Jean-Michel CHARPIN

est inspecteur général des Finances.

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Réforme des retraites : le retour ?

En 1998, le Premier ministre, Lionel Jospin, avait demandé à Jean-Michel Charpin, alors commissaire au Plan, d'établir « un diagnostic aussi partagé que possible par les partenaires sociaux et les gestionnaires des différents régimes » sur la situation et les perspectives du système de retraite français. Les travaux du groupe de travail constitué à cet effet ont abouti, en avril 1999, à un rapport intitulé L'Avenir de nos retraites, très généralement reconnu comme « fondateur » des réformes qui suivront. Dix ans plus tard, Jean-Michel Charpin remet ce rapport en perspective...

Quel était le contexte, en 1998, quand Lionel Jospin vous a demandé d'analyser la situation et les perspectives du système de retraite français ?

Jean-Michel Charpin. Lionel Jospin m'a en effet demandé d'animer un groupe de concertation sur les retraites en 1998.

Ce groupe a d'abord mené des travaux techniques jusqu'à l'horizon 2040. À l'époque, cela paraissait un horizon très éloigné, mais j'avais souhaité aller aussi loin que les prévisions démographiques le permettaient. D'ailleurs, aux États-Unis, les travaux sur les retraites sont effectués sur un horizon de soixante-quinze ans.

À partir de la rentrée 1998, j'ai réuni à un rythme assez élevé une commission de concertation comprenant patronat et syndicats.

Nos rencontres se sont tenues de l'automne 1998 au début 1999, dans une bonne ambiance, puisque le seul point d'accrochage, d'ailleurs très temporaire, a porté sur les hypothèses de taux de chômage. Le rapport a été terminé en mars et je l'ai remis à Lionel Jospin en avril 1999.

C'est après la remise du rapport que certaines controverses se sont développées, liées notamment à notre hypothèse d'un relèvement du nombre d'annuités de cotisation à 42,5 ans à l'horizon 2019 pour pouvoir bénéficier d'une retraite à taux plein.

Le rapport Teulade, qui a suivi le mien, a encore un peu compliqué les choses...

Quelle était la nature du différend avec les syndicats sur les hypothèses de taux de chômage ?

Au départ, j'avais retenu deux hypothèses de taux de chômage à long terme, l'une à 6 % et l'autre à 9 %, mais les syndicats ont trouvé ces hypothèses « défaitistes » et trop hautes.

Dès la réunion suivante, nous avons donc ajouté une troisième hypothèse à 3 %. Tous les travaux que nous avons publiés l'ont donc été avec ces trois hypothèses.

Au printemps 2000, quand Lionel Jospin a pris position sur les retraites, il a choisi le milieu du scénario à 3 % et du scénario à 6 %, donc cela a abouti à un scénario à 4,5 %.

Depuis, l'habitude a été prise de travailler avec une hypothèse de 4,5 % et c'est celle que le Conseil d'orientation des retraites - créé, conformément à mes recommandations, en 2000 - a retenue dans plusieurs de ses exercices de projection.

On voit bien aujourd'hui que c'est loin de la réalité...

Oui, effectivement. Mais ce n'est pas « vital » : cela change assez peu de chose pour les perspectives des retraites elles-mêmes. En fait, cela « libère » des cotisations chômage : s'il y a baisse du chômage, il y a plus de cotisations disponibles pour financer l'assurance vieillesse...

Et puis, souvenez-vous : entre 1997 et 2000, la situation économique était bonne et le chômage baissait...

Votre rapport contenait bien d'autres propositions que les 42,5 années de cotisation... Quelles sont celles qui vous semblent les plus importantes ?

L'introduction d'un barème actuariellement neutre à la marge était une proposition très importante, car elle conditionne la liberté de choix du moment du départ à la retraite en fonction des souhaits des individus, de leur état de santé, de leur situation familiale, etc. Avec les barèmes précédents, les gens n'avaient pas réellement une telle liberté et étaient conduits en général à liquider leur retraite soit à 60 ans, soit à 65 ans. La loi Fillon de 2003 a intégré cette proposition à travers l'ajustement des décotes et la création de la surcote, ainsi que notre recommandation concernant la durée de cotisation.

Taux d’activité des seniors par tranches d’âge et sexe

(en pourcentage)

Source : DARES

Évolution du solde de la CNAV sur la période 2003-2010

(en milliards d’euros)

Source : rapport de la commission des Comptes de la Sécurité sociale, octobre 2009

Nous avions également estimé les besoins du fonds de réserve des retraites à 1 000 milliards de francs (150 milliards d'euros) : le gouvernement Jospin a repris cet objectif, comme il a constitué le Conseil d'orientation des retraites.

Quels résultats des réformes ainsi entreprises observez-vous aujourd'hui ?

On peut analyser les premiers résultats de la loi Fillon.

En ce qui concerne l'âge de cessation d'activité des seniors, ils sont un peu décevants : le décalage obtenu reste modeste, même s'il s'agit de générations plus nombreuses. Ce phénomène n'est pas simple à expliquer.

