Julien DAMON

Rédacteur en chef de Constructif.

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Niveaux de vie faibles, conditions de vie difficiles

Terres de contrastes sociodémographiques, les outre-mer se distinguent par des niveaux de vie moyens bien plus faibles qu’en métropole, une pauvreté nettement plus élevée et des conditions de vie relativement dégradées. Les conditions de logement préoccupent, notamment pour ce qui relève de l’habitat indigne et des bidonvilles. S’ajoutent au panorama une délinquance et une criminalité qui inquiètent.

« Il me semble que la misère serait moins pénible au soleil », chantait Charles Aznavour. La phrase a probablement sa part de vérité. Il n’en reste pas moins, au-delà des images de carte postale, une intensité et des réalités particulières de la pauvreté en outre-mer. Les niveaux de vie y sont significativement moins élevés que dans l’Hexagone, dans un contexte où la vie est généralement chère. Les conditions de vie peuvent paraître, toujours au travers des cartes postales, agréables, voire idylliques, même si tout l’outre-mer ne se situe pas au soleil. Elles restent dégradées par rapport à la métropole. Surtout, en termes de logement, les difficultés, qui vont de l’habitat insatisfaisant à la prolifération des bidonvilles (en Guyane et à Mayotte), atteignent des dimensions tout à fait problématiques.

Mesures et démesures de la pauvreté en outre-mer

Selon que l’on opte pour un calcul national ou local de la pauvreté, celle-ci varie du simple au double dans les départements et régions d’outre-mer (DROM). Avec un seuil de pauvreté métropolitain, le tiers des habitants de Martinique et de Guadeloupe sont pauvres. Avec un seuil local, ils ne sont plus qu’un sur cinq dans cette situation. Avec un seuil métropolitain, quatre habitants de Mayotte sur cinq sont comptés comme pauvres ; avec un seuil mahorais, deux habitants sur cinq. Ce sujet méthodologique est capital pour saisir l’ampleur de la pauvreté ultramarine.

La pauvreté en France métropolitaine fait l’objet d’études toujours plus précises. Le sujet, pourtant d’importance, s’avère moins documenté en ce qui concerne l’outre-mer, où les problèmes sont, d’évidence, bien plus prononcés. Des travaux de l’INSEE contribuent à lever le voile sur ces contrastes qui étaient jusqu’à aujourd’hui peu renseignés par la statistique publique 1.

En France métropolitaine, le taux de pauvreté monétaire est de 14 % en 2017. Ce taux a d’ailleurs peu évolué depuis. Cela signifie, en tout cas, que 14 % de la population vit, en 2017, avec des niveaux de vie (revenus après transferts socio-fiscaux) inférieurs à un seuil d’environ 1 000 euros par mois dans le cas d’une personne seule. Si l’on applique ce seuil métropolitain aux DROM, c’est toujours plus du tiers de la population des départements ultramarins qui est affecté : 33 % en Martinique, 34 % en Guadeloupe, 42 % à La Réunion, 53 % en Guyane, 77 % à Mayotte.

Cette approche nationale souligne la très grande différence de situation entre la métropole et les DROM. Ces territoires sont, et de très loin, les plus pauvres de France. Derrière la Martinique, moins pauvre des départements ultramarins, à 33 % donc, suivent la Seine-Saint-Denis, département métropolitain le plus pauvre (28 %), l’Aude et la Haute-Corse (21 %), les Pyrénées-Orientales et le Vaucluse (20 %), le Pas-de-Calais (19 %). On notera bien, au passage, que c’est en Seine-Saint-Denis et non dans un département rural que le taux de pauvreté est, dans l’Hexagone, le plus élevé.

Partout, les enfants de moins de 18 ans sont davantage touchés par la pauvreté que les adultes. On baptise « enfants pauvres » les mineurs qui vivent dans un ménage compté comme pauvre. En métropole, un enfant sur cinq est compté comme pauvre. C’est le cas d’un tiers d’entre eux en Seine-Saint-Denis, dans le Pas-de-Calais ou dans le Vaucluse. Si l’on applique le seuil de pauvreté métropolitain aux DROM, alors plus de huit enfants sur dix sont pauvres à Mayotte, environ les deux tiers en Guyane, la moitié à La Réunion et deux sur cinq dans les Antilles.

