Les défis du bâtiment en outre-mer
Cet article, réalisé à partir de contributions des fédérations ultramarines de la FFB, souligne à la fois la diversité des problématiques mais aussi de nombreuses convergences pour le secteur du bâtiment en outre-mer. Plutôt que de présenter les marchés et les activités de chaque territoire, un thème est illustré à partir de l’un d’entre eux. Il en ressort un panorama des défis de l’adaptation des normes, de la nécessité de la formation dans le secteur, des efforts à faire contre l’habitat indigne et pour une meilleure gestion des déchets.
Crucial pour le bien-être des populations et le développement de territoires confrontés à
des défis de croissance ou de décroissance démographiques, sur un foncier disponible
généralement exigu et fortement contraint du fait, notamment, des spécificités
climatiques et topographiques, le secteur du bâtiment souhaite répondre aux différents enjeux et
aux besoins en logements comme en équipements.
Adapter la construction et les normes à La Réunion
La Réunion est un territoire insulaire aux fortes contraintes énergétiques et climatiques. La
situation géographique de l’île, comme des autres territoires ultramarins d’ailleurs,
impose une réflexion dans l’adaptation des normes et réglementations aux
spécificités locales. De nombreux paramètres sont à considérer, tels que
l’ensoleillement, la pluviométrie, les différents climats, l’exposition aux vents
cycloniques.
Afin de répondre à la nécessité d’adapter les constructions aux
particularités et besoins locaux, la filière du bâti tropical, valorisant les ouvrages à
faible impact environnemental dans un contexte tropical, s’est développée. L’objectif de
cette filière est de concevoir et de construire des bâtiments aux architectures bioclimatiques
respectueuses de l’environnement, tout en répondant aux enjeux du confort thermique, de
l’efficacité énergétique et de l’adaptation des matériaux. L’ensemble
se veut synonyme de qualité et de durabilité.
Le bâti tropical recherche la performance des produits intégrant le bâti tout en
privilégiant leur qualité dans le temps : préservation du cadre bâti face aux termites,
protection des ouvrages contre la corrosion, durabilité des matériaux, etc. La filière applique
aux bâtiments d’habitation la réglementation thermique, acoustique et aération (RTAA DOM),
en vigueur à La Réunion depuis 2010.
Les acteurs de la filière déploient une expertise locale reconnue et des savoir-faire à partager
dans la construction en milieu tropical. L’ensemble de la filière œuvre pour favoriser le
développement de solutions adaptées. Elle bénéficie des travaux de recherche et
développement menés par les laboratoires, dont le Centre d’innovation et de recherche du
bâti tropical (CIRBAT), le laboratoire PIMENT de l’université de La Réunion, les
entreprises du secteur, les architectes et bureaux d’études, les structures soutenant
l’innovation. Cet écosystème a la capacité d’élaborer des solutions
innovantes qui répondent aux défis locaux.
La multidisciplinarité des acteurs implique des actions sur les aspects réglementaires et normatifs ou
encore sur la certification des produits de construction. Les travaux menés dans le cadre du Bureau de
normalisation des techniques et équipements de la construction du bâtiment (BNTEC) sur
l’adaptation des normes au contexte local sont indispensables pour éviter les approximations dans la
mise en œuvre et pour réduire la sinistralité.
La situation géographique de l’île impose une dépendance aux importations fragilisant le
modèle de développement. Dans l’optique de réduire les délais et les coûts
d’approvisionnement, mais aussi pour optimiser la certification, une étude menée par la
Fédération des entreprises d’outre-mer (FEDOM) a été lancée pour la
création d’une cellule locale de validation de la conformité des produits. Celle-ci permettrait
de valoriser l’expertise et les innovations. Elle favoriserait un rayonnement dans la zone intertropicale,
l’océan Indien, avec un élargissement du sourcing matériaux au-delà des
circuits établis.
La multiplication des initiatives, la sensibilisation des acteurs aux enjeux de développement durable, la
tropicalisation des réglementations sont autant d’éléments moteurs du
développement de la filière du bâti tropical. L’ambition est de faire de La Réunion
un centre de ressources et de référence pour la résilience des territoires insulaires.
Un référentiel de la construction en Nouvelle-Calédonie
Le référentiel de la construction de la Nouvelle- Calédonie (RCNC) constitue un nouvel
écosystème pour le monde de la construction et du bâtiment calédonien, depuis le 1er
juillet 2020.
