Florence LEGROS

Recteur de l'académie de Dijon et professeur à l'université de Paris-Dauphine.

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La difficile équation du financement

La question du financement des retraites n'est pas nouvelle, tant s'en faut. Elle est complexe, touche à plusieurs domaines et requiert une bonne connaissance des mécanismes économiques, car les décisions qui sont prises en matière de financement ne sont pas sans conséquences sur les comportements - qu'ils soient relatifs à l'épargne ou aux salaires - et leurs impacts peuvent être durables.

Afin de fixer les idées, on peut donner une idée des dérives en termes de coût qui pourraient marquer les prochaines décennies. Sans réforme additionnelle par rapport à celles qui seront abordées ci-dessous, alors que les dépenses de retraite représentent aujourd'hui en France 13 % du produit intérieur brut, elles représenteront en 2040 18 % du PIB. Une autre manière de quantifier est de dire que, si l'ajustement devait reposer uniquement sur l'âge de la retraite, celui-ci devrait croître de sept à neuf ans.

Un retour rapide sur le diagnostic s'impose. Les difficultés des régimes de retraite 1 ont pour source le vieillissement de la population. Sans ambiguïté, parmi les trois raisons habituellement citées : baisse de la fécondité, arrivée à la retraite des enfants du baby-boom, augmentation de l'espérance de vie, c'est la troisième qui domine. D'ici 2050, le nombre de retraités français augmentera de 80 %, à comparer à une diminution du nombre d'actifs de 10 %. L'arrivée à la retraite des enfants du baby-boom a un effet transitoire et la baisse de la fécondité (limitée dans le cas français), un impact faible. Le phénomène auquel on assiste est donc inéluctable. Cela a une conséquence immédiate : ni la reprise de l'immigration, ni celle de la natalité, ni même une forte décrue du chômage, voire un accroissement des taux d'activité, ne constitueraient une échappatoire dans le long terme, puisqu'il faudra payer - de toute manière - des retraites de plus en plus longues.

L'impact massif de la réforme de 1993

En 1993, les régimes de retraite du secteur privé ont fait l'objet de trois mesures qui marqueront fortement les taux de remplacement [mesurés comme étant le rapport entre la pension moyenne et le salaire moyen des actifs]. La première consistait à allonger la durée pour le calcul du salaire de référence ; jusque-là, le salaire de référence était la moyenne des dix meilleures années de carrière ; ce sera désormais (en 2008, l'augmentation étant progressive) vingt-cinq années. Seconde mesure, l'indexation sur les prix (et non plus sur les salaires) des pensions et également des salaires portés au compte : en d'autres termes, les salaires passés seront maintenant actualisés au taux d'inflation et non au taux de croissance du salaire moyen. Troisième mesure, le passage à 160 trimestres validés, contre 150 précédemment, pour avoir une pension à taux plein. Ces trois mesures vont considérablement dégrader les taux de remplacement.

L'indexation sur les prix induit un décrochage par rapport au salaire moyen de l'économie tout au long de la durée de retraite. En euros constants, les pensions sont stables (indexation sur les prix), mais rapportées au pouvoir d'achat des actifs du moment, elles perdent énormément : si l'on admet une augmentation réelle des salaires de 2 % l'an durant la période, les pensions décrochent de 2 % l'an par rapport au pouvoir d'achat des salariés. En équivalent parité de pouvoir d'achat, après trente ans de retraite, les pensions auront perdu 45 % de leur valeur.

L'allongement des études, d'une part, les périodes de chômage ou d'inactivité, d'autre part, sont autant de facteurs qui viennent diminuer la probabilité d'avoir cotisé quarante ans à 65 ans. L'enquête patrimoine de 1998 montrait que 73 % de la génération 1953-1957 avait vingt ans de cotisation à 40 ans et 63 % de la génération née entre 1963 et 1967 avaient cumulé dix ans de cotisation à 30 ans. Si l'on ajoute à ces difficultés celles qui tiennent au faible taux d'activité des travailleurs dits âgés, il est fort probable que moins de 70 % des salariés auront une carrière complète à 65 ans. Cela nous amène à considérer le rôle de la croissance économique.

