Bob BALDWIN


est consultant à Ottawa, spécialiste des questions de retraite, de vieillissement et du marché du travail.

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Le système canadien à la croisée des chemins

Au cours de la dernière partie du XXe siècle, les revenus des personnes âgées canadiennes ont connu une croissance rapide. Mais au début du XXIe siècle, le programme privé du système de revenu de retraite (SRR) du Canada a commencé à susciter des craintes considérables. Les ministres des Finances fédéral et provinciaux examinent actuellement les différentes options qui s'offrent à eux pour le réformer.

À l'instar de la plupart des pays membres de l'OCDE, le système de revenu de retraite (SRR) du Canada se fonde sur trois piliers :

1) Le premier pilier est principalement constitué de deux programmes administrés par le gouvernement du Canada : un programme de prestations forfaitaires (sécurité de la vieillesse ou SV) versées à tous les Canadiens âgés de 65 ans et répondant aux exigences en matière de résidence (les personnes âgées percevant les revenus les plus élevés paient une surtaxe spéciale sur leurs prestations), et une prestation subordonnée aux revenus destinée aux personnes âgées à faibles revenus (le supplément de revenu garanti ou SRG). Ces programmes sont financés par les recettes fiscales générales selon une méthode de répartition.

2) Le deuxième pilier se compose de deux programmes publics : le régime de pension du Canada (RPC), en vigueur dans toutes les provinces à l'exception du Québec, et le régime de rentes du Québec (RRQ), qui ne s'applique qu'au Québec. Ensemble, ces régimes ont vocation à se substituer à 25 % des revenus antérieurs à la retraite d'une personne, jusqu'à concurrence des traitements et salaires moyens (TSM) à 65 ans. Les prestations peuvent commencer à être versées avant et après 65 ans sur une base ajustée.

Il existe une complète transférabilité entre les régimes RPC et RRQ. La participation revêt un caractère obligatoire pour les salariés et les travailleurs indépendants, et les cotisations sont calculées sur la base des revenus, jusqu'à concurrence des traitements et salaires moyens. Les régimes disposent actuellement de fonds de réserve représentant approximativement quatre années de paiement de prestations. Les réserves devraient être portées à six années de paiement à l'avenir.

3) Le troisième pilier comprend les régimes de retraite d'employeur (RRE) et les comptes d'épargne-retraite individuels. Il est administré par le secteur privé, mais bénéficie d'un soutien gouvernemental sous forme de mesures fiscales et d'une surveillance réglementaire. Toutefois, le nombre de travailleurs actifs affiliés aux RRE est en diminution. La participation aux RRE est associée de façon positive aux grandes entreprises, à l'appartenance syndicale, au niveau de revenu et de scolarité. En comparaison, l'utilisation de comptes d'épargne-retraite individuels dépend fortement du niveau de revenus. Ce troisième pilier est par nature hétérogène.

Le premier pilier offre une garantie de revenu minimal pour les personnes âgées canadiennes qui se situent juste au-dessous du seuil de pauvreté. Les trois piliers réunis contribuent au maintien du niveau de vie des Canadiens à la retraite. Toutefois, comparés aux autres pays de l'OCDE, les deux premiers piliers du Canada n'ont qu'une contribution limitée au remplacement des revenus antérieurs à la retraite, mais leur rôle est essentiel pour les revenus les plus faibles. Les Canadiens jouissant de revenus moyens à élevés doivent s'en remettre principalement au troisième pilier.

Une période de progrès

La fin du XXe siècle a été marquée par une progression notable des revenus des ménages canadiens les plus âgés : leurs revenus réels ont crû de 55 % entre 1976 et 2006, contre 79 % pour ceux des personnes âgées vivant seules. L'écart de revenu entre les personnes âgées a eu tendance à se combler sur la période, bien que cette tendance se soit récemment quelque peu renversée.

Le taux de pauvreté chez les personnes âgées est tombé de 35 % à 3 % au milieu des années 1990. Bien qu'il ait légèrement augmenté depuis cette période, il reste l'un des plus bas de l'OCDE. De récentes études ont également montré que la majeure partie de la population opère la transition entre la vie active et la retraite sans perte notable de niveau de vie, même si ce n'est pas le cas pour une importante minorité. En outre, l'écart de revenu entre les personnes âgées et non âgées s'est réduit au fil du temps.

