Jean-Marie GIRET

est délégué général de la Fondation BTP PLUS.

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De la fierté aux interrogations

En 2009, la Fondation BTP PLUS a fait réaliser avec le concours de PRO BTP une étude sur la perception qu'ont les jeunes salariés du BTP de leurs conditions de vie et de l'image de la profession. Il en ressort que ces jeunes professionnels sont fiers de leurs métiers, qu'ils jugent valorisants, mais ne sont pas dépourvus de craintes pour l'avenir.

Au moment de s'orienter dans la vie professionnelle, de franchir le pas, chaque jeune se retrouve face à la classique et sempiternelle question : que choisir ? Aujourd'hui, au-delà du niveau d'étude, du goût pour tel ou tel secteur, de l'estime portée à soi-même ou encore des envies personnelles, un critère est de plus en plus prégnant, il s'agit de l'image véhiculée par le métier envisagé.

Si être plombier, mécanicien, agent de sécurité ou encore technicien en informatique nécessite des compétences, savoir-faire et savoir-être différents, le métier choisi contribue aussi à construire sa propre image et, par là même, celle que l'on va projeter aux siens et aux autres. Si le choix est important, il l'est aussi pour cela.

L'image et les conditions de vie qui s'attachent aux métiers du bâtiment et des travaux publics (BTP) sont sources d'interrogations aux réponses multiples et contradictoires. Il en va de même des raisons qui font opter pour ce secteur.

Pour apporter des éléments de réponse fiables aux questions qui, dans ce contexte et sur ce sujet, taraudent les acteurs économiques et sociaux du BTP, la Fondation BTP PLUS a souhaité réaliser une photographie claire et objective des jeunes qui ont choisi ce secteur d'activité.

Donner la parole et écouter

Leur donner la parole et les écouter a été le choix délibéré de la Fondation. L'étude sur « Les conditions de vie des jeunes salariés du BTP » qu'elle a menée auprès de 1 620 d'entre eux âgés de 16 à 21 ans est riche d'enseignements.

La photographie ainsi réalisée révèle des jeunes lucides, volontaires et motivés. Ils constituent visiblement une jeunesse plus concrète et optimiste que la moyenne des autres jeunes de cette classe d'âge. Désireux d'apprendre, soucieux de s'insérer au mieux dans le BTP et de réussir leur vie, ces jeunes restent néanmoins relativement fragiles et exposés.

L'image de la profession s'est améliorée à leurs yeux : 94 % ont « une bonne opinion [d'eux-mêmes] et de ceux qui, comme [eux], exercent dans le BTP ». 77 % pensent que « les jeunes des autres secteurs d'activité ont une bonne image de ceux qui travaillent dans le BTP », contre 13 % l'inverse.

Au-delà, cette étude peut surprendre les plus optimistes, puisque 76,8 % des personnes interrogées disent qu'elles se sont orientées dans le BTP « par choix personnel et par vocation », contre 12 % pour qui c'est « faute d'avoir pu trouver autre chose ». Ces jeunes salariés sont fiers du métier qu'ils ont choisi car « on apprend un vrai métier » (39,5 %), ou encore « parce qu'il faut du courage pour travailler dans le bâtiment » (24,3 %).

Les caractéristiques de l'étude

Elle porte sur les jeunes salariés du BTP âgés de 16 à 21 ans, apprentis ou non, ouvriers et Etam (employés, techniciens et agents de maîtrise). Pilotée par Jean-Marc Ducoudray, membre du comité exécutif de la Fondation BTP PLUS, elle a été réalisée par Ipsos et avec le concours de PRO BTP, du sociologue Éric Donfu et du cabinet Michel Tuchman. Elle repose sur l'analyse de 1 620 questionnaires reçus et exploitables, sur un échantillon de 6 068 jeunes. L'échantillon recouvre 18 activités en travaux publics, gros œuvre et second œuvre. L'étude quantitative a été réalisée du 4 au 29 juin 2009. Elle a été complétée par des entretiens qualitatifs en novembre et décembre 2009 à Lyon, Paris et Rouen.

Tous ses résultats sont accessibles sur www.fondationbtpplus.fr.

Un métier « valorisant » mais « fatigant »

73 % se disent « heureux dans [leur] vie professionnelle » et 85 % « heureux dans [leur] vie personnelle ». On observera aussi que près de 9 jeunes sur 10 considèrent leur métier comme valorisant : « c'est jamais pareil », « on est en contact direct avec le client », « on participe à une réalisation qui se voit et dont on est fier ».

