Les prestations sociales et familiales dans les outre-mer
Le paysage institutionnel ultramarin de la sécurité sociale diffère de celui de la métropole. Les caisses d’allocations familiales, qui versent les principales prestations sociales et familiales, sont de création plus récente en outre-mer. Les droits s’harmonisent avec le reste du territoire national, mais des spécificités demeurent. Ces prestations des CAF représentent leurs seuls revenus pour un tiers des allocataires. C’est le cas de moins d’un allocataire sur cinq en métropole.
La sécurité sociale assure, pour l’ensemble des citoyens, une couverture face aux risques
sociaux. Sa mise en œuvre est subdivisée en différents régimes : le régime
agricole pour les exploitants et salariés agricoles, les régimes spéciaux pour les
salariés de grandes entreprises, notamment publiques, et le régime général, qui couvre
90 % de la population. Pour le régime général, sa prise en charge et sa gestion sont
réparties entre six branches différentes : la branche famille, représentée par la
Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) et son réseau de 101 caisses d’allocations
familiales (CAF) la branche maladie et risques professionnels, représentée par la Caisse
nationale d’assurance maladie la branche retraite, qui s’appuie sur la Caisse nationale
d’assurance vieillesse la branche autonomie, représentée par la Caisse nationale de
solidarité pour l’autonomie et enfin la branche recouvrement, pilotée par le
réseau des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations
familiales (Urssaf). Chacune de ces branches s’organise selon une hiérarchie d’organismes
nationaux, régionaux et locaux, gérés paritairement et placés sous la tutelle des
ministères chargés de la sécurité sociale.
Une organisation ultramarine particulière et composite
Dans les régions et départements d’outre-mer (DROM : Guadeloupe, Martinique, Guyane,
La Réunion et Mayotte), la mise en œuvre de la sécurité sociale,
c’est-à-dire la gestion et le versement des allocations et des prestations, repose uniquement sur deux
organismes distincts : d’un côté, les caisses générales de
sécurité sociale (CGSS) et, d’un autre côté, les caisses d’allocations
familiales. Le département de Mayotte est un cas particulier, puisqu’il est doté d’une
seule caisse couvrant l’ensemble des branches : la Caisse de sécurité sociale de Mayotte.
Toutefois, l’activité développée par cette caisse au titre des prestations et politiques
familiales est pleinement intégrée au réseau des CAF, piloté par la Caisse nationale des
allocations familiales.
S’agissant des territoires ayant le statut de collectivité d’outre-mer (COM :
Saint-Barthélemy, Saint-Martin, la Polynésie française, les îles Wallis et Futuna, la
Nouvelle-Calédonie, Saint-Pierre-et-Miquelon et les Terres australes et antarctiques françaises), le
choix a été fait de confier la gestion des risques relevant de la sécurité sociale et le
versement des prestations afférentes à des caisses dites « multibranches »,
c’est-à-dire couvrant la famille, la vieillesse, la maladie et les accidents du travail mais aussi le
recouvrement des cotisations : caisses de prévoyance sociale ou caisses de prestations sociales. On
trouve ainsi une Caisse de prévoyance sociale (CPS) à Saint-Pierre-et-Miquelon, une Caisse des
prestations sociales dans les îles Wallis et Futuna, une Caisse de compensation des prestations familiales,
des accidents du travail et de la prévoyance des travailleurs (CAFAT) pour la Nouvelle-Calédonie.
Les îles de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin font exception, puisque, malgré leur statut
juridique de COM, c’est la CAF de la Guadeloupe, géographiquement proche, qui assure le versement des
prestations familiales et sociales pour les ressortissants de ces territoires, à l’identique des
prestations versées en Guadeloupe.