La progression des revenus réels des personnes âgées est principalement due aux régimes de pension du Canada (RPC) et des rentes du Québec (RRQ) ainsi qu'au troisième pilier. Néanmoins, les revenus réels provenant du RPC et du RRQ ont cessé de croître au milieu des années 1990 : cette tendance a touché plus particulièrement les personnes âgées à faibles revenus. Le revenu réel issu du troisième pilier a continué de progresser tout au long de la période : cette évolution a principalement bénéficié aux personnes à revenus moyens à élevés. Le revenu issu du premier pilier est resté stable, alors que les revenus d'emploi et des placements ont diminué. Au milieu des années 2000, le revenu d'emploi a commencé à croître légèrement.

La croissance soutenue dont nous venons de parler ne signifie pas pour autant que le mérite en revient uniquement au système de revenu de retraite du Canada (SRR). Elle traduisait plutôt l'interaction entre le SRR et un ensemble de conditions économiques particulières : des taux élevés de rendement des actifs financiers, une faible croissance des salaires et un faible taux d'inflation. Dans d'autres circonstances, le même SSR aurait donné des résultats différents. En outre, le troisième pilier a soulevé un certain nombre de problèmes.

Des questions en suspens

La réglementation des retraites d'employeur est de la responsabilité conjointe des gouvernements fédéral et provinciaux, ce qui a donné lieu à dix séries de lois à caractère réglementaire au Canada (une province ne possède pas de loi à caractère réglementaire). Les lois traitent généralement un ensemble de questions communes : droits à prestations des bénéficiaires (par exemple, règles d'acquisition et prestations de réversion) ; besoins de financement pour les régimes de retraite à prestations déterminées (PD) ; et droits des membres au titre du régime (par exemple, droit d'information).

Les lois actuelles ont été élaborées à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Un certain nombre de problèmes sont apparus au fil du temps et ne sont toujours pas résolus à ce jour, ce qui complique inutilement la gestion des retraites d'employeur :

  • très souvent, l'application des lois à un nombre croissant de régimes combinant des éléments de prestations déterminées et de cotisations déterminées (CD) manque de clarté ;
  • les lois à caractère réglementaire des juridictions manquent d'uniformité (même lorsqu'il n'existe pas de différence manifeste de politique) ;
  • il existe des différends juridiques non résolus sur l'utilisation appropriée de l'excédent des régimes à prestations déterminées.

Au cours des dernières années, plusieurs provinces ont mené des enquêtes sur ces différents problèmes. Si les recommandations élaborées à la suite de ces enquêtes sont adoptées, elles devraient faciliter la gestion des retraites d'employeur, mais n'apporteront pas de solution aux difficultés mentionnées ci-dessus.

Quelles conditions financières ?

À la fin des années 1980, les régimes de retraite d'employeur à prestations déterminées se sont vu imposer des obligations financières qui s'adaptent davantage aux évolutions du marché que par le passé. Ces nouvelles dispositions sont quasiment passées inaperçues durant la première décennie qui a suivi leur adoption : le marché des actions était en plein essor et les taux d'intérêt étaient relativement élevés. Toutefois, les baisses des taux d'intérêt survenues en ce début de millénaire se sont traduites par une augmentation des passifs et les deux effondrements des marchés des valeurs mobilières (2000-2002 et 2008) ont entraîné la dégradation de l'actif des bilans. Les cotisations des employeurs aux régimes de prestations déterminées, qui étaient stables, en cumul, à environ 10 milliards de dollars par an dans les années 1990, sont passées à 18 milliards de dollars en 2004 et à 24 milliards de dollars en 2008.

Les promoteurs des régimes d'employeur à prestations déterminées qui avaient demandé un assouplissement des règles de financement ont obtenu gain de cause. Leurs requêtes sont généralement appuyées par des groupes d'employeurs. Mais cet assouplissement accroît le risque de la cessation d'un régime dans le cadre d'une mise en faillite de l'entreprise, alors que les actifs sont insuffisants pour honorer les engagements. Même les employeurs les plus importants ne sont pas à l'abri de ce type de risque.

Depuis le début des années 1990, nombre de régimes de retraite publics destinés aux employés ont abandonné les régimes à prestations déterminées pures au profit de régimes associant gouvernance conjointe et partage des coûts conjoint. Les récentes difficultés financières ont conduit certains de ces régimes à étendre le partage des risques par les participants aux prestations et ils proposent désormais une indexation postérieure au départ en retraite en fonction du rendement financier du régime.