S'ils ont conscience de vivre dans un monde professionnel en mouvement, ils veulent contribuer à son dynamisme et à sa valorisation : 93 % d'entre eux pensent que « les techniques des métiers du BTP évoluent » et 85 % que « le secteur nécessite une qualification ». Ces constats ne peuvent qu'inciter ceux qui sont aujourd'hui en apprentissage à obtenir leur diplôme.

À la question de savoir « quelle est la caractéristique la plus importante de [leur] activité professionnelle », les 16-21 ans du BTP mettent d'abord en avant les valeurs professionnelles : « le sérieux et la fiabilité » (32 %), suivi de près par « l'expérience acquise » (30 %). Viennent ensuite « l'autonomie » (22 %) et « la capacité d'initiative » (13 %).

Autant de paramètres à intégrer par tous les intervenants qui jouent un rôle dans l'orientation des jeunes et dans la communication qui entoure l'emploi dans le BTP. Mettre en lumière ces atouts de la profession ne peut que valoriser l'image de ses métiers auprès des jeunes en général, mais aussi des familles et des acteurs du système éducatif.

Cette vision positive et cet élan d'optimisme ne doivent cependant pas cacher les interrogations et points faibles que reflètent les résultats de cette étude. « La fatigue le soir » touche « très souvent » ou « souvent » 62 % d'entre eux. Ils sont 33 % à se plaindre de « mal au dos » et 35 % à « souffrir très souvent » ou « souvent » de coupures et de blessures.

Un avenir durable dans la profession ?

Pour expliquer la mauvaise image récurrente des métiers du BTP auprès d'une partie du grand public, les jeunes qui l'exercent citent en premier lieu « la pénibilité du métier » (27 %) et, au même niveau, « la méconnaissance de ces métiers ». Arrive beaucoup plus loin la « mauvaise réputation due entre autres aux addictions, comme la consommation d'alcool ».

Sur leur avenir professionnel, 50 % des jeunes du BTP s'imaginent « encore dans une entreprise du BTP dans les cinq ans à venir », 32 % « ne [savent] pas », et 18 % pensent « quitter le secteur dans les cinq ans ». Le nombre de « je ne sais pas » en réponse à cette question est le plus élevé parmi les quelque 62 questions posées dans cette étude. Pourtant, sur le plan professionnel, et cela peut paraître contradictoire, « avoir un emploi stable » est le critère le plus important pour eux.

Cette difficulté des jeunes du bâtiment à se prononcer sur « la durée de vie dans le métier », même s'ils ne sont pas les seuls à l'éprouver à cet âge-là, peut révéler un certain malaise et interpelle. En effet, cette étude, comme on vient de le voir, montre que les atouts des métiers du BTP auprès des jeunes sont bien réels. La protection sociale qui les entoure en est une illustration de plus. Il est donc important que tous ces attraits soient valorisés pour permettre à la profession, d'une part, d'être plus attractive aux yeux de tous et, d'autre part, de garder durablement les jeunes sur lesquels elle a investi.

La difficulté de se loger

Vie professionnelle et vie personnelle se rejoignent souvent aux yeux de ces jeunes, d'autant que 79 % d'entre eux vivent chez leurs parents. Cela n'est pas sans incidence sur leurs conditions de vie. L'étude montre que ne pas habiter chez ses parents expose davantage à la fatigue, aux problèmes de santé et aux addictions.

S'ils sont légèrement plus optimistes que les autres, ceux qui n'habitent pas chez leurs parents ressentent néanmoins plus de stress, tant au travail qu'en pensant à leur avenir. La transition vers une vie indépendante nécessite pour eux des aides plus adaptées. Or 70 % d'entre eux disent ne bénéficier d'aucune aide financière à ce jour. Quand ils en reçoivent une, elle vient en premier lieu de leur famille (15 %), puis de l'APL (11 %).

À la question : « Aujourd'hui, avec vos ressources actuelles qu'est-ce qui est facile ou difficile pour vous ? », les premières difficultés mentionnées concernent le logement. « Trouver un logement » est considéré comme « difficile ou impossible », tout comme « avoir des prêts pour acheter un logement » (86,8 %) ou encore « acheter une voiture » (70,7 %). Enfin, « avoir de l'argent pour le téléphone et Internet » et « avoir de l'argent pour s'acheter des vêtements » est jugé important par respectivement 40 % et 34,7 % d'entre eux.

Quand on observe que 87 % des personnes interrogées n'ont jamais entendu parler des aides spécifiques mises à leur disposition pour, précisément, le logement, la santé, l'achat d'un véhicule, on mesure le travail d'information qui reste encore à accomplir par les partenaires et organismes sociaux du BTP sur ces questions. En effet, il s'agit là de réels avantages, forts en image.