Les effets de la croissance économique

La croissance économique n'a pas d'impact de long terme sur l'équilibre des régimes, mais il serait faux de prétendre qu'elle n'a aucun effet. Elle a d'abord un effet très défavorable lié à l'indexation sur les prix : la croissance de l'économie allant de pair avec celle des salaires, plus la croissance est forte, plus le décrochage des pensions par rapport aux salaires est fort.

Deuxième effet, la croissance économique implique une tolérance accrue à une éventuelle augmentation de cotisations, puisqu'elle augmente les salaires. Troisième effet, lié au précédent : une plus grande croissance économique ne plaide pas nécessairement en faveur d'un passage à un système mixte composé de plus de capitalisation, puisque la baisse de population active rend le capital surabondant et donc dégrade son rendement, alors que des salaires plus élevés sont favorables à la répartition, puisque les pensions sont proportionnelles aux salaires ; les retraités s'en trouvent donc mieux lorsqu'ils liquident leur pension. En outre, un accroissement de l'espérance de vie accroît également le coût de la capitalisation car, à durée de cotisation constante, il faut épargner plus pour bénéficier d'une rente plus longue. Il est donc illusoire de penser que la capitalisation est totalement imperméable aux changements démographiques et donc n'en supporterait pas le coût. Son intérêt est, d'une part, de couvrir les individus contre une dégradation possible de la générosité des régimes obligatoires et, d'autre part, d'être apte à fournir des rendements plus importants... mais au prix d'un risque plus élevé.

L'impact limité du chômage

Une question troublante est celle du rôle du taux de chômage dans l'équilibre du système. Il a, par lui-même, un impact très limité, puisque l'augmentation des effectifs cotisants augmente à moyen terme les ressources du régime mais, à long terme, en accroît les charges. Cependant, la loi de 2003, dite « Fillon », remet la question du chômage au centre de la réforme. Schématiquement, elle planifie un allongement graduel de la durée de cotisation pour bénéficier d'une pension complète et instaure une proportionnalité plus stricte entre retraite perçue et cotisation versée. Toutefois, ces dispositifs ne permettent pas d'assurer l'équilibre financier des retraites à l'horizon 2020 ; il est donc prévu que le déficit résiduel des régimes sera financé grâce à un transfert des excédents de l'assurance-chômage (avec un maximum de trois points de cotisation). C'est la raison pour laquelle l'évolution du chômage devient un paramètre clé. Ainsi, un différentiel de chômage peut, dans le cas favorable, permettre la capitalisation des excédents transitoires de l'assurance-chômage et assurer le financement des régimes sur les quarante prochaines années ou, dans le cas défavorable, déboucher sur un besoin de financement très significatif à l'horizon d'une vingtaine d'années.

Il faut bien voir que, régulièrement, les liens entre chômage et retraite sont l'objet d'un grand mythe bien entretenu, à savoir que la baisse mécanique du taux de chômage va de pair avec la baisse de la population active consécutive à l'arrivée des baby-boomers à l'âge de la retraite. Cette idée selon laquelle le recul massif et rapide du taux de chômage signifierait purement et simplement la stabilité des besoins en emplois de l'économie est plus que discutable.

Au total, il est dangereux de compter sur le comportement malthusien du marché du travail pour régler le problème de financement des retraites, ce que l'actualité nous a d'ailleurs appris.

Et l'épargne-retraite ?

Deux produits ont vu le jour à l'occasion de la loi de 2003. Le PERCO est l'héritier direct et remanié de l'épargne salariale ; c'est un outil collectif, souvent abondé par les entreprises, pouvant donner lieu soit à une rente, soit à un capital. Le PERP est un outil individuel, liquidable uniquement en rente. Si le PERCO progresse, le PERP a un succès si modeste que le législateur a dû intervenir pour qu'il ne perde pas les avantages fiscaux liés.

