 points et les classes moyennes intermédiaires 17 points.

PROPORTION (EN %) DE MÉNAGES ÉQUIPÉS EN EAU, SANITAIRES ET CHAUFFAGE CENTRAL EN FONCTION DU NIVEAU DE VIE

Source : Gabrielle fack, « L’évolution des inégalités entre ménages face aux dépenses de logement (1988-2006) », Informations sociales, n° 155, 2009, p. 70-79.

Cette forte amélioration ne doit pas masquer les disparités qui persistent. Si l'on se penche sur le caractère confortable ou non du logement, les différences demeurent marquées. Sont dits « inconfortables » par l'Insee les logements de mauvaise qualité ou de surface trop petite. La qualité du logement répond à un ensemble de critères, comme la disponibilité d'eau courante et la puissance du chauffage, mais aussi l'humidité ou la lumière. En 2006, les 20 % les mieux lotis ne sont que 5 % à vivre dans un logement inconfortable. C'est le cas de 28 % des plus défavorisés. Au sein des classes moyennes, les ménages des classes moyennes inférieures sont deux fois plus nombreux (18 %) à être dans cette situation que les ménages des classes moyennes supérieures. On repère ici un décrochage des classes moyennes inférieures, qui se regroupent plus avec les catégories les moins favorisées qu'avec les autres strates des classes moyennes.

PROPORTION (EN %) DE LOGEMENTS INCONFORTABLES EN FONCTION DU NIVEAU DE VIE EN 2006

Source : insee, enquête Logement, 2006.

Stagnation de la part des propriétaires

La proportion des propriétaires de leur logement (aujourd'hui, en population générale, moins de six ménages sur dix) apparaît à la baisse (ou à la stagnation si l'on veut être plus juste) parmi les classes moyennes. Pour la mesurer, on passera par des exploitations qui ont été faites de l'enquête barométrique du Crédoc sur les « Conditions de vie et aspirations des Français »2. Comme aucune définition des « classes moyennes » ne fait l'unanimité, il a été décidé, dans ce cadre, de les placer entre, d'une part, les « hauts revenus » et les « aisés » (les 20 % de la population aux revenus les plus élevés), et d'autre part les « bas revenus » (les 30 % de la population aux revenus les plus faibles, rassemblant les ménages défavorisés et les classes populaires). En dynamique, on repère nettement que la situation de ces classes moyennes tend à ressembler davantage à celle des bas revenus qu'à celle des hauts revenus.

En 1990, plus de la moitié des individus appartenant aux classes moyennes se déclaraient propriétaires de leur logement. Ils sont minoritaires vingt ans plus tard. On est là au seuil de la significativité statistique. Il y a probablement plutôt stagnation que mouvement clair. En revanche, pour les catégories aisées et pour les hauts revenus (les 10 % les mieux lotis), on est passé, entre 1980 et 2008, respectivement de 51 % et 54 % à 65 % et 75 %. Dit autrement, alors que pour les classes moyennes la proportion de propriétaires a stagné autour de la moitié, elle est passée d'une moitié aux deux tiers pour les catégories aisées, et des deux tiers aux trois quarts pour les hauts revenus.

PROPORTION D'INDIVIDUS PROPRIÉTAIRES DE LEUR LOGEMENT (EN %)

Source : Crédoc.

Les données tirées des enquêtes Logement de l'Insee procurent des informations tout à fait similaires. Une augmentation moyenne, entre 1988 et 2006, de la proportion de propriétaires (de 54 % à 57 %) masque des divergences, avec une concentration de la propriété parmi les plus favorisés, tandis que la situation des classes moyennes n'a pas significativement évolué. Il y a là un point d'importance, pour caractériser une forme de déclassement dans le temps, dans la mesure où l'accession à la propriété est couramment envisagée comme une aspiration forte des classes moyennes.

ÉVOLUTION DU STATUT DE PROPRIÉTAIRE (EN ACCESSION OU NON) EN FONCTION DU NIVEAU DE VIE (EN %)

Source : Gabrielle fack (2009), d’après les enquêtes Logement de l’insee.

Une pression budgétaire ressentie lourdement

Être propriétaire ou locataire ne dit pas grand-chose, a priori, des coûts de son logement et de la part de son budget qu'un ménage y affecte. S'il y a stagnation de la proportion des classes moyennes propriétaires, il y a une progression de la part des individus issus de ces classes moyennes qui estiment que leurs dépenses de logement sont une charge trop lourde à laquelle ils ne peuvent, pour certains d'entre eux, plus faire face. Les informations importantes ne sont pas les données absolues, mais les comparaisons avec d'autres catégories sociales. Les personnes défavorisées et les personnes comptées dans les classes populaires ont vu leurs dépenses de logement constituer une charge toujours plus lourde (relativement). Il en va de même pour les classes moyennes inférieures qui, de 1980 à 2008, ont vu la proportion de personnes estimant ces charges problématiques passer de 41 % à 50 %, tandis que pour les hauts revenus elle passait de 28 % à 21 %. Il y a là illustration, d'un côté, du rapprochement entre classes défavorisées et classes moyennes, et, de l'autre côté, du relatif décrochage d'avec les hauts revenus.