La réglementation calédonienne a dû être modifiée en profondeur pour instaurer le
RCNC, dont les objectifs sont de quatre ordres : sécuriser et protéger le Calédonien qui fait
construire ; sécuriser les professionnels de la construction ; valoriser les savoir-faire des professionnels
; améliorer la qualité des constructions.
Concernant le domaine des assurances et de la construction, la Nouvelle-Calédonie est compétente en
droit des assurances depuis 1956. À la suite de la refonte complète du droit des assurances
lancée en 2014, une modification du Code civil a été instaurée, inversant la charge
de la preuve au bénéfice de la victime. Le premier pilier du RCNC, avec le système
d’assurances obligatoires constitué d’une assurance responsabilité civile décennale
pour les constructeurs et d’une assurance dommages-ouvrage pour les maîtres d’ouvrage, peut
désormais s’appuyer sur ce principe. Le système d’assurances obligatoires permet ainsi une
meilleure sécurisation des professionnels de la construction et de leurs clients.
Corollaire de la réforme du droit des assurances, la qualification des professionnels de la construction,
second pilier du RCNC, a été introduite dans les textes. Ceux-ci prévoient les conditions
d’exercice des métiers de la construction, ces conditions devant être respectées pour
bénéficier de l’obligation d’assurer imposée aux entreprises d’assurances
agréées en Nouvelle-Calédonie. L’exigence de qualification pour les professionnels
apporte une garantie de maîtrise des savoir-faire.
Indépendamment de la réglementation liée aux assurances, le recours aux normes a
été préalablement inscrit dans une délibération du Congrès de la
Nouvelle-Calédonie dès mars 2016. En fixant une référence, le recours aux normes pour
les matériaux et procédés de construction constitue une protection des acteurs locaux face aux
risques d’importation de matériaux de mauvaise qualité. C’est aussi un gage de confiance
pour le client final, avec un langage commun entre professionnels. Cela instaure une reconnaissance des produits,
facilitant ainsi leur vente et leur achat, y compris au niveau international avec nos voisins du Pacifique.
Pour les matériaux fabriqués localement, le texte prévoit une contextualisation des principes
internationaux de certification, par un agrément des matériaux de construction basé sur des
référentiels de qualité élaborés avec les professionnels et adaptés au
contexte calédonien. Il s’agit du troisième pilier du RCNC. L’agrément des
matériaux de construction permet la vérification de leur conformité à des exigences
spécifiées.
Le référentiel de la construction de la Nouvelle-Calédonie est un projet transverse touchant
à de nombreux secteurs, dont l’objectif principal est l’amélioration des constructions en
Nouvelle-Calédonie. Conçu en mode collaboratif avec tous les acteurs, cet écosystème
complet constitue un cadre évolutif permettant le développement sécurisé de
l’activité de la construction, en valorisant les savoir-faire et les bonnes pratiques.
Le BTP à Mayotte et le défi de la formation
À Mayotte, le BTP constitue un secteur stratégique et en forte croissance. L’activité de
la construction est largement corrélée à la commande publique (environ 1 milliard d’euros
d’investissements).
Le rythme soutenu de la croissance démographique (Mayotte comptait environ 30 000 habitants en 1960 contre 300
000 en 2022), avec une population très jeune (la majorité de la population a moins de 20 ans),
génère des besoins importants en logements et en infrastructures sociales comme urbaines
(écoles, routes, hôpitaux, équipements sportifs, etc.).
Face à des besoins et des enjeux importants, les entreprises locales doivent faire face à plusieurs
problématiques :
- le taux de chômage le plus élevé de France : environ un tiers de la population active est au
chômage ;
- le manque de main-d’œuvre qualifiée : sur place, il n’y a pas assez de structures de
formation pouvant répondre à la demande ;
- la difficulté à attirer et à garder le personnel compte tenu du contexte économique
et social compliqué.
Afin de faire face aux besoins de recrutement du secteur de la construction, il est indispensable de former les
jeunes et de faire monter en compétence des salariés déjà en poste, en
privilégiant l’alternance et l’apprentissage, avec des formations qualifiantes sur un an ou deux
ans. Il s’agit de répondre non seulement aux besoins des métiers en tension, principalement pour
le second œuvre, mais aussi aux besoins pressants d’encadrement : chefs de chantier, conducteurs de
travaux, techniciens.
Engagée aux côtés des institutions de Mayotte pour relever le défi de la formation, la
Fédération mahoraise du BTP (FMBTP) travaille en ce sens en nouant des partenariats avec les
structures existantes dans le but qu’un centre de formation d’apprentis (CFA) spécifique aux
métiers du secteur puisse voir le jour.
