Le tourisme en France d’outre-mer
La France d’outre-mer peut constituer une destination touristique rêvée, mais cet atout est insuffisamment valorisé. Malgré des efforts politiques notables, en matière d’infrastructures comme de fiscalité, ces territoires sont principalement fréquentés par des nationaux.
Avec 2,8 millions d’habitants (l’équivalent de la région Bourgogne-Franche-Comté)
pour 120 000 km², la France d’outre-mer (FOM) est composée d’entités aux statuts
variés : les plus connues sont les « quatre vieilles colonies », devenues des départements
d’outre-mer (DOM) en 1946 et des régions d’outre-mer (ROM) en 1982. Guadeloupe, Guyane,
Martinique et La Réunion ont une histoire commune, marquée par l’esclavage, puis
l’assimilation, avec la départementalisation, en 1946. Elles totalisent plus de 1,9 million
d’habitants. Cet ensemble est complété par une série de collectivités diverses,
dont Mayotte, devenue un DOM en 2011, et d’autres, appelées collectivités d’outre-mer
(COM) depuis 2003, à l’exception de la Nouvelle-Calédonie, qui, par l’accord de
Nouméa (1998), est une collectivité au statut spécifique. La FOM est dans une situation
économique délicate. Le chômage touche plus d’un actif sur cinq dans les DOM. Les
économies ultramarines ont des balances commerciales déficitaires 1.
Dans ce contexte, le tourisme en outre-mer concentre certains espoirs déçus de développement.
Peu internationalisé et très exposé, il a du mal à supporter la concurrence avec celui
de certains de ses voisins et devrait être mieux valorisé 2.
Aux origines du tourisme ultramarin
Louis Antoine de Bougainville (1729-1811), par son voyage de 1766 à 1769 et la relation qu’il en a
faite, publiée en 1771, a promu Tahiti au statut durable de paradis dès la fin du XVIIIe
siècle. Les Européens y projettent certains de leurs fantasmes. Le Pacifique a fortement
contribué à l’évolution du tourisme. C’est le lieu incubateur des 3 S «
sea, sand and sun ».
La colonisation a été un moteur fondamental de la diffusion du tourisme. Les Français, avec un
peu de retard sur les Britanniques, sont à l’origine de nouveaux lieux touristiques, à
Madagascar, en Indochine, en Afrique occidentale, mais également dans quelques territoires insulaires
tropicaux encore français aujourd’hui. Ils tentent d’échapper temporairement à leur
atmosphère chaude et suffocante en prenant de l’altitude. À La Réunion, les cirques de
Salazie et de Cilaos accueillent les premiers curistes aisés. Hell-Bourg, plus climatique que thermale,
à 900 mètres d’altitude, devient une localité réputée. Cilaos, à 1
200 mètres d’altitude, eut pour ambition de devenir la grande station thermale de l’océan
Indien dans l’entre-deux-guerres.
Pour qu’un lieu devienne touristique, il doit correspondre aux canons esthétiques et aux pratiques du
moment. Il doit aussi être accessible. Dans la première moitié du XXe siècle, la plus
grande partie de la FOM n’est pas touristique ou doit se contenter de la fréquentation des
résidents aisés. Ce tourisme interne n’est que très peu complété par un
tourisme récepteur. L’éloignement et la lenteur de la navigation maritime sont tyranniques, mais
la situation et l’isolement politique et économique des colonies françaises jouent
également.
La croissance du tourisme en outre-mer débute paradoxalement… en Méditerranée. Le mythe
polynésien se «touristifie » par le truchement du Club Méditerranée, qui
convoque l’imaginaire des mers du Sud pour développer ses clubs de vacances. Mais le Club ne se
contente pas d’utiliser le mythe polynésien puisqu’il s’installe, au début des
années 1960, à Moorea. Le tourisme ultramarin entre pour lors dans une nouvelle phase, avec le
développement d’une activité basée sur les 3 S.