Les CAF pèsent nationalement près de 100 milliards d’euros
Face à cette complexité et à cette hétérogénéité territoriale
en matière d’organisation administrative et financière de la sécurité sociale,
nous retiendrons que la branche famille assure de plein droit son action en faveur des populations
métropolitaines, des cinq DROM et des COM de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. Sur ce
périmètre, les CAF ont versé en 2021 des prestations à plus de 13 millions de
foyers allocataires, ce qui représente 32 millions de personnes (allocataires et personnes à
charge constituant le foyer de l’allocataire), dont 13,8 millions d’enfants. La branche famille
accompagne ainsi sur ce périmètre près de la moitié de la population française.
Les caisses d’allocations familiales gèrent et versent depuis leur création des prestations
familiales qui ont pour objectif d’apporter aux familles une aide compensant partiellement les dépenses
engagées pour la subsistance et l’éducation des enfants. Au fil des années et au
gré des politiques familiales et sociales successives décidées par les pouvoirs publics, le
nombre et le champ des prestations légales versées aux familles, et donc les compétences des
CAF, se sont élargies, notamment aux prestations sociales et de solidarité, comme les aides
personnelles au logement 1
, l’allocation en faveur des personnes en situation de handicap 2
, ou encore le
revenu minimum d’insertion (RMI), remplacé depuis 2009 par le revenu de solidarité active (RSA).
De même, l’action des CAF s’est également progressivement étendue à
l’action sociale, leur permettant de soutenir également le développement et le fonctionnement de
partenaires gestionnaires d’équipements et de services destinés aux enfants, aux jeunes et aux
familles (crèches, accueils de loisirs, centres sociaux, foyers de jeunes travailleurs, etc.). Cette action
sociale permet aussi de soutenir les familles en difficulté par des aides financières ponctuelles et
des actions d’accompagnement (aides aux vacances, naissances multiples, soutien à la
parentalité, etc.). Financée par les cotisations des employeurs, les impôts et produits
affectés par l’État ou les départements pour certaines prestations 3
, la branche famille
a versé 95,5 milliards d’euros de prestations en 2021.
Des CAF ultramarines singulières et des prestations différentes
Dans ce cadre et au sein de la branche famille, les caisses d’allocations familiales des départements et
régions d’outre-mer occupent une place particulière. En effet, leur histoire, la
spécificité des prestations légales familiales et sociales versées en faveur des
populations au fil du temps et l’importance du poids financier des prestations pour les populations
ultramarines distinguent encore aujourd’hui ces territoires de ceux de la métropole, même si de
nombreuses mesures visant la convergence des droits en matière de prestations légales ont
été prises depuis plusieurs années, en lien avec l’évolution de la
législation.
Alors que les caisses d’allocations familiales, dans leur forme actuelle, existent en métropole
depuis 1946, c’est seulement au début de la décennie 1970, à la suite de
l’ordonnance du 21 aout 1967 qui a réformé l’organisation administrative et
financière de la sécurité sociale, que les caisses d’allocations familiales ont
été créées et mises en place dans les DROM, hors Mayotte, dont la caisse de
sécurité sociale n’a vu le jour qu’en 2015, après que l’île est
devenue le 101e département français, le 31 mars 2011.
Dès leur création, le choix a été de confier aux CAF des DROM un champ de
compétences plus étendu que celui dévolu aux CAF métropolitaines. En effet, les CAF
d’outre-mer couvrent les ressortissants du régime général mais aussi les ressortissants
du régime agricole, qui sont, dans l’Hexagone, couverts par les caisses de mutualité sociale
agricole (CMSA), organismes non présents dans les DROM. À l’époque, le cadre
législatif des droits aux allocations et leurs montants applicables aux populations d’outre-mer est
différent de celui en cours pour les résidents de métropole. Ces écarts, perçus
localement comme des injustices, font très tôt l’objet de nombreuses revendications des
représentants politiques de ces territoires.
