Antoine d' AUTUME


est professeur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et à Paris School of Economics. Il est membre du Conseil d’analyse économique.

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Comment améliorer l'emploi des seniors ?

La France ne progresse pas dans ce domaine. Les plans d'action se succèdent depuis une décennie, sans parvenir à porter son taux au niveau observé dans la plupart des autres pays développés : 38 % seulement des personnes âgées de 55 à 64 ans sont actives en France, alors que cette proportion s'élève en moyenne à plus de 45 % dans l'Union européenne.

Les tableaux ci-dessous montrent à quel point la France fait figure de mauvais élève en matière d'emploi des seniors. Seule l'Italie est à la traîne, tandis que les autres pays se situent au-delà de 50 % et que la Suède atteint un taux record de 70 %. Ces autres pays ont souvent nettement progressé. Les Pays-Bas, l'Allemagne et la Finlande n'avaient pas un meilleur score que la France en 1994. Mais des politiques énergiques leur ont permis de réaliser depuis des progrès à deux chiffres, tandis que la France stagnait.

Nos mauvais résultats dans la tranche des 55-64 ans tiennent évidemment au choix de la retraite à 60 ans, conquête sociale emblématique qui se révèle difficile à remettre en cause. Mais le tableau suivant, portant sur les 55-59 ans, est non moins édifiant, car il montre que notre pays n'est pas meilleur dans cette tranche d'âge : 56 % seulement des 55-59 ans travaillent en France, alors que ce taux avoisine ou dépasse 70 % dans la plupart des pays développés.

Le troisième tableau identifie pourtant un domaine où la France dépasse ses partenaires. Il est bien connu que la France obtient de mauvaises notes en matière d'emploi aux deux extrémités de la pyramide des âges : les jeunes et les seniors sont mal traités sur le marché du travail français et les taux d'emploi de ces catégories sont plus bas qu'à l'étranger. Mais on sait moins que la France réalise une meilleure performance que les autres pays au milieu du spectre et que le taux d'emploi des 25-54 ans y est particulièrement élevé.

La France semble ainsi choisir implicitement de résoudre son problème général de chômage en poussant les seniors vers la sortie et en retardant l'entrée des jeunes dans la vie active, en les faisant passer en outre par le filtre des CDD.

Ce choix est coûteux, pour les individus concernés en premier lieu, car il est presque impossible de retrouver un emploi après 55 ans quand on le souhaite et souvent difficile de le conserver. Une indemnisation relativement généreuse ne dissipe pas ce sentiment d'exclusion. Il est aussi coûteux pour tous, car il pèse lourdement sur le financement de la protection du travail. Le sous-emploi des seniors constitue également un facteur de blocage de la réforme des retraites. Il représente enfin un gaspillage économique, par la diminution de la production et la non-utilisation des capacités propres des seniors.

Tout le monde s'accordera sans doute à juger cet état de fait dommageable. Mais les avis différeront plus quant à ses causes et aux moyens d'y remédier.

La gestion des âges dans l'entreprise

Les plans d'action négociés entre les partenaires sociaux, généralement sous l'impulsion des pouvoirs publics, mettent l'accent sur la nécessaire réévaluation du rôle des seniors dans l'entreprise. Il est difficile aujourd'hui de penser que les capacités productives d'un homme ou d'une femme de 60 ans aient diminué au point de rendre son emploi non rentable pour son employeur. Des solutions, en tout cas, devraient pouvoir être trouvées. L'usure physique due à un travail pénible peut et doit être limitée grâce aux progrès techniques. Le stress mental, qui en constitue le pendant pour les travaux non physiques, est aussi réductible - peut-être plus difficilement - par une organisation du travail plus attentive aux individus, préservant leur capital productif. L'encouragement à l'acquisition, individuelle et collective, d'expérience est aussi source de productivité et donc de profit pour l'entreprise. Une gestion active des âges dans l'entreprise, s'appuyant sur des bilans de compétences, devrait alors permettre aux seniors d'y trouver et d'y conserver toute leur place. Force est pourtant de constater que cela n'a pas été le cas, malgré de nombreux appels en ce sens.

Cet échec peut tenir à des raisons économiques fortes, même si elles sont peu agréables à entendre. Il est possible après tout que la productivité des travailleurs baisse avec l'âge. Les travailleurs plus âgés peuvent éprouver des difficultés à s'adapter aux nouvelles technologies et en particulier à l'usage de l'informatique et d'Internet. On peut aussi se demander si la progression des rémunérations à l'ancienneté ne conduit pas parfois à trop payer les seniors par rapport à leur productivité réelle. Les exemples du Royaume-Uni et des États-Unis peuvent être évoqués dans ce sens. Des travailleurs âgés semblent bien obligés d'y accepter des emplois déclassés et moins payés pour rester en emploi jusqu'à un âge avancé, dans un environnement où les retraites de base sont faibles. Il est difficile de savoir ce qu'il en est vraiment, car les situations diffèrent beaucoup selon les secteurs et les professions, et des études statistiques approfondies font défaut.

