Alain LEFEBVRE

est consultant (agence HelviCom), spécialiste des pays nordiques, et basé en Finlande.

Partage

L'exemple de la refonte du régime de base en Suède

Le passage éventuel à un régime en points ou en comptes notionnels, qui constitue une caractéristique du modèle suédois 1, est-il une réponse satisfaisante aux problèmes actuels, et surtout futurs, du système de retraite français ? Ce sera à nos responsables d'en décider, mais il est intéressant dans ce contexte de se pencher sur l'historique et la méthode de la réforme suédoise, à l'origine d'un surprenant quasi-consensus entre droite, gauche et partenaires sociaux.

L'inquiétude générale au début des années 1990 au sujet du défi démographique auquel est confrontée la Suède, comme la France, à l'horizon 2015, a été à l'origine de la réforme. En effet, avec une espérance de vie de 79 ans pour les Suédois et de 83 ans pour les Suédoises, le rapport entre actifs et inactifs est appelé à évoluer défavorablement dans les années à venir : si 100 personnes actives financent actuellement les pensions de 30 retraités, le rapport devrait passer à 41 retraités (voire 44 personnes si l'on y inclut les handicapés) d'ici vingt-cinq ans.

De plus, contrairement à la France, la Suède dispose de peu de marge pour trouver des ressources en faisant revenir sur le marché du travail des populations qui en sont éloignées : le taux d'emploi de la main-d'œuvre suédoise (proportion des personnes de 16 à 64 ans au travail), qui atteignait 74,3 % en 2008, contre 65,9 % pour l'Union européenne et 64,9 % pour la France, laisse peu d'espoir d'y parvenir.

De même, la possibilité d'accroître le recours à l'immigration a fait l'objet de réflexions approfondies, d'autant que la population suédoise (9,25 millions de personnes en 2008) évolue principalement grâce aux flux migratoires. Toutefois, les actions volontaristes menées en Suède pour mieux intégrer sur le marché du travail les immigrés (en général des réfugiés) déjà installés en Suède et pour augmenter l'immigration ne seront pas suffisantes pour compenser les départs en retraite.

Un long processus

De ce fait, la seule solution était une réforme du système de retraite suédois et la remise en cause du système de répartition adopté dans les années 1960. Mais une telle réforme n'est pas facile, et le processus a été long. Une commission sur les pensions a été mise en place au milieu des années 1980 et a présenté ses conclusions en 1990. L'année 1991 a été consacrée aux commentaires par l'ensemble des partenaires, qui ont en général jugé les propositions trop timorées par rapport aux enjeux. Un nouveau groupe de travail sur les pensions a donc été créé, avec uniquement des représentants de sept partis politiques, les partenaires sociaux se trouvant dans un groupe miroir qui recevait les documents du groupe de travail et pouvait lui fournir leurs commentaires. En 1994, le groupe de travail faisait adopter au parlement suédois un projet de loi sur les orientations pour la réforme du système de retraite. La réforme finale a été préparée par les cinq partis favorables au projet (à l'exclusion notable de l'extrême gauche) et votée en juin 1999 par 85 % des députés. La législation définitive, entérinant le mécanisme d'équilibrage automatique, a été adoptée en mai 2001.

En particulier, la réforme a été acceptée du fait d'un accord général sur un certain nombre de principes de base négociés avant de passer au montage concret du système, les principaux étant le maintien d'une cotisation fixe au même niveau qu'avant la réforme (18,5 % du salaire, dont 10,3 % de cotisation de l'employeur et 7,2 % de cotisation du salarié), la création d'un mécanisme automatique d'équilibre financier et la garantie qu'après la réforme le rapport entre la retraite moyenne et le revenu moyen des salariés resterait identique à ce qu'il aurait été si le régime original avait été maintenu, dans l'hypothèse suivante : quarante ans d'activité professionnelle, espérance de vie égale à celle de 1994 et 2 % de croissance moyenne du revenu annuel.

Il a donc fallu quinze ans pour en arriver à une réforme consensuelle qui, comme on le verra, révolutionnait un système auparavant proche du système français. C'est certainement long, et serait excessif pour la France, mais deux éléments méritent d'être pris en compte : une bonne partie des deux premières années a permis aux experts des partis politiques et des partenaires sociaux de s'accorder sur les chiffres et l'ampleur du problème, ce que le Conseil d'orientation des retraites devrait permettre en France. Par ailleurs, la négociation entre partis politiques a été pour beaucoup dans le succès d'une réforme qui a survécu à plusieurs alternances et n'a pas entraîné d'affrontements dans le pays.