Pour exemple, l’allocation de parent isolé (aujourd’hui RSA majoré), étendue aux
départements d’outre-mer en 1978, est versée à un taux de 40 % inférieur
à celui de la métropole, et il faudra attendre 2007 pour que le montant de cette prestation soit
strictement le même entre les allocataires domiens et métropolitains. De même, l’extension
aux DROM, au milieu des années 1990, des prestations versées aux familles pour l’emploi
d’une assistante maternelle ou d’une nourrice à domicile interviendra avec onze ans de retard par
rapport à la métropole.
Une égalisation progressive et des différences persistantes
Si ces écarts entre les politiques familiales en métropole et dans les DOM ont pendant longtemps
été justifiés par les pouvoirs publics par la nécessité de l’adaptation aux
conditions locales, l’intégration progressive au cœur des politiques natalistes des politiques
sociales visant les plus modestes et la forte mobilisation des associations familiales, des syndicats et des
conseils d’administration des CAF ultramarines en faveur de l’égalité ont finalement
permis, après les années 2000, de gommer les principales différences relatives aux
conditions d’accès et aux montants des prestations familiales et sociales.
Aujourd’hui, à l’exception du cas particulier de Mayotte, pour lequel les droits applicables en
matière de prestations familiales s’inscrivent encore dans une trajectoire de convergence progressive
4
, l’égalité est presque réalisée sur le plan du droit, et toute nouvelle
prestation légale ou extralégale est automatiquement ouverte sur l’ensemble du territoire
national et aux mêmes conditions.
Les quelques différences qui persistent pour ces territoires, parfois à leur avantage et parfois en
leur défaveur, concernent : les allocations familiales (AF), qui sont versées dès le
premier enfant dans les DROM, ainsi qu’à Saint-Martin et à Saint- Barthélemy, à la
différence de la métropole, où elles ne sont versées qu’à partir du
deuxième enfant, avec des montants identiques. Pour Mayotte, le montant des allocations familiales est moins
élevé à partir du troisième enfant.
Allocations familiales (en janvier 2023 : montant maximal)
L’allocation de complément familial est également versée dès le premier enfant dans
les DROM, mais avec une limite d’âge fixée aux 5 ans de l’enfant, alors qu’en
métropole seules les familles ayant au moins trois enfants peuvent y avoir droit, mais avec une limite
d’âge fixée aux 21 ans de l’enfant.
De même, dans le domaine du logement, les locataires domiens occupant un logement dans le parc social
conventionné ne peuvent bénéficier, comme en métropole, d’une aide
personnalisée au logement. En revanche, les accédants à la propriété dans les
DROM peuvent, si leurs ressources sont modestes, percevoir une aide au logement (aide à l’accession
sociale et à la sortie de l’insalubrité), ce qui n’est plus le cas en métropole
depuis 2018.
Par ailleurs, les DROM bénéficient également de prestations spécifiques car non
applicables en métropole. Il s’agit du revenu de solidarité 5
(RSO). Cette prestation
créée en 2001 est versée aux personnes âgées de 55 à 64 ans,
bénéficiant du revenu de solidarité active depuis au moins deux années
consécutives et qui s’engagent à quitter définitivement le marché du travail.
Enfin, les CAF d’outre-mer contribuent au financement de la restauration scolaire afin de réduire le
reste à charge pour les familles domiennes. 355 000 enfants scolarisés de la maternelle au
lycée ont ainsi bénéficié en 2021 de cette aide permettant de faciliter
l’accès à la restauration scolaire et à un repas équilibré à de
nombreux enfants issus de familles très modestes. Cette contribution financière apportée par
les CAF des DROM souligne une autre particularité domienne : des taux de pauvreté plus
élevés qu’en métropole et une forte dépendance monétaire de nombreuses
familles aux prestations familiales et sociales versées par les CAF.