Besoins de logements et de réhabilitation à Saint-Pierre-et-Miquelon
Saint-Pierre-et-Miquelon compte environ 6 000 habitants. Le parc immobilier de l’archipel est constitué
de 2 600 résidences principales, 420 résidences secondaires et 180 logements vacants. La maison
individuelle reste le premier type de logement, représentant 85 % du parc. La propriété est
privilégiée tandis que la location (20 %) est en baisse depuis 1999. Le manque de logements est
estimé à 60, à produire dans les cinq ans. Les récentes tendances se
caractérisent par une légère déprise démographique, un profil de moins en moins
familial, un parc locatif peu développé, une problématique de gestion du parc social, des
besoins d’amélioration du parc existant. Une grande majorité des habitations construites avant
1994 nécessite des travaux de réhabilitation thermique importants. Les mesures mises en place devront
être renforcées et plus incitatives si l’on veut mener à bien certains travaux. Du fait de
difficultés d’attractivité pour le tourisme et pour l’activité dans le BTP, la
situation est grave pour certains chefs d’entreprise ne pouvant plus exécuter certains marchés.
Le territoire doit réagir afin de ramener du monde sur l’archipel.
Lutter contre l’habitat indigne à la Martinique
La Martinique compte environ 213 000 logements, pour une production d’environ 2 500 unités par an. 15 %
du parc est vétuste, 12 % dégradé, 4 % très dégradé. Toutes les typologies
sont concernées par la problématique de l’habitat insalubre.
La loi d’actualisation du droit des outre-mer de 2015 comporte des mesures importantes relatives à la
lutte contre l’habitat indigne. Désormais, en Guadeloupe, en Guyane, à la Martinique, à
La Réunion, à Mayotte et à Saint-Martin, chaque commune doit disposer d’un plan local de
lutte contre l’habitat indigne (PLHI), élaboré soit à son initiative, soit à celle
de l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) doté d’un programme
local de l’habitat dont elle est membre.
Le PLHI débute par un diagnostic portant sur les différentes formes d’habitat indigne et
informel. Établi pour six ans, il détermine les objectifs et les actions prioritaires
nécessaires à la résorption de ces habitats.
En Martinique, un pôle départemental de lutte contre l’habitat indigne (PDLHI)
fédère les principaux acteurs impliqués dans ce domaine.
La direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DEAL), qui a la charge de ce
dossier, qualifie l’habitat indigne de problématique centrale de la politique de l’habitat en
Martinique, tant elle impacte la qualité de vie des habitants, mais a également des
conséquences environnementales (déperdition énergétique) et une influence majeure sur le
cadre de vie.
La DEAL a lancé, avec les trois EPCI de l’île, une démarche de repérage de
l’habitat indigne dont l’objectif est de définir un plan pluriannuel d’éradication
qui se décline en trois phases :
- un diagnostic territorial élaboré en concertation avec les communes de l’EPCI ;
- la définition des modalités de traitement des poches repérées et des logements
concernés ;
- l’élaboration du programme prévisionnel des actions de lutte contre l’habitat indigne
(LHI) sur six ans.
Le plan logement Martinique a, par ailleurs, prévu de financer plus de 1 000 logements locatifs sociaux par
an, sur un territoire comptabilisant plus de 10 000 demandes de logement social. Compte tenu des revenus des
publics, de la problématique du transport, de la densité des zones d’habitation, des contraintes
topographiques, des risques naturels et d’une urbanisation très diffuse, la localisation en
centre-bourg a été retenue comme critère de qualité indispensable. Cette implantation
garantit une proximité des commerces et des services. Une telle démarche contribue à la
revitalisation d’espaces délaissés et préserve des espaces agricoles, forestiers et
naturels d’une richesse extrême.
Des ateliers de travail menés avec un panel de professionnels ont permis de définir des critères
de sélection partagés, comme l’insertion urbaine et paysagère, le confort thermique
lié au milieu tropical ou encore l’aménagement des espaces extérieurs, à la fois
pourvoyeurs d’agrément visuel et de confort thermique. Ces ateliers ont été
complétés par des entretiens systématiques avec les habitants.