Il faut, en tout cas, aller au-delà de l'appréciation des situations individuelles. La place accordée aux seniors dans l'entreprise résulte aussi de représentations collectives. Penser qu'ils n'y ont plus leur place est une croyance largement « autoréalisatrice », puisqu'elle empêche de rechercher des solutions parfois à portée de la main et qu'elle démotive les principaux concernés. Les plans d'action pour les seniors, comme celui adopté en 2005, ont ainsi insisté sur la nécessité de changer les mentalités, par exemple en popularisant les exemples de réussite d'adaptation des postes ou de transmission des savoirs et savoir-faire. Mais là encore, les résultats ne sont pas au rendez-vous, même si de telles actions restent sûrement nécessaires.

Le syndrome des préretraites

Le problème de l'emploi des seniors est ancré beaucoup plus profondément dans notre société. Voilà trente ans qu'elle a convenu implicitement de faire supporter aux seniors la plus grande part du poids des ajustements de l'emploi. La France est ainsi devenue la victime volontaire du syndrome des préretraites. N'est-il pas logique, quand il faut licencier, de se séparer en premier lieu des travailleurs les plus âgés ? N'est-il pas juste alors de financer des préretraites, plutôt que des allocations de chômage pour des travailleurs plus jeunes ? Le troisième tableau ci-dessus témoigne du succès de ce compromis. Le taux d'emploi des 25-54 ans est nettement plus élevé en France que dans les autres pays. Licencier les seniors permettrait ainsi de maintenir en emploi les travailleurs mûrs et de faire de la place aux jeunes.

Les sérieuses limites de ce type de raisonnement sont bien connues depuis longtemps. Le système des préretraites est beaucoup trop coûteux pour la société. La nécessité de le financer aboutit inévitablement à en faire supporter le coût aux travailleurs et aux entreprises, et ainsi à augmenter le coût du travail. Plus profondément, il repose sur l'illusion d'un nécessaire partage du travail. Mais la quantité de travail dans l'économie ne constitue pas une donnée. En réalité, le travail crée le travail et encourager l'inactivité de certains pour mieux le partager n'est qu'une solution de gribouille.

Une action rigoureuse contre les préretraites doit donc être menée fermement. La dispense de recherche d'emploi des travailleurs de plus de 57 ans et demi doit être supprimée, ce qui est d'ailleurs en cours de réalisation. Cette mesure est difficile et personne ne peut croire qu'elle suffira à ce que les seniors trouvent rapidement un emploi. Elle doit être complétée par un soutien personnalisé à la recherche d'emploi et par la mise en place de mesures évitant la discrimination par l'âge dans les licenciements. Mais ce type d'action est nécessaire pour nous faire sortir du système des préretraites et l'observation montre que les autres pays s'y sont prêtés lorsqu'ils sont parvenus à augmenter de manière substantielle leur taux d'emploi des seniors, en fermant eux aussi l'accès aux préretraites, ou en restreignant l'accès aux pensions d'invalidité, qui jouaient parfois un rôle analogue.

L'allongement de la durée d'activité

Une autre mesure nous semble s'imposer aussi, que nous avons prônée en 2005 dans un rapport écrit avec Jean-Paul Betbèze et Jean-Olivier Hairault, et qui nous fait retrouver la question de l'avenir des retraites. Allonger la durée d'activité, et renforcer pour cela les incitations à un départ plus tardif en retraite, constitue le meilleur moyen pour redonner de la valeur à l'emploi des seniors. Cette préconisation peut sembler paradoxale : on a l'habitude de considérer, au contraire, qu'il ne sert à rien d'augmenter la durée de cotisation retraite, puisque les seniors ne trouvent déjà pas de travail. Mais il s'agit bien là d'inverser une logique pernicieuse. Une durée d'activité allant au-delà de 60 ans est le meilleur moyen d'inciter les entreprises à embaucher et conserver des 55-59 ans et à les former, et d'inciter symétriquement les travailleurs de cette tranche d'âge à rechercher un emploi.

Nous ne pensons évidemment pas que cette politique d'allongement de la durée d'activité suffise à résoudre miraculeusement le problème de l'emploi des seniors. On ne sort pas impunément de trente années d'habitude des préretraites ! Les seniors continueront pendant assez longtemps à avoir du mal à retrouver un emploi, et c'est là que la batterie des autres mesures que nous avons évoquées reste indispensable. Mais cet allongement est une condition nécessaire pour rendre un sens à l'emploi des seniors et nous faire sortir de la nasse dans laquelle nous nous trouvons.

Mieux employer les seniors, en temps et en qualité, revient en définitive à mieux utiliser les possibilités offertes par l'augmentation de l'espérance de vie. L'objectif n'est pas de faire travailler tout le monde jusqu'à 70 ans, mais il serait paradoxal de laisser l'augmentation de la durée de vie s'accompagner d'une réduction systématique de la durée d'activité, d'ailleurs plus subie que voulue.

Bibliographie

  • « Les effets à rebours de l'âge de la retraite sur le taux d'emploi des seniors », par Jean-Olivier Hairault, François Langot et Thepthida Sopraseuth (avec un commentaire de Didier Blanchet), Économie et Statistique, n° 397, février 2007, Insee.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2010-2/comment-ameliorer-l-emploi-des-seniors.html?item_id=3007
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