Ce portrait, mettant au jour statistique la diversité des situations entre, d’une part, la métropole et les DOM et, d’autre part, les DOM entre eux, se pondère par une autre approche. Plutôt que de prendre le seuil métropolitain de la pauvreté, il s’agit d’établir des seuils de pauvreté locaux. La pauvreté ne se calcule plus selon un seuil à 60 % du niveau de vie médian métropolitain, mais à 60 % du niveau de vie médian dans chacun des DOM.

En 2017, en Martinique et en Guadeloupe, le niveau de vie médian, qui partage la population en deux parties égales, se situe respectivement à 1 360 et 1 310 euros mensuels (pour une personne seule). Ces niveaux de vie médians sont inférieurs de 20 % et 23 % à celui observé en France métropolitaine (1 700 euros par mois). Celui de La Réunion (1 160 euros mensuels) est inférieur d’un tiers au niveau de vie médian de métropole et celui de la Guyane de moitié (920 euros). À Mayotte (260 euros), il ne représente qu’un sixième de la valeur métropolitaine.

Le niveau de vie médian étant nettement plus faible dans les DROM qu’en métropole, le seuil de pauvreté local baisse mécaniquement par rapport à une approche métropolitaine. Et, partant, la pauvreté mesurée baisse.

Ainsi, la pauvreté évaluée localement à La Réunion passe à 16 %, soit tout de même 2 % au-dessus de la moyenne métropolitaine. Le seuil de pauvreté établi pour La Réunion est de 700 euros par mois. Toujours selon cette méthode locale, le seuil de pauvreté à la Guadeloupe et en Martinique tourne autour de 800 euros et le taux de pauvreté à 20 %. En Guyane, le seuil s’établit à 550 euros et le taux à 23 %. À Mayotte, qui est donc, et de très loin, le département le plus pauvre de France, le seuil ne s’établit qu’à 160 euros par mois. Et le taux de pauvreté à 42 % (très proche du niveau de la médiane qui, par construction, se trouve à 50 %). Il faut aussi souligner que ces enquêtes minorent la présence de sans-papiers, très présents en particulier en Guyane et à Mayotte, avec des revenus très faibles ou totalement inexistants.


Seuils et taux de pauvreté en 2017

Source : INSEE, enquête « Budget de famille », 2017.


Passer d’une approche nationale à des approches locales change largement le portrait de la pauvreté monétaire et de ses contrastes. La même opération pourrait se conduire pour les départements métropolitains, réduisant de fait la pauvreté dans les départements comptés nationalement comme pauvres (la Seine-Saint-Denis au premier chef).


Produit intérieur brut (PIB) par habitant et indice de développement humain (IDH) en 2021

Source : INSEE, Banque mondiale.


Des conditions de vie ultramarines souvent difficiles et indignes

La pauvreté ne s’apprécie pas uniquement au regard de critères monétaires qui sont fonction des niveaux de vie, nationaux ou locaux. Elle s’évalue également selon les conditions de vie qui, elles, peuvent très valablement se comparer selon des références qui ne dépendent pas des départements. De ces approches ressortent des privations matérielles et sociales bien plus fréquentes dans les DROM.


Privations matérielles et sociales dans les DROM (hors Mayotte), en 2018 (%)

Source : INSEE, Observatoire des inégalités.


Les conditions de vie, et singulièrement les conditions de logement, y sont très éloignées de celles que connaissent la grande majorité des ménages métropolitains. Alors que pratiquement toutes les habitations sont pourvues de l’eau chaude courante dans l’Hexagone, près de la moitié des Guyanais en sont privés, comme un quart des Martiniquais et 19 % des ménages en Guadeloupe.


Conditions de logement dans les DROM (hors Mayotte), en 2018 (%)

Source : INSEE, Observatoire des inégalités.