Pour les déficits des régimes de retraite, la crise a aggravé la situation en raison de la baisse des cotisations : cette année, le déficit de la Caisse nationale d'assurance vieillesse sera de l'ordre de 11 milliards d'euros.

Le problème de l'inégalité de traitement entre fonctionnaires et salariés vous semble-t-il réglé ?

Oui, il est réglé par la loi Fillon, loi puissante qui nous a mis au niveau des autres pays, notamment pour ce qui est de la durée de cotisation nécessaire à une retraite à taux plein. On doit continuer, comme la loi le prévoit, sur cette voie.

Où va-t-on maintenant ?

Comme vous le savez, la loi Fillon prévoit, ainsi que nous l'avions suggéré en 1999, des « rendez-vous » réguliers. Formellement, ces étapes ont été respectées, mais le rendez-vous de 2008 est apparu un peu décevant : rien de particulier n'en est sorti, si ce n'est la confirmation de l'application de la loi Fillon. Fin 2008, Xavier Bertrand, avant de quitter le ministère des Affaires sociales, a annoncé un rendez-vous en 2010 - qui n'était pas prévu par la loi Fillon -, ce que le président de la République, Nicolas Sarkozy, a confirmé solennellement au congrès de Versailles, le 22 juin 2009.

Comment se justifie le rendez-vous de 2010 ?

Un certain nombre de questions pourraient être prises en compte, par exemple :

  • le souhait du Medef de faire relever l'âge minimum de liquidation de la retraite de 60 à 61 ans, puis 62 ;
  • la demande de la CFDT de lancer un vrai « Grenelle des retraites » en 2010 ;
  • l'initiative du Parlement, et particulièrement du sénateur d'Indre-et-Loire, Dominique Leclerc, de demander au Conseil d'orientation des retraites un rapport sur les systèmes fondés sur des comptes à points et des comptes individuels notionnels 1, rapport que le COR a rendu fin janvier 2010.

Quels sujets devraient être examinés selon vous ?

D'abord, il me semble que l'on confirmera la disposition de la loi Fillon qui prévoit de relever la durée de cotisation jusqu'à 2020.

Ensuite, il faudra traiter la question de l'âge minimum de liquidation. C'est délicat car, aujourd'hui encore, plus de la moitié des générations concernées liquident leur retraite à 60 ans, ceux qui partent avant étant ceux qui bénéficient du dispositif « longues carrières » de la loi Fillon.

Une réflexion sur l'introduction d'un dispositif pour la pénibilité du travail pourrait également trouver sa place. Il y a un certain consensus sur le principe, mais les modalités pratiques sont complexes à définir. Il faudrait arriver à trouver le bon dosage entre des négociations sociales et un encadrement objectif défini par le Parlement.

Autre sujet possible : les comptes notionnels. Quand nous avons rédigé le rapport de 1999, ils existaient déjà, puisque la première loi suédoise date de 1994 et que l'Italie les a introduits en 1995. Ce système a des qualités, notamment de transparence et de prévisibilité, mais il est si éloigné du système français actuel que le coût de transition serait élevé.

En 1999, vous évoquiez surtout la nécessité de principes communs entre les différents régimes obligatoires. Est-ce que l'on ne pourrait quand même pas simplifier le système de retraite par répartition français ?

Dans un système par répartition, il n'y a aucun avantage à avoir une segmentation des régimes : il s'agit d'un héritage historique. On a même été obligés de mettre en place des dispositifs compliqués de compensation pour limiter les effets de cette segmentation, mais le problème, c'est qu'elle existe et que tout changement aurait un coût important.

Si notre pays s'engageait dans une réforme systémique, par exemple en adoptant les comptes notionnels, il faudrait cependant en profiter pour chercher à unifier le système. Si ce n'est pas le cas, cela ne me semble pas nécessaire.

La capitalisation peut-elle venir en renfort de la retraite par répartition ?

En 1999, nous avions peu abordé cette question et elle est aussi restée marginale dans la loi Fillon. Les régimes de retraite français ont ainsi peu souffert de la récente crise financière, contrairement à ce qui s'est passé dans un certain nombre de pays. Aujourd'hui, le moment n'est pas optimal pour l'envisager : les risques pesant sur les régimes par capitalisation sont encore dans toutes les têtes.

Les attributions de droits directs en 2008

(répartition par groupes d’âge) (en pourcentage)

En 2008, 52% des hommes et 59% des femmes ont liquidé leurs retraites à 60 ans. Source: CNAV.

  1. Dans les systèmes de comptes à points, la pension est égale au produit du nombre de points acquis par l'assuré et de la valeur de service du point à cette date. Les comptes notionnels reposent sur le principe d'équilibre actuariel en niveau entre les cotisations versées et les pensions reçues par chaque génération. Voir l'article d'Antoine Bozio, en page 45 de ce numéro, et le point de vue de Raphaël Hadas-Lebel.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2010-2/reforme-des-retraites-le-retour.html?item_id=3006
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