Le choix du capital plutôt que de la rente est souvent attribué à une forme d'incohérence des choix des ménages. De ce point de vue, les ménages français ne sont pas très originaux et les produits en rente remportent partout un succès plus que mitigé. On attribue ce désintérêt à l'antisélection ; les épargnants auraient tendance à sous-estimer leur espérance de vie et opteraient pour des produits liquidables en capital afin d'en « avoir plus pour leur argent ». En outre, la retraite par répartition procurant aujourd'hui un taux de remplacement moyen à la liquidation proche de 70 %, auquel on peut ajouter les loyers fictifs tirés de la propriété des logements, on peut considérer que les Français sont déjà très pourvus en rente et qu'il est assez rationnel de ne pas vouloir acquérir d'autres produits procurant des annuités.

Il est clair que si le législateur souhaite faire acquérir des produits en rente aux individus, l'un des principaux leviers consiste en incitations fiscales, dispositif coûteux pour les deniers publics.

À la recherche de la solution miracle...

Dans les années 1990, la mode était indéniablement à la capitalisation. Le problème est qu'on a rapidement mis en évidence qu'elle n'était pas imperméable aux chocs démographiques, ce qu'on a rappelé plus haut. La mode est donc passée.

Les années 2000 ont vu les esprits s'enflammer pour le régime suédois. Ce système, dit « notionnel, à cotisations définies », est basé sur le principe de la neutralité actuarielle ; on récupère ce qu'on a cotisé et une retraite précoce décroît la rente perçue, puisqu'alors l'espérance de vie à la retraite est plus importante. Le système est paré de nombreuses vertus, de l'équilibre à long terme du régime à l'incitation à travailler tardivement. Le problème est qu'il n'est ni autostabilisant (s'agissant d'un régime par répartition, il appartient toujours aux « petites générations » de payer pour les « grosses », ce qui implique soit un fonds de réserve pérenne, soit des fluctuations de cotisations comme dans tout régime par répartition), ni plus propice que les autres à l'équité entre catégories sociales. Il a été avancé qu'on pouvait segmenter la population entre catégories aux espérances de vie différentes et appliquer à chaque classe une rente variable en fonction de son espérance de vie, mais cela a deux effets indésirables : d'une part, les écarts d'espérance de vie intraclasses sont supérieurs aux écarts interclasses et la segmentation doit aller jusqu'à l'individu si l'on veut réellement régler le problème ; d'autre part, le statut d'ouvrier pourrait bénéficier d'une grande adhésion pour des raisons opportunistes évidentes.

Le fonds de réserve, quel avenir ?

Il est très dommage que rien de particulier ne soit consacré au fonds de réserve dans ce numéro pourtant complet. Il est vrai que son volume est faible, 33 milliards d'euros pour les 150 attendus. Concrètement, il semble que la question soit aujourd'hui celle de sa pérennité ou de son utilisation à d'autres fins.

En l'absence de solution miracle d'autorégulation économique ou liée à une baisse du chômage, à une explosion bienfaisante de la croissance économique, à un fonds de réserve sans limites, la seule solution semble bien résider en un alignement de l'âge de la retraite tel qu'il équilibre le ratio entre le nombre d'inactifs et celui de retraités. Il faut mentionner que ce ratio collectif mène à un âge de la retraite sensiblement plus élevé que le ratio individuel, basé sur le rapport entre la durée de vie à la retraite et la durée de vie active qui a été retenu par la loi de 2003. Il faut également rappeler que cela ne peut se faire sans des mesures drastiques sur l'emploi des seniors : il est clair que l'arrêt pur et simple des préretraites est un préalable incontournable.

Bibliographie

  • Elsa Fornero et Elisa Luciano, Developing an Annuity Market in Europe, Edward Elgar Publishing, 2004.
  • Stéphane Hamayon et Florence Legros, « Construction and Impact of a Buffer Fund Within the French PAYG Pension Scheme in a Demo-economic Model », CESifo Working Paper, n° 531, 2001.
  • Florence Legros, « Les régimes de retraite en comptes notionnels ne sont pas la panacée », L'Agefi Hebdo, 4 décembre 2008.
  1. Cet article ne traite que du régime du secteur privé.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2010-2/la-difficile-equation-du-financement.html?item_id=3010
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