Gérard-François DUMONT

Professeur émérite à Sorbonne Université, président de Population & avenir.

Partage

Des enjeux démographiques distincts

Les outre-mer connaissent des dynamiques démographiques distinctes. Des écarts considérables les affectent. Vieillissement et dépeuplement touchent notamment la Martinique et la Guadeloupe. À l’inverse, la Guyane et Mayotte conjuguent fécondité et immigration élevées. Les enjeux démographiques ultramarins, qui ne sont jamais comparables à ceux de la France métropolitaine, composent un ensemble très contrasté, appelant des politiques différenciées.

Les outre-mer français comptent un nombre d’habitants très variable, soit plus de 860 000 habitants à La Réunion et moins de 6 000 habitants dans l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon. De même, leur densité de population varie entre des extrêmes opposant Mayotte et Saint-Martin, avec plus de 600 habitants par kilomètre carré, à l’immense Guyane, moins de 4 habitants par kilomètre carré.


La densité de population des outre-mer français

Source : © Gérard-François Dumont. Chiffres INSEE, recensement de la population 2019, et pays et collectivités d’outre-mer.


Quatre outre-mer en dépeuplement

Une première différence évidente oppose les outremer dont la population a augmenté dans les premières décennies du XXIe siècle, au nombre de sept, et ceux dont la population a diminué, au nombre de quatre, soit la Guadeloupe, la Martinique, Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna. La Guadeloupe et la Martinique ont certes conservé un taux d’accroissement naturel positif, donc un excédent des naissances sur les décès, mais ce dernier a nettement diminué sous l’effet d’une fécondité qui, à la fin des années 2010, est devenue égale ou inférieure au seuil de simple remplacement des générations, qui est de 2,1 enfants par femme. Dans le même temps, le taux d’accroissement migratoire s’est trouvé constamment négatif, essentiellement en raison de départs de jeunes adultes vers la France métropolitaine, en vue de poursuivre une formation supérieure ou de trouver un emploi, plus nombreux que les arrivées (retours notamment au moment de la retraite ou arrivées de pays étrangers, comme Haïti). Le dépeuplement est plus important en Martinique qu’en Guadeloupe, car l’abaissement de la fécondité y a été plus précoce et y est plus intense.


L’évolution de la population des outre-mer français

Source : © Gérard-François Dumont. Chiffres INSEE, recensement général de la population 1999 et recensement de la population 2019, et pays et collectivités d’outre-mer.


La baisse de la population de Saint-Pierre-et-Miquelon s’inscrit aussi dans le contexte d’une faible fécondité à laquelle s’ajoute une composition par âge vieillie engendrant un déficit naturel. Son autre cause est l’émigration, notamment vers le Canada, en vue de poursuivre des études supérieures ou d’obtentir un travail. Elle s’est trouvée amplifiée par les moindres opportunités d’emplois dans la pêche et, en conséquence, par un fort taux de chômage, depuis les accords de 1994 avec le Canada se traduisant par l’arrêt de la grande pêche.

Wallis-et-Futuna a certes connu une forte augmentation de sa population au XXe siècle, sous l’effet de la transition démographique 1. Sa croissance démographique a même atteint des sommets entre 1976 et 1983 quand, en plus d’un solde naturel très positif, le solde migratoire fut lui aussi positif. En effet, pendant cette période, de nombreux Wallisiens et Futuniens sont revenus de Nouvelle-Calédonie, où ils étaient partis travailler dans les mines, ou du Vanuatu, à la suite de son indépendance.

Mais depuis 1983, le solde migratoire est nettement négatif. Comme le solde naturel n’a, dans le même temps, cessé de décroître en raison de la forte diminution de la fécondité (4,5 enfants par femme en 1983 et 2,1 au seuil des années 2020) le taux d’accroissement de la population s’est continûment abaissé et demeure négatif depuis 2003.

Deux croissances démographiques exceptionnelles

Parmi les sept outre-mer dont la population a augmenté pendant les deux premières décennies du XXIe siècle, il faut distinguer deux très fortes croissances, Mayotte et la Guyane, et cinq croissances nettement moindres.