À propos des accidents, les données recueillies ne permettent pas de faire la différence entre les accidents de la vie personnelle et de la vie professionnelle. Nous sommes en effet en présence de jeunes actifs et sportifs (54 % disent pratiquer un sport). Parmi ces jeunes de 16 à 21 ans, 21 % ont eu un problème de santé lié à un accident (33 % pour les ouvriers des très petites entreprises), 25 % ont déjà été aux urgences et 6 % ont déjà passé une nuit à l'hôpital.

État général de santé « bon », mais...

Le recours aux professionnels de santé n'est cependant pas une priorité pour ces jeunes, qui estiment à 89 % que leur état de santé général est aujourd'hui « très bon » ou « bon » et à 1 % qu'il est « mauvais ».

En effet, seuls 28 % d'entre eux ont recours régulièrement à un professionnel de santé, quelle que soit la spécialité de celui-ci : généraliste, spécialiste, dentiste, kinésithérapeute, pharmacien...

L'état de santé perçu exercerait-il une influence dans le choix des jeunes de rester plus ou moins longtemps dans la profession ? En tout cas, nous observons que ceux qui disent avoir un état de santé « moyen » (9,7 %) sont deux fois plus nombreux ou presque (17 %) parmi ceux qui ne se voient pas rester durablement dans la profession.

S'il peut paraître naturel que 61,7 % des 16-21 ans qui sont dans le BTP éprouvent du stress « face à un examen », plus surprenant est de constater qu'ils sont 26,1 % à en avoir « face à [leur] avenir », avenir sur lequel, pourtant, 68 % se disent « optimistes » ! On observera que « les finances » sont aussi cause de stress chez 34,4 % d'entre eux.

Et les loisirs ? Cela va de 79,8 % qui écoutent « très souvent » ou « souvent » de la musique, à 3 % qui « visitent des expositions ou musées ». « Sortir avec des amis » et « écouter la radio » sont les activités qui reçoivent beaucoup de suffrages, mais seuls 14,3 % déclarent « lire des livres ou des BD ». Enfin, « surfer sur Internet » et « regarder la télévision » sont pratiquement au même niveau, avec des scores respectifs de 54,9 % et 54,5 %.

Acheter une voiture, vivre en couple et créer sa propre entreprise

Au-delà de leur fierté d'appartenance à cette profession, de leurs interrogations et de leurs contradictions, huit sur dix de ces jeunes de 16 à 21 ans se disent « énergiques ». Leur volontarisme (66 % disent arriver à trouver des solutions à un problème quand d'autres ont renoncé) n'exclut pas une certaine lucidité, puisqu'ils sont 47 % à affirmer qu'ils « [s'attendent] rarement à ce que les choses aillent comme [ils veulent] » ! Un chiffre qui tranche cependant avec les 67 % d'adhésion à la phrase suivante : « En cas d'incertitude, je m'attends d'habitude au meilleur. »

Enfin, quand on leur demande « ce que vous souhaitez le plus dans votre vie actuelle », « acheter une voiture » (20,4 %), « vivre en couple » (18,2 %) et « créer [sa] propre entreprise » (13,5 %) sont leurs trois priorités.

La volonté de la Fondation BTP PLUS est que, à travers les résultats de cette étude, les acteurs de la profession puissent dégager des pistes de réflexion en décryptant les attitudes et comportements des jeunes de cette génération, tant dans leur vie personnelle que professionnelle. Cette étude traduit de la fierté et des valeurs partagées. Les réponses obtenues illustrent aussi les paradoxes d'une génération qui brandit souvent aussi le « tout, tout de suite ». Elles mettent le doigt sur les points à surveiller, comme la santé, le transport et le logement. Enfin, pour beaucoup d'entre elles, ces informations recueillies sont aussi source d'espoirs. À nous tous, acteurs de la profession, de fédérer encore et encore nos énergies pour concrétiser précisément ces espoirs et les rendre durables plutôt que déçus.

La Fondation BTP PLUS a été créée en 2005 sous l’égide de la Fondation de France. Elle est la fondation de l’entreprise BTP Gestion, organisme paritaire de l’épargne salariale pour le secteur du bâtiment et des travaux publics. La vocation de la Fondation BTP PLUS est de soutenir, par des subventions, des projets sociaux innovants favorisant l’autonomie des personnes et la promotion sociale. Elle est présidée par Alain Émile.

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