À ne prendre que les conditions de logement, on repère le fossé qui sépare les DROM de l’Hexagone. Alors qu’en métropole moins d’un logement sur six présente au moins un défaut grave de confort (pas de W-C, pas d’installation pour faire la cuisine, façade très dégradée, etc.), c’est le cas du tiers du parc en Guadeloupe et en Martinique, de la moitié des logements en Guyane. 16 % des ménages réunionnais vivent en situation de surpeuplement, soit plus de deux fois plus qu’en métropole. La majorité des ménages mahorais vivent dans des conditions de logement difficiles, très éloignées des standards des départements métropolitains. À Mayotte, les constructions fragiles (maisons en tôle, bois, végétal ou terre) constituent près de quatre logements sur dix. Six logements sur dix sont dépourvus du confort sanitaire de base (eau courante, toilettes ou douche).

Pour la première fois en 2023, la Fondation Abbé Pierre a publié une étude sur le mal-logement dans les départements et régions d’outre-mer 2. Sur une population de 2,2 millions d’habitants, elle estime que près de 600 000 personnes sont mal logées. Près de 3 habitants des DROM sur 10 sont mal logés. Le nombre de sans-abri ne fait pas encore l’objet d’investigations poussées, mais la Fondation Abbé Pierre rapporte le nombre de 8 000 sans-domicile. Elle compte environ 160 000 personnes vivant dans des habitations de fortune, 150 000 dans des logements privés de confort, 220 000 en situation de surpeuplement accentué.

Autre élément, mais plus négatif, des visions de carte postale, les bidonvilles constituent une réalité des DROM 3. Les premiers programmes français de traitement de ces sites ont d’ailleurs concerné La Réunion. Aujourd’hui, ce sont principalement la Guyane et Mayotte qui sont affectées, même si partout dans l’univers ultramarin les pouvoirs publics cherchent à éradiquer l’habitat indigne et l’habitat spontané. Depuis le début des années 2000, et tout particulièrement avec le vote de la loi du 23 juin 2011 portant dispositions particulières relatives aux quartiers d’habitat informel et à la lutte contre l’habitat indigne dans les départements et régions d’outre-mer, l’action publique s’est précisée et outillée. Centrée sur les notions d’habitat informel et d’habitat indigne, cette loi, dans les suites d’un rapport remis au gouvernement, en 2009, par le député martiniquais Serge Letchimy, permet de préciser ce que sont les visées et les moyens des opérations de résorption de l’habitat insalubre (RHI) et de résorption de l’habitat spontané (RHS). Cela étant dit, personne ne peut préciser le nombre de bidonvilles et d’habitants des bidonvilles dans l’ensemble des territoires ultramarins. Il est cependant souvent fait référence à un rapport de un à dix entre la situation contemporaine des bidonvilles dans l’Hexagone (avec environ 20 000 habitants) et celle dans l’ensemble des territoires ultramarins. Estimer, à grande maille, qu’il y aurait 200 000 résidents de bidonvilles dans l’ensemble des DROM et des collectivités d’outre-mer s’avère cohérent, en ordre de grandeur, avec le chiffre de 160 000 personnes en habitations de fortune dans les DROM.

En un mot, qui ne surprendra pas, dans les DROM, la pauvreté en termes de conditions de vie est bien plus élevée et bien plus caractéristique même que la pauvreté monétaire. La situation de Mayotte se démarque avec des niveaux très élevés de problèmes selon les deux critères, distinguant assez radicalement ce dernier département français de tous les autres.

En tendance, depuis le changement de millénaire, la dynamique était à une réduction des écarts, de niveaux et de conditions de vie, entre métropole et DROM. La Guyane et Mayotte, affectées par une immigration irrégulière difficilement contrôlable, font mentir cette tendance moyenne, mais, globalement, les dynamiques étaient à la réduction des écarts.

Les DROM, du point de vue de leur situation défavorisée, sont de mieux en mieux reconnus et cela devrait utilement s’approfondir. Pour autant, deux sujets techniques singuliers devraient être mieux traités. D’abord, sur le plan des données, des chiffres plus récents (par exemple sur les conditions de vie) et plus systématiquement publiés en même temps que les chiffres métropolitains seraient bienvenus 4. Ensuite, pour l’outre-mer dans sa globalité, il ne faudrait pas que les efforts de connaissance dans les DROM fassent oublier les autres territoires ultramarins. Tous ne font pas l’objet de la même attention statistique. Ainsi, si les connaissances s’améliorent pour les DROM, avec une comparaison rendue plus aisée avec la métropole, ce n’est pas encore forcément le cas pour Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Wallis-et-Futuna ou la Polynésie française.