Mayotte connaît à la fois une fécondité très élevée, 4,4 enfants par femme, et des flux migratoires entrants qui favorisent une forte natalité. Ces flux comportent deux composantes. La première, assez modeste, tient aux arrivées de ressortissants de la métropole pour contribuer à l’organisation administrative et au développement éducatif et des infrastructures de Mayotte. La seconde correspond aux arrivées massives des îles comoriennes voisines, et principalement de la plus proche, Anjouan. Au fil des décennies, en dépit des efforts de la France pour enrayer sur la mer la venue des bateaux kwassakwassa, qui transportent les Comoriens, ces flux massifs ne tarissent pas. Ils tiennent aussi à la volonté de Comoriennes de bénéficier des meilleures infrastructures sanitaires de Mayotte pour elles-mêmes et leurs enfants à naître, puis pour leur accouchement et, ensuite, pour bénéficier de l’offre mahoraise en matière de protection maternelle et infantile ou d’éducation scolaire. La migration comorienne est stimulée par l’objectif de voir les enfants naître sur le territoire français, ce qui leur permettra plus tard d’obtenir aisément la nationalité française.

Toutefois, au début du XXIe siècle, le taux d’accroissement migratoire de Mayotte devient négatif car les importants flux d’immigration sont plus que compensés par des flux d’émigration qui sont pour l’essentiel liés à des migrations internes à la France. Les départs concernent d’une part des Français nés en France hors Mayotte qui, après une période professionnelle à Mayotte, notamment dans la fonction publique d’État, continuent leur carrière ou prennent leur retraite dans un autre département. D’autre part, un flux croissant de jeunes Mahorais va poursuivre des études supérieures ou entreprendre la recherche d’un emploi à La Réunion ou en France métropolitaine. Puis, dans les années 2010, ces flux de départ sont à nouveau compensés par des flux très élevés d’arrivées venant de l’étranger, des ressortissants d’Afrique orientale ou de Madagascar s’ajoutant aux Comoriens.

La forte hausse de la population de la Guyane additionne une fécondité très élevée, la plus élevée d’Amérique, 3,5 enfants par femme 2, avec d’importants flux migratoires. Pendant les décennies 1970 et 1980, la Guyane voit l’arrivée de plusieurs types de population liée au développement du centre spatial de Kourou : des personnes qualifiées pour satisfaire les besoins directs de maind’œuvre pour une telle activité ; des militaires, chargés notamment de protéger la base, avec l’arrivée du 3e régiment étranger d’infanterie. En outre, la réalisation de nombreuses installations et d’aménagements immobiliers et urbains nécessaires à l’accueil de ces activités et de ces populations a attiré de la main-d’œuvre des pays voisins, comme le Suriname ou le Brésil.

Dans le même temps, dans le contexte sud-américain, la Guyane est particulièrement attractive car ce département offre des conditions de vie meilleures et des perspectives de naturalisation pour les enfants qui y naissent en vertu du droit français de la nationalité. D’autres flux migratoires entrants proviennent de Haïti. Quant aux départs, ils concernent des jeunes Guyanais qui partent pour effectuer des études supérieures ou trouver un emploi dans l’Hexagone. Les flux sortants tiennent également à des métropolitains qui, après avoir effectué une partie de leur carrière professionnelle en Guyane, repartent vers une autre région française.