Des prestations d’amortissement social
Les caisses d’allocations familiales et les prestations versées dans les départements
d’outre-mer jouent de manière encore plus prégnante que sur le reste du territoire national un
rôle d’amortisseur social. Les territoires d’outre-mer sont en effet marqués par des
réalités démographiques et territoriales et des contextes sociaux particuliers, dont le cumul
et l’intensité les distinguent fortement des autres départements français. En effet,
leurs caractéristiques socioéconomiques sont nettement plus défavorables que celles de la
métropole : taux de pauvreté monétaire élevé, faiblesse des taux
d’emploi, mais aussi proportion plus élevée qu’en métropole de familles
monoparentales, de grossesses précoces, de jeunes déscolarisés, sans formation ou sans emploi,
ainsi qu’un taux d’illettrisme et d’illectronisme élevé, particulièrement
à Mayotte et en Guyane, deux départements par ailleurs sujets à un fort dynamisme
démographique.
L’examen de l’activité des CAF d’outre-mer et de leurs fichiers allocataires confirme les
caractéristiques sociales propres à ces territoires et soulignent, plus encore qu’en
métropole, les défis sociaux auxquels sont confrontés les CAF et les politiques publiques en
matière de redistribution sociale et de solidarité nationale.
En effet, les CAF couvrent 63 % de la population dans les DROM, contre un peu moins de la moitié de la
population en métropole.
Taux de couverture de la population par les CAF
Source : direction des statistiques, des études et de la recherche de la CNAF, fichier ALLSTAT FR6, juin 2022.
Estimation INSEE sur la population française au 1er janvier 2022.
Les allocations familiales (AF) couvrent pour leur part 74 % de la population allocataire domienne, pour
62 % de la population allocataire métropolitaine. Les foyers monoparentaux bénéficiaires
de l’allocation de soutien familial (ASF) sont, proportionnellement, deux fois et demi plus nombreux
(15 %) qu’en métropole (6 %). S’agissant des minima sociaux, comme le RSA, ses
bénéficiaires représentent un allocataire sur trois dans les DROM (hormis à Mayotte)
pour seulement un allocataire sur dix en métropole.
Enfin, dernier exemple, probablement le plus révélateur des difficultés sociales de ces
territoires : les prestations des CAF perçues tous les mois constituent pour un tiers des allocataires
domiens leurs seuls revenus pour vivre cette proportion est deux fois plus élevée qu’en
métropole, où 17 % des allocataires sont dans cette situation.
Dépendance aux prestations
Source : direction des statistiques, des études et de la recherche de la CNAF, fichier ALLSTAT FR6, juin 2022.
Dans ce contexte, les CAF des DROM jouent un rôle essentiel d’amortisseur social : les prestations
familiales et sociales, leur poids financier, leur caractère redistributif et de solvabilisation des familles
constituent des leviers importants des politiques publiques de lutte contre les inégalités, mais aussi
de cohésion sociale aux deux échelles locale et nationale.
- Création de l’allocation de logement familiale (ALF) en 1948, puis de l’allocation de
logement sociale (ALS) en 1971 et, enfin, de l’aide personnalisée au logement (APL) en 1977.
- L’allocation aux adultes handicapés (AAH), créée par la loi no 75-534 du 30 juin
1975, est versée par les caisses d’allocations familiales et les caisses de mutualité
sociale.
- L’allocation aux adultes handicapés et la prime d’activité sont financées par
l’État, et le RSA par les départements.
- À Mayotte, la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE), l’allocation de soutien familial
(ASF), l’allocation journalière de présence parentale (AJPP) et la prime de
déménagement ne sont pas applicables, et le complément de libre choix du mode de garde
(CMG), les allocations familiales (AF), le complément familial (CF), le revenu de solidarité
active (RSA), la prime pour l’activité (PPA) et l’allocation aux adultes handicapés
(AAH) restent versés avec des montants différents.
- Le RSO est également ouvert aux populations de Saint-Pierre-et-Miquelon, mais il n’a pas
été étendu à Mayotte.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2023-6/les-prestations-sociales-et-familiales-dans-les-outre-mer.html?item_id=7867
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