La baisse de la couverture en question

La part de la population salariée participant aux régimes de retraite d'employeur a diminué de manière constante depuis la fin des années 1970, passant d'environ 46 % à 38 % en 2008. Sur la même période, on constate un changement dans le mode de couverture des régimes de retraite d'employeur, qui sont passés de régimes à prestations déterminées à des régimes à cotisations déterminées. La part des adhérents à un régime de retraite d'employeur à prestations déterminées a diminué de 94 % en 1977 à 77 % à l'heure actuelle. Ces tendances s'observent à la fois dans les secteurs public et privé, tout en étant plus marquées pour le second.

Jusqu'à présent, le déclin de la participation n'a eu aucune incidence sur le revenu de retraite total ou sur le revenu issu du troisième pilier, et ce pour plusieurs raisons :

  • dans le milieu des années 1990, le recours accru aux régimes d'épargne-retraite individuels a compensé la baisse de participation aux régimes d'employeur. Ce phénomène de compensation ne joue plus depuis cette époque ;
  • tandis que la quote-part de la population active participant à des régimes d'employeur a diminué, la quote-part de la population adulte faisant partie de la main-d'œuvre salariée a augmenté. La quote-part de la population adulte participant à des régimes d'employeur est donc restée stable ;
  • la participation des ménages s'est révélée plus stable que la participation individuelle.

Les deux derniers points témoignent de la participation croissante des femmes au sein de la population active salariée. Mais, à l'avenir, cette évolution ne devrait pas offrir une marge de manœuvre suffisante pour compenser le déclin de la couverture.

La baisse de la participation fait craindre que, dans l'avenir, de nombreuses personnes ne soient pas en mesure de maintenir leur niveau de vie à la retraite. Le passage aux régimes à cotisations déterminées suscite des craintes quant à la prévisibilité et à la garantie des revenus de retraite futurs (la distinction entre prestations déterminées et cotisations déterminées est généralement considérée comme un choix bimodal). Mais avec l'apparition de régimes hybrides, il est manifestement plus approprié de réfléchir en termes d'éventail de choix.

Quelles perspectives ?

L'étude laisse à penser que le système de revenu de retraite du Canada continuera de proposer un revenu relativement satisfaisant aux personnes âgées dans un environnement économique et institutionnel stable. Il subsistera néanmoins des zones de pauvreté et une minorité non négligeable des salariés à moyens et hauts revenus verra son niveau de vie diminuer de manière significative. D'aucuns ont également exprimé certaines craintes quant à leur manque d'ampleur, à la faiblesse de la gouvernance et à l'insuffisance d'harmonisation des intérêts entre les bénéficiaires des régimes et les agents chargés de leur mise en œuvre.

Mais l'environnement n'est pas stable. La participation aux régimes d'employeur diminue et les régimes à prestations déterminées sont délaissés au profit des régimes à cotisations déterminées. De plus, les changements démographiques et les évolutions économiques augmentent la pression sur les cotisations aux régimes et les taux d'épargne-retraite : la durée de la retraite augmente par rapport à celle de cotisation ou d'épargne, et l'écart entre les rendements des actifs financiers et la croissance des salaires s'amenuise. En outre, les régimes d'employeur à prestations déterminées arrivent à échéance et sont, par conséquent, financièrement plus volatils.

À l'heure où ce document est rédigé, les gouvernements fédéral et provinciaux du Canada étudient l'élaboration de réformes visant à répondre aux problèmes évoqués dans le présent article. Les discussions portent sur deux types de questions :

1) les dispositions réglementaires et juridiques ;

2) la conception globale du système de revenu de retraite du Canada pour résoudre le problème de la baisse de participation aux régimes d'employeur.

Il est impossible de prévoir l'issue de ces délibérations à l'heure actuelle. Les parties prenantes ont d'ores et déjà proposé un large éventail d'options. Du fait du vieillissement relativement rapide de la population canadienne, il devient de plus en plus important de trouver un juste milieu entre le bien-être d'une population de personnes retraitées en augmentation et la volonté et la capacité d'une population active relativement moins importante à renoncer à un revenu pour financer le système de revenu de retraite.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2010-2/le-systeme-canadien-a-la-croisee-des-chemins.html?item_id=3018
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