L’ère de l’avion à partir des années 1950
La mise en service, à la fin des années 1950, des quadriréacteurs long-courriers
révolutionne la desserte des îles lointaines. Au début des années 1950, la
fréquentation touristique ultramarine est dérisoire. Les choses commencent à bouger avec la
création, en 1955, de l’Association nationale pour le développement du tourisme outre-mer
(ANTOM). L’année suivante, le ministère de la France d’outre-mer fait appel au tourisme
pour développer économiquement et socialement les territoires dont il a la charge. L’État
intervient. Sur le fonds d’investissement des DOM (FIDOM) sont financés des travaux
d’infrastructures liés à la construction des hôtels, qui bénéfice de
prêts à long terme et à taux très avantageux. Les effets de cette politique se font
sentir à partir de 1963, dans le cadre du quatrième plan de développement économique et
social (1962-1965), avec l’ouverture de trois hôtels de classe internationale en Guadeloupe et en
Martinique.
Une mission interministérielle pour le développement du tourisme dans les DOM, à l’instar
de la mission Racine d’aménagement touristique du littoral du Languedoc-Roussillon, est
créée en 1965, concentrant ses efforts sur les Antilles françaises. On choisit de créer
des zones à vocation touristique, qu’on nomme « rivieras », dotées
d’équipements touristiques (ports de plaisance, casinos, golfs, hôtels, etc.) et à
proximité de l’aéroport international. En Martinique, c’est la baie de Fort-de-France,
vers Schœlcher et Les Trois-Îlets, ainsi que la côte sud, autour de Sainte-Anne et de Sainte-Luce,
qui sont choisies. C’est principalement durant le sixième plan (1971-1975) que la Martinique et la
Guadeloupe se dotent d’une infrastructure hôtelière de standard international. Au cours des
années 1970, la capacité hôtelière guadeloupéenne est multipliée par 2,5.
On construit 3 000 chambres d’hôtel sur la « Riviera sud de la Grande-Terre », avec la
création des stations du Gosier, de Sainte-Anne ou de Saint-François, et à la Pointe-du-Bout en
Martinique.
Photo de L’Anse Mitan dans la commune des Trois-Îlets (Martinique)
Copyright : © J.-Ch. Gay, 2008.
1986, année charnière
La loi Pons a pour intention de favoriser les investissements dans des secteurs considérés comme
prioritaires pour l’outre-mer (industrie, pêche, tourisme, agriculture, BTP, etc.), en contrepartie
d’une réduction ou d’une exonération d’impôt. Les résultats de cette
défiscalisation sont spectaculaires aux Antilles françaises. Le nombre de chambres augmente
brusquement. En dix ans, la capacité hôtelière de Saint-Martin quintuple ; le parc
d’hébergement martiniquais progresse de 56 % entre 1985 et 1990, alors que, dans le même temps,
le nombre de bateaux de plaisance fait plus qu’octupler en Guadeloupe. Mais cette loi engendre des effets
pervers, et beaucoup d’investisseurs privilégient l’intérêt fiscal au
détriment de la rentabilité des projets. Pour limiter ces abus, le Parlement vote, en 1997, une
refonte de la loi, notamment la limitation du cumul de déduction des pertes d’exploitation avec
l’investissement lui-même. En 2001, la loi Pons est remplacée par la loi Paul puis par la loi
Girardin, en 2003.
Le transport aérien bénéficie aussi de la défiscalisation, plusieurs compagnies
ultramarines (Air Guadeloupe, Aircalin, Air Tahiti Nui, etc.), mais également Air France, ont acquis des
avions à des tarifs avantageux. Toutefois, en 1986, la fin du quasi-monopole d’Air France ou de
l’UTA est le fait marquant. La libéralisation du transport aérien et l’arrivée de
nouvelles compagnies (Minerve, Aéromaritime, Air Liberté, Corsair et AOM) ont un impact sur le nombre
de sièges offerts et sur les tarifs. La politique agressive des compagnies charters oblige Air France
à réduire ses prix et le flux touristique connaît, à partir de 1987, une progression
sensible.
Des destinations secondaires
La France d’outre-mer recevait avant la crise de la COVID environ 2,5 millions de touristes par an, dont plus
de la moitié aux Antilles, tandis que la fréquentation reste faible en Guyane, à Mayotte,
à Saint-Pierre-et-Miquelon et à Wallis-et-Futuna. Toutefois, ces chiffres doivent être pris avec
précaution, car les données recueillies n’ont pas toutes la même fiabilité et ne
sont pas toujours comparables. L’observation du tourisme en outre-mer ne dispose généralement
que de peu de moyens, privant ainsi les décideurs de données sûres et à jour.