La Guyane et Mayotte présentent deux singularités sans équivalent dans les autres outre-mer : une fécondité très élevée et un nombre d’étrangers supérieur à celui des immigrés. Ainsi à Mayotte, aux immigrants, c’est-à-dire aux personnes y résidant et nées à l’étranger (82 000 selon le dernier recensement, en 2017), s’ajoutent des personnes nées à Mayotte mais de nationalité étrangère (plus de 40 000 en 2017). En conséquence, alors que les immigrés représentent 36 % de la population de Mayotte en 2017, les étrangers forment près de la moitié de la population, 48 % en 2017. Sans être aussi élevés, les résultats sont semblables en Guyane, avec 36 % d’étrangers et 30 % d’immigrés. Dans les deux cas, la différence entre les deux pourcentages tient pour l’essentiel aux enfants de femmes comoriennes et surinamiennes ayant accouché respectivement à Mayotte et en Guyane au moins pour un de leurs enfants. Concernant Mayotte, il n’est pas impossible que l’écart s’accroisse compte tenu de la mesure de suspension du droit du sol adoptée le 10 septembre 2018 par le Parlement par suite d’un amendement à la loi asile et immigration : pour qu’un enfant qui naît sur le territoire mahorais obtienne la nationalité française, il faut désormais qu’au moins l’un de ses parents réside sur le territoire français de manière régulière et ininterrompue depuis plus de trois mois.

Cinq outre-mer aux croissances démographiques variables

Considérons désormais les cinq autres outre-mer dans l’ordre d’importance de leurs croissances démographiques dans les deux premières décennies du XXIe siècle.

À Saint-Barthélemy, la population descend d’abord de Français originaires de provinces de l’Ouest (Poitou notamment), arrivés aux XVIIeet XVIIIe siècles. À compter des années 1980, Saint-Barthélemy attire une clientèle aisée venant des États-Unis, dans des résidences secondaires de luxe, ce qui engendre un apport migratoire dans des activités de service. Parallèlement, l’île, qui doit notamment sa notoriété en métropole à Johnny Hallyday, qui y est enterré, encourage les investissements et attire de la maind’œuvre pour les réaliser. Tout cela a concouru au doublement de la population de la fin des années 1980 à la fin des années 1990. Depuis, la population a continué d’augmenter avec l’arrivée de maind’œuvre trouvant des emplois pour satisfaire les besoins de touristes aisés qui y séjournent périodiquement, et le nombre d’habitants dépasse désormais les 10 000, soit un quadruplement de la population au cours des cinquante dernières années.

La croissance de la population de Nouvelle-Calédonie s’explique d’abord par l’excédent des naissances sur les décès, même s’il se réduit, avec une fécondité désormais abaissée à 2 enfants par femme. La composante la plus importante de l’accroissement démographique tient au solde migratoire, mais qui peut varier considérablement selon les périodes, en positif ou en négatif, comme certaines années de la décennie 2010, précisément en fonction de l’attraction économique de l’archipel très liée aux évolutions du prix du nickel, ainsi qu’aux incertitudes politiques 3.

À La Réunion, ces dernières décennies, le taux d’accroissement migratoire est presque toujours négatif : faibles arrivées de l’étranger et départs nombreux vers la métropole. Mais le maintien d’une fécondité nettement plus élevée (2,5 enfants par femmes) qu’en métropole se traduit par une croissance démographique très positive.

Après la Deuxième Guerre mondiale, la croissance de la Polynésie devient importante, en raison d’une baisse rapide de la mortalité, tandis que la natalité demeure élevée, voire en augmentation. La population passe d’environ 48 000 habitants en 1946 à 100 000 en 1968, lorsque y commence la seconde étape de la transition démographique, caractérisée par une baisse progressive de la fécondité, de la natalité, et donc du taux d’accroissement naturel. La fécondité, supérieure à 6 enfants par femme dans les années 1950, diminue ainsi, devenant moitié moins élevée dans les années 1990 mais toujours nettement supérieure au seuil de remplacement des générations. Cela n’empêche donc pas la population de continuer d’augmenter : le nombre d’habitants atteint les 150 000 vers 1980 et dépasse 200 000 depuis 1990.