Enfin, l'un des éléments majeurs pour l'acceptation de la réforme est la longue transition entre l'ancien et le nouveau système : les personnes nées entre 1938 et 1953 feront l'objet d'une transition progressive vers les pensions calculées selon les nouvelles règles.

Le nouveau régime se substituera entièrement à l'ancien pour les personnes nées après 1953, tandis que celles nées avant 1938 restent totalement couvertes par l'ancien système. Les personnes nées en 1938 touchent 16/20 de leur retraite de l'ancien système et 4/20 du nouveau. Les personnes nées en 1939 touchent ainsi 15/20 de l'ancien système et 5/20 du nouveau, les personnes nées en 1953 toucheront 1/20 de l'ancien système et 19/20 du nouveau, et les personnes nées à compter de 1954 seront exclusivement concernées par le nouveau régime.

Deux régimes obligatoires

Les Suédois bénéficient de deux régimes obligatoires de retraite, avec un système de retraite de base et des retraites complémentaires conventionnelles et individuelles. Au final, d'un régime traditionnel de retraite par répartition, à prestations déterminées liées au revenu, complété par un régime forfaitaire de sécurité, la Suède est passée à un système à deux régimes à cotisations déterminées : un nouveau système de retraite par répartition basé sur des comptes notionnels, alimenté par 86,5 % des cotisations (soit 16 % des revenus), et un régime de pure capitalisation, alimenté par 13,5 % des cotisations (soit 2,5 % des revenus).

Le nouveau régime par répartition repose sur un système de comptes notionnels, à l'image du système de points de certains régimes de retraite complémentaire français. Les cotisations sont accumulées chaque année sur le compte du bénéficiaire. Elles sont actualisées annuellement selon la situation du régime. En pratique, lorsque la croissance du pays dépasse 1,6 %, le régime accumule automatiquement des réserves, et les utilise en cas de situation difficile. Ce régime est géré par les caisses d'assurance sociale (Forsäkringskassa), placées sous la tutelle de l'Office national de la sécurité sociale (Riksförsäkringsverket). Les revenus ouvrant droit à pension représentent l'ensemble des revenus touchés au-delà du revenu imposable minimum (environ 1 000 euros par an) et au-dessous du plafond du régime de retraite (environ 30 000 euros par an). Ils comprennent aussi toutes les prestations de sécurité sociale se substituant au revenu, telles que les indemnités journalières, les allocations de chômage, d'invalidité et de maternité/paternité. Des droits à pension sont aussi accordés pour les années de congé parental, les études universitaires et le service national obligatoire, financés par des transferts du budget de l'État. La retraite est calculée au moment de la demande de liquidation, en divisant le solde actualisé du compte du bénéficiaire par un indice qui traduit l'espérance de vie du bénéficiaire à ce moment précis.

Capitalisation : le cotisant choisit ses placements

Le régime obligatoire par capitalisation est géré par le cotisant, qui choisit lui-même le profil de ses placements et peut le modifier chaque année en janvier. Il reçoit à ce moment une brochure qui, d'une part, illustre l'évolution des placements dans le cadre du système de la capitalisation et, d'autre part, lui fournit un calcul hypothétique de la retraite à laquelle il pourra prétendre lors de son départ à la retraite en se basant sur différents scénarios de croissance. Les 5,1 millions de personnes concernées par le système de capitalisation ont la possibilité de choisir librement chaque année cinq fonds de placement différents parmi les 600 fonds existants, gérés notamment par des compagnies d'assurances. Pour assurer le bon fonctionnement du système de capitalisation, la réforme a créé un organisme de surveillance, baptisé « Premiepensionsmyndigheten » (PPM), dont le budget de fonctionnement est entièrement financé par les cotisants (moyennant une contribution de l'ordre de 30 euros par an). Cet organisme, qui tient lieu d'intermédiaire entre la société gestionnaire du compte de capitalisation et le cotisant, informe ce dernier de l'évolution des placements, répond à ses questions d'ordre général et l'assiste dans ses souhaits de changement de gestionnaire des portefeuilles. Pour les cotisants qui n'effectuent pas de choix, la réforme a prévu que la gestion de leurs placements reviendrait automatiquement à un fonds national de retraite non spécialisé, pour limiter les risques.