Quelques indicateurs touristiques en 2018
Source : INSEE, IEDOM, IEOM, ISPF, ISEE, comité du tourisme de Saint-Pierre-et-Miquelon, comité
territorial du tourisme de Saint-Barthélemy et observatoire régional du tourisme de Guadeloupe.
Le tourisme a un poids modéré dans l'économie ultramarine malgré les grandes
difficultés à évaluer son rôle réel. Le tourisme ne représente pas plus de
5 % des Pl B d'outre-mer, à l'exception de la Polynésie française, où il contribue
à hauteur de 17 % à la formation de celui-ci et où il emploie 18 % des effectifs
salariés. Contrairement à d'autres petites économies insulaires, la FOM n'a pas pris le
tournant touristique ces trente dernières années. Sa croissance est plus lente que celle de ses
voisins, ce qui correspond à une perte de parts de marché. L'activité de croisière y
fait aussi pâle figure. En Martinique et en Guadeloupe, le nombre de croisiéristes n'a
dépassé qu'une fois le million, en 1996, pour tomber à moins de 150 000 en 2011 et remonter
à 777 000 en 2018. Cette évolution, pour le moins cahoteuse, contraste avec la progression quasi
continue des croisiéristes dans la Caraïbe, premier bassin de croisières du monde. Force est donc
de constater que la France d'outre-mer apparaît sous-touristifiée aujourd'hui.
Photo d'un paquebot à la gare maritime de Nouméa (Nouvelle-Calédonie)
Copyright:© J.-Ch. Gay, 2011.
Un tourisme peu internationalisé
La majorité des touristes visitant l'outre-mer français est métropolitaine, en dépit de
la distance à parcourir et de la présence à proximité de foyers émetteurs
majeurs. Si cette clientèle ne représente que le quart environ de la fréquentation de la
Polynésie française et que le tiers de celle de la Nouvelle-Calédonie, ce qui est tout à
fait remarquable eu égard à l'éloignement, elle constitue environ les trois quarts du flux aux
Antilles et à La Réunion.
À l'étranger, ces destinations pâtissent de leur faible notoriété. Une bonne partie
des touristes dans les DOM ont des liens familiaux ou amicaux avec les résidents.
À La Réunion, en 2019, la clientèle affinitaire représentait 35 % des touristes. En
Polynésie française, les métropolitains, qui représentent un quart du tourisme
international en 2019, sont sept fois plus nombreux que les Japonais, pourtant deux fois plus proches, et presque
quatre fois plus nombreux que les Australiens et les Néo-Zélandais, beaucoup plus proches.
Dans les collectivités françaises du Pacifique, l'éloignement par rapport à la
métropole (plus de vingt heures d'avion) est un facteur limitant ce flux national, hégémonique
dans les DOM. Mais l'aura des mers du Sud compense partiellement ce handicap et attire des personnes pour qui se
rendre à Tahiti ou à Bora Bora est le rêve d'une vie.
Des économies non compétitives
Les contre-performances ultramarines trahissent des problèmes structurels. La manne financière reposant
sur des transferts publics colossaux, sous forme de majorations de salaires des fonctionnaires ou de versements de
prestations sociales, a un effet multiplicateur sur la demande mais un effet négatif sur les secteurs
exportateurs, comme le tourisme récepteur, considéré comme une exportation de services.
Très exposé à la concurrence des destinations environnantes ou équivalentes, qui
bénéficient de meilleures parités de change, de charges d'exploitation plus faibles, de normes
de construction moins rigoureuses et onéreuses, le tourisme récepteur est la première victime
de ce que l'on appelle le« syndrome néerlandais», et l'hôtellerie est la première
activité à subir les effets de cette situation, avec un parc hôtelier qui s'est
contracté et dont la qualité est jugée insuffisante. La multiplication des fermetures
d'établissements a des conséquences paysagères bien visibles avec la constitution de friches
hôtelières.