Cette croissance de la population, due principalement au mouvement naturel, est aussi favorisée par un mouvement migratoire alors positif. D’une part, l’émigration vers la lointaine métropole est marginale, contrairement à ce qui a pu être constaté pour la Guadeloupe, la Martinique ou La Réunion : seul existe un courant d’émigration vers la Nouvelle-Calédonie, fort variable selon les années. D’autre part, la Polynésie française a reçu plusieurs vagues d’immigration originaires de la métropole, notamment avec l’installation en 1964 du Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP). La fermeture, en 1996, du CEP supprime à la fois les emplois directs et induits. L’utilisation des financements compensatoires venus de l’État ne parvient pas à compenser ces emplois perdus. Un déficit migratoire apparaît pendant la période intercensitaire 2002-2007 et s’est accentué depuis, avec l’émigration de jeunes. Mais le solde naturel toujours positif, bien qu’en diminution constante depuis quarante ans, le compense, grâce à la composition par âge jeune de la population et en dépit d’une fécondité désormais abaissée à 1,7 enfant par femme.

À Saint-Martin, le dynamisme majeur de la population a commencé dans la seconde moitié des années 1980, lorsque le territoire de cette collectivité a connu un considérable essor touristique en usant d’une loi de 1985 favorisant fiscalement les investissements dans l’outre-mer. La population a presque quadruplé sous l’effet d’une forte immigration originaire de différents pays, dont un grand nombre d’Haïtiens ou d’Antillais anglophones trouvant l’opportunité de s’employer dans l’industrie touristique ou dans les emplois induits par cette activité.

Au début des années 2000, la hausse de la population s’est prolongée avant de laisser place à un léger dépeuplement. Courant 2017, le nombre d’habitants se trouve abaissé à 34 000 habitants environ. Depuis, la baisse de la population s’est accentuée, notamment en raison de la catastrophe naturelle du 6 septembre 2017, lorsque l’île a presque complètement été ravagée par l’ouragan Irma. Depuis, la reconstruction de l’île, concomitamment à la mise en place du plan de prévention des risques naturels (PPRN), fait l’objet de réalisations mais aussi de conflits.

Ainsi, les enjeux démographiques des outre-mer français sont doublement contrastés. D’une part, aucun n’est comparable à l’évolution de la France métropolitaine. Les outre-mer qui comptent un ordre de grandeur de leur fécondité proche de la métropole ont un taux d’accroissement migratoire négatif ou connaissant des variations contrastant avec le caractère continu de l’immigration en métropole. D’autre part, les évolutions selon les outre-mer sont considérablement différentes. La Guyane et Mayotte éprouvent de fortes difficultés à augmenter l’offre de services publics et les infrastructures aussi rapidement que la population et à assurer la sécurité dans des territoires où le poids des étrangers – en situation régulière ou non – est considérable. La Guadeloupe et la Martinique ou Saint-Pierre-et-Miquelon, bien que ne parvenant pas à offrir suffisamment d’emplois à leur population active, s’inquiètent d’une dévitalisation. En réalité, aucune politique publique s’alignant sur les réglementations métropolitaines, ce qui est pourtant de droit dans les cinq départements d’outre-mer, n’est de nature à apporter les bonnes réponses aux enjeux démographiques 4. Des politiques publiques différenciées sont donc nécessaires compte tenu des diversités considérables de peuplement et de dynamiques démographiques.



  1. Concernant ce concept, voir Gérard-François Dumont, Géographie des populations. Concepts, dynamiques, prospectives, Paris, Armand Colin, 2023.
  2. Voir Jean-Paul Sardon, « La population des continents et des États en 2022 », Population & avenir, no 760, novembre-décembre 2022.
  3. Jean-Pierre Doumenge, « Nouvelle-Calédonie : quelle géopolitique des populations ? », Population & avenir, no 737, mars-avril 2018. https://doi.org/10.3917/popav.737.0014.
  4. Par exemple, comment appliquer la loi climat et résilience de 2021 en Guyane et à Mayotte compte tenu de leur forte croissance démographique ? Voir Jérôme Barrier et Gérard-François Dumont, « Les territoires français face à la sobriété foncière. Une révolution salutaire dans l’aménagement du territoire ? », Les analyses de Population & avenir, no 44, avril 2023. https://doi.org/10.3917/lap.044.0001. Gérard-François Dumont
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2023-6/des-enjeux-demographiques-distincts.html?item_id=7859
© Constructif
Imprimer Envoyer par mail Réagir à l'article