Dans la même veine de données, on observe des mouvements globalement similaires au sujet des restrictions qu'indiquent s'imposer des ménages en ce qui concerne leurs dépenses de logement. Sur ce point, les plus favorisés n'ont pas vraiment vu leur situation s'améliorer (sur trente ans il y a toujours, seulement, 7 % ou 8 % des hauts revenus qui déclarent de telles restrictions). En revanche, pour les classes moyennes inférieures, la part des individus déclarant restreindre leurs dépenses de logement a gagné 14 points entre 1980 et 2008.

PROPORTION D'INDIVIDUS DÉCLARANT QUE LEURS DÉPENSES DE LOGEMENT CONSTITUENT UNE CHARGE LOURDE OU TRÈS LOURDE OU À LAQUELLE ILS NE PEUVENT FAIRE FACE (EN %)

Source : Crédoc.

Ce sentiment de contraintes pesant davantage sur les budgets du logement ne s'explique qu'en partie par un accroissement de la qualité de ces logements. L'effet prix est très important. En effet, au cours des trente dernières années, le prix réel (corrigé de l'inflation) des logements anciens a été multiplié par deux, tandis que les loyers progressaient de 30 %. Alors que, jusqu'à la fin des années 1990, le prix du logement avait augmenté, globalement, au même rythme que le revenu moyen des ménages, le lien s'est rompu depuis la décennie 20003. Il y a donc une distorsion grandissante entre les coûts du logement (en particulier pour les ménages primoaccédants, souhaitant acquérir pour la première fois un logement) et les revenus. Et ces coûts du logement ont davantage progressé, proportionnellement, pour les plus pauvres que pour les plus riches.

PROPORTION D'INDIVIDUS DÉCLARANT S'IMPOSER DES RESTRICTIONS SUR LEURS DÉPENSES DE LOGEMENT (EN %)

Source : Crédoc.

Des taux d'effort en hausse pour les plus modestes

Afin d'évaluer l'importance des coûts du logement par rapport au budget des ménages, on peut prendre en considération un taux d'effort des ménages qui mesure la part du revenu consacré aux dépenses de logement.

TAUX D'EFFORT NET (EN %) EN FONCTION DU NIVEAU DE VIE. ACCÉDANTS À LA PROPRIÉTÉ

Source : Gabrielle fack (2009), d’après les enquêtes Logement de l’insee.

Pour les accédants à la propriété, les catégories les plus modestes ont connu une augmentation de 8 points de leur taux d'effort, contre 2 ou 3 pour l'ensemble des quatre autres quintiles de la distribution des revenus.

Pour les locataires (dans le secteur libre), les taux d'effort n'ont pas évolué pour les plus favorisés, mais ils ont fortement augmenté (+ 11 points) pour les moins aisés. Ces taux d'effort ont également fortement augmenté pour les classes moyennes inférieures (Q2) et pour les classes moyennes intermédiaires (Q3).

TAUX D'EFFORT NET (CHARGES COMPRISES, EN %) EN FONCTION DU NIVEAU DE VIE. LOCATAIRES DU SECTEUR LIBRE

Source : Gabrielle fack (2009), d’après les enquêtes Logement de l’insee.

Quelle leçon générale tirer ? Les classes moyennes, en particulier leurs segments intermédiaires et inférieurs, se sont rapprochées, pour ce qui a trait aux évolutions de leurs contraintes financières de logement, des catégories défavorisées. Leurs dépenses contraintes, que l'on dit aussi non arbitrables, pré-engagées, pèsent puissamment sur leur budget. L'augmentation passée et, pour certains postes (énergie notamment), très probablement encore à venir des budgets liés au logement (loyers, prêts, eau, gaz, électricité, mais aussi assurances et impôts) est l'un des principaux moteurs de la pression ressentie et vécue par les ménages des classes moyennes.

  1. Pour deux perspectives différentes, parues dans la même collection d'ouvrages, voir Louis Chauvel, Les classes moyennes à la dérive, Seuil, 2006 ; Dominique Goux et Éric Maurin, Les nouvelles classes moyennes, Seuil, 2012.
  2. Voir les importants travaux de Régis Bigot, « Les classes moyennes sous pression », Consommation et modes de vie, n° 219, 2009 ; Fins de mois difficiles pour les classes moyennes, Éditions de l'Aube, 2010.
  3. Voir les différents travaux de Jacques Friggit.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2012-11/logement-une-grande-disparite-de-situations.html?item_id=3291
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