Logement social et logement illicite en Guyane
Entre 1968 et 2018, la Guyane connaît une explosion démographique. La population est multipliée par plus de cinq et
atteint 280 000 habitants. Dans la même période, le parc des logements est multiplié par six, pour arriver à 92 000
logements. Le parc locatif social guyanais compte 19 000 logements, mais la demande reste forte : 12 500 dossiers
actifs au 31 décembre 2020. En 2022, environ 1 000 logements sociaux ont été livrés. Les besoins, sur les dix ans à
venir, sont estimés à plus de 30 000 unités. Le nombre de logements illicites est estimé à 20 000, avec une
progression d’un millier par an. Afin de traiter les défis du logement social et des logements illicites et
indignes, de nombreux freins doivent être levés, notamment par simplifications législatives. Afin de réaliser 3 000
à 4 000 logements par an, il est essentiel que des fonciers soient aménagés. C’est la mission de l’Établissement
public foncier et d’aménagement de la Guyane (EPFAG), qui, en respectant les procédures et les règles
environnementales, se trouve aujourd’hui bloqué sur de nombreux périmètres, retardant le calendrier de mise en œuvre
pour répondre aux besoins. Produire du logement sur des fonciers en diffus, non aménagés, demeure très compliqué, en
l’état actuel des financements et des échanges avec les collectivités. Là encore, il y a des enjeux en matière
d’adaptation des normes aux spécificités locales, le territoire étant déjà très orienté vers les énergies
renouvelables. Les expérimentations devraient être facilitées, notamment pour développer l’usage de matériaux
adaptés.
Déchets et économie circulaire : les cas de la Guadeloupe, de Saint-Martin et de
Saint-Barthélemy
La responsabilité élargie du producteur, ou REP, concerne les entreprises et la gestion de leurs
déchets. Ce principe, apparu en 1975, s’inspire du principe « pollueur-payeur ». Selon ce
dispositif, les acteurs économiques sont responsables de l’ensemble du cycle de vie des produits
qu’ils mettent sur le marché, de leur écoconception jusqu’à leur fin de vie.
Alors que la REP Bâtiment voit le jour, la délégation sénatoriale aux outre-mer, dans un
rapport d’information adopté le 8 décembre 2022 sur la gestion des déchets dans les
outre-mer, constate « le retard majeur des outre-mer en matière de gestion des déchets. Cette
situation place certains territoires en urgence sanitaire et environnementale. La cote d’alerte y est
dépassée. Des plans de rattrapage exceptionnels, voire des plans Marshall pour la Guyane et Mayotte,
sont indispensables. Des financements et une gouvernance consolidés permettront de prendre le virage
d’une économie circulaire réaliste et adaptée aux contraintes propres des territoires
ultramarins 1 ». Le décalage avec les réalités métropolitaines est, il est vrai,
important. Le taux d’enfouissement moyen des déchets ménagers est de 67 %, contre 15 % au niveau
national. Le coût de gestion moyen des déchets ménagers est 1,7 fois plus élevé
que dans l’Hexagone. La quantité moyenne d’emballages ménagers collectés par
habitant et par an est de 15 kg dans les cinq DROM, contre 52 kg pour la France entière.
En Guadeloupe, à l’instar d’autres DROM et COM, la compétence déchets est
éclatée entre plusieurs opérateurs sur des territoires contraints et aux moyens financiers
limités. Par ailleurs, la Guadeloupe se caractérise par une carence dans la gestion de ses
déchets, résultant de l’absence de poubelles de tri, et par un financement compliqué des
opérateurs de ramassage de déchets œuvrant pour le compte des collectivités.
La faiblesse du réseau de déchetteries et l’absence d’unités de valorisation
énergétique ont pour conséquence des taux de valorisation qui dépassent à peine
les 20 %.
L’ensemble des acteurs de la filière s’accorde pour faire de la gestion des déchets une
priorité et pour adopter l’approche de l’économie circulaire en l’adaptant aux
particularités de leurs territoires. Cela implique non seulement d’inscrire la question des
déchets dans une problématique allant de l’extraction de matières jusqu’au
traitement final, mais également de recourir à toutes les solutions alternatives qui permettent
d’allonger la durée de vie des produits.
En Guadeloupe, le déploiement de plateformes interfilières a été
privilégié. Cette démarche s’inscrit dans l’objectif que s’est fixé la
région, à travers son plan régional de prévention et de gestion des déchets, de
devenir un « territoire zéro déchet d’ici à 2035 ».
Pour la Guadeloupe, les défis portent sur la valorisation énergétique et la résorption du
gaspillage alimentaire. Du côté plus particulier du BTP, il faudra créer des infrastructures de
stockage dédiées aux déchets dangereux et amiantés. À Saint-Martin, il
s’agit d’abord de réduire la part de l’enfouissement (solution exclusive aujourd’hui)
et de réactiver les services de tri. À Saint-Barthélemy, il convient de maximiser la
valorisation énergétique, de développer le tri en local ainsi que le compostage des
biodéchets.
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