Des conditions de sécurité dégradées

Ce tableau sur les conditions de vie compliquées ne saurait s’achever sans quelques observations sur la délinquance et la criminalité. Taux de criminalité et immigration irrégulière en hausse, violences intrafamiliales nombreuses, troubles à l’ordre public, climat de violence parfois extrême : l’outre-mer est un enjeu de taille en termes de sécurité intérieure.

Les territoires ultramarins restent plus exposés aux infractions violentes que la métropole. On y recense, en proportion, plus de victimes de violences physiques et sexuelles. L’outre-mer enregistre proportionnellement cinq fois plus d’homicides, deux fois plus de viols et trois fois plus de violences crapuleuses. Les coups et blessures volontaires y sont deux fois plus fréquents. À l’inverse, les cambriolages de logement sont moins habituels, du moins dans les déclarations.


Insécurité et délinquance sur la période 2020-2022 (pour 1 000 habitants)

Source : service statistique ministériel de la sécurité intérieure.


La situation se détériore particulièrement à Mayotte, où l’immigration irrégulière est à l’origine de violents troubles à l’ordre public. L’ampleur de la délinquance y génère un fort sentiment d’insécurité. Six habitants sur dix se sentent en insécurité à leur domicile ou dans leur quartier. En 2020, la délinquance est le problème contemporain jugé le plus préoccupant pour la moitié des Mahorais, contre un métropolitain sur dix (davantage soucieux de santé, de précarité, d’environnement ou d’attentat).

Au-delà du seul cas mahorais, insécurité et criminalité inquiètent dans l’ensemble des espaces ultramarins. La gendarmerie est compétente sur 98 % de ce territoire et responsable de la sécurité de 70 % de ses 2,8 millions d’habitants. Ses moyens sont renforcés, en particulier dans les territoires les plus en difficulté, aux fins de poursuivre et d’intensifier la lutte contre l’insécurité. La prévention des atteintes aux personnes et aux biens ainsi que la protection de la population constituent des soucis plus affirmés. Si, sur ce terrain aussi, la diversité ultramarine prévaut, les préoccupations convergent.



Une académie pour faire rayonner les réalités et les richesses de l’outre-mer

L’Académie des sciences d’outre-mer (anciennement Académie des sciences coloniales) ne s’intéresse pas qu’aux conditions de vie ultramarines. Cette société savante centenaire traite de tous les grands enjeux environnementaux, démographiques, éducatifs, scientifiques, technologiques, culturels et sociaux.

L’académie a compté parmi ses membres trois présidents de la République française et s’honore aujourd’hui de la présence parmi ses 275 membres de plusieurs chefs d’États étrangers. En lien avec un grand nombre d’universités et d’autres académies, elle organise des communications, des colloques, des productions et des prix. Aimer, savoir, comprendre, respecter : l’institution agit selon ces quatre verbes, qui font sa devise, pour faire rayonner les outre-mer.

www.academieoutremer.fr



  1. Voir « Une pauvreté marquée dans les DOM, notamment en Guyane et à Mayotte », INSEE Première, no 1804, 1er juillet 2020, www.insee.fr/fr/statistiques/4622377, et « La grande pauvreté bien plus fréquente et beaucoup plus intense dans les DOM », Insee Focus, no 270, 11 septembre 2022, www.insee.fr/fr/statistiques/6459395.
  2. www.fondation-abbe-pierre.fr/actualites/600-000-personnes-mal-logees-dans-les-departements-et-regions-doutre-mer.
  3. Au sujet des bidonvilles, voir Julien Damon, Un monde de bidonvilles. Migrations et urbanisme informel, Paris, Le Seuil, 2017.
  4. Signalons tout de même le développement en ligne d’un observatoire de l’outre-mer qui rassemble et présente de nombreuses données sur un ensemble large de sujets : https://observatoire.outre-mer.gouv.fr.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2023-6/niveaux-de-vie-faibles-conditions-de-vie-difficiles.html?item_id=7862
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