Les transferts publics permettent l'existence d'une demande intérieure solvable, ce qui explique l'importance
du tourisme interne et du tourisme émetteur. Eu égard au fort pouvoir d'achat d'une partie de la
population ultramarine, notamment ses fonctionnaires, qui bénéficient d'une
surrémunération conséquente, on peut noter que la balance touristique de certaines
collectivités ultramarines est négative, contrairement à la France métropolitaine.
Ainsi, les touristes qui les visitent y dépensent moins que les résidents hors de leur territoire.
À côté des séjours extérieurs, il ne faut pas omettre un tourisme interne qui a
pris beaucoup d'ampleur avec la motorisation des ménages, l'augmentation du temps libre et la multiplication
des chambres d'hôtes ou des gîtes.
Les hauts lieux du tourisme ultramarin
Par leur forte touristicité, leur internationalisation prononcée et la domination écrasante de
l'hébergement marchand, Bora Bora et Saint-Barthélemy sont à mettre à part dans l'espace
touristique ultramarin. Bora Bora est aujourd'hui l'épicentre de la Polynésie rêvée,
accueillant plus de 119 000 touristes et croisiéristes en 2019. Bora Bora est une île de petite taille
(29 km'). Il s'agit d'un presqu'atoll dont le lagon est près de trois fois plus vaste que l'île. Le
premier hôtel à ouvrir ses portes, en 1961, est le Bora Bora. Les établissements
créés ces dernières décennies sont de plus en plus luxueux et proposent majoritairement
des bungalows sur pilotis, devenus l'image d'appel de Bora Bora. Le tourisme a provoqué une croissance
démographique très forte. Entre 1971 et 2017, la population de Bora Bora a presque quintuplé,
passant de 2215 à 10605 habitants.
Hôtel de luxe avec bungalows sur pilotis installés sur les motus de l'est de Bora Bora
Copyright : © J.-Ch. Gay, 2022.
Dans le nord des Petites Antilles, Saint-Barthélemy est un modèle de réussite touristique. Le
tourisme a totalement transformé la vie de cette petite île de 21 km². Elle associe la plage, le
shopping et la gastronomie, eu égard à la richesse des touristes qui la fréquentent. Cette
destination obéit depuis trois décennies à un cahier des charges unique en France
d’outre-mer : une grande sécurité, une bonne accessibilité, un hébergement haut de
gamme et la french touch, qui la distingue de ses concurrents directs et proches. Très durement
touchée, comme sa voisine Saint-Martin, par le cyclone Irma en 2017, Saint-Barthélemy a vu les
touristes revenir en 2019, avant d’être lourdement affectée par la pandémie de la
COVID-19.
Le port de Gustavia et ses yachts (Saint-Barthélemy)
Copyright : © J.-Ch. Gay, 2007.
Destinations touristiques très secondaires à l’échelle mondiale, l’outre-mer
gagnerait certainement à être connu. Mais si le tourisme récepteur est victime de la faible
compétitivité de ces économies ultramarines, le tourisme des résidents est
particulièrement dynamique, à la fois dans leur territoire (tourisme interne) et hors de leur
territoire (tourisme émetteur).
- Sur l’histoire, l’actualité et les perspectives de la FOM, voir Jean-Christophe Gay, La
France d’outre-mer. Terres éparses, sociétés vivantes, Paris, Armand Colin,
2021.
- Sur le tourisme en outre-mer, voir Jean-Christophe Gay, Les Cocotiers de la France. Tourismes en
outre-mer, Paris, Belin, 2009. Voir aussi deux rapports officiels : Cour des comptes, « Le
tourisme en outre-mer : un indispensable sursaut », Rapport public annuel 2014, Paris, Cour des
comptes, 204, https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/2_5_1_tourisme_en_outre_mer_Tome_I.pdf
; Cécile Felzines, Le Tourisme, perspective d’avenir de l’outre-mer français. Paris,
Conseil économique et social, coll. « Avis et rapports », 2007, https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2007/2007_01_cecile_felzines.pdf.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2023-6/le-tourisme-en-france-d-outre-mer.html?item_id=7870
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