Le système de retraite suédois ne prévoit pas d'âge de départ en retraite. Les crédits retraite sont toujours accumulés et ajoutés au compte de la personne, si elle touche un revenu ouvrant droit à pension, même dans le cas où elle a commencé à toucher une pension de retraite. On peut bénéficier d'une retraite à temps partiel (à 25 %, 50 %, 75 % et 100 %) à partir de 61 ans, et cumuler une retraite et un emploi sans limitation.

Le nouveau système prévoit un filet de sécurité pour les personnes dont la retraite serait insuffisante : des allocations complémentaires sont alors versées. Les personnes sans aucun revenu touchent au moins 800 euros par mois, auxquels s'ajoute une allocation logement. La pension garantie n'est pas une simple allocation différentielle ; au contraire, le fait d'avoir travaillé ne serait-ce qu'un an permet de toucher une pension supérieure au minimum, ce qui encourage à travailler autant que possible.

Une retraite complémentaire presque pour tous

La réforme des régimes de retraite obligatoires ne peut être évoquée sans signaler que pratiquement tous les salariés suédois bénéficient d'une retraite complémentaire facultative, dans le cadre d'accords collectifs couvrant l'ensemble des secteurs. La réforme des retraites obligatoires a entraîné une cascade de nouveaux accords collectifs sur les retraites complémentaires facultatives, dont les prestations et cotisations ont été augmentées.

À ces retraites complémentaires facultatives collectives s'ajoutent encore des retraites complémentaires facultatives individuelles. Toute personne qui souhaite percevoir une pension plus élevée est bien évidemment libre de cotiser individuellement à de multiples fonds de retraite privés : plus de 40 % des Suédois utiliseraient cette possibilité.

Le nouveau système suédois (pour sa part en comptes notionnels) a été bâti pour être financièrement stable, quelles que soient les évolutions démographiques ou économiques, sur la base d'un taux de cotisation fixe et de règles stables pour le calcul des pensions de retraite. La pension peut donc monter ou baisser selon les années : si les revenus du régime évoluent de telle sorte que ses paiements dépassent l'évolution des ressources, le niveau des pensions est limité en conséquence. Dans le cas où les paiements sont inférieurs aux ressources, les retraites sont réajustées pour revenir au niveau où elles devraient être si elles avaient suivi l'évolution des revenus, et tout surplus est affecté à un fonds de garantie ou buffer qui accumule les fonds en période faste pour les restituer en période difficile.

Pour cette raison, les réserves accumulées entre 2001 et 2007 ont permis d'éviter les conséquences de la crise financière pour les retraites du premier volet du système de retraite obligatoire, basées sur le système notionnel. Des discussions ont eu lieu au niveau politique pour déterminer ce qui se passerait si la crise était durable et entraînait une croissance négative sur plusieurs années, mais la conclusion semble avoir été que l'État devrait intervenir pour maintenir le niveau des retraites.

La vraie difficulté pour les Suédois vient de la baisse des marchés financiers, qui a un impact majeur sur le système par capitalisation : cette situation aurait pu entraîner une baisse de 4 à 5 % des pensions de 2010 et 2011, ce qui a conduit le gouvernement suédois à changer les règles du régime, en imposant aux fonds de retraite de calculer sur une période de trois ans la valeur des actions qui servent de référence, ce qui aura pour objet de lisser les hausses et les baisses de retraite.

Faut-il vraiment s'inspirer du modèle suédois ?

Rien n'empêche a priori l'utilisation des solutions suédoises (système de comptes notionnels tout au long de la vie professionnelle, part de capitalisation, minimum retraite poussant à travailler le plus possible) ; et l'instauration d'un système de buffer automatique pour lisser les évolutions et éviter la faillite du régime, ainsi que la prise en compte de l'espérance de vie des différentes générations seraient un progrès. De plus, la France a l'expérience des systèmes de retraite par points, qui demanderaient à être perfectionnés pour automatiser les calculs annuels de valeur du point en tenant compte de la situation économique et de l'espérance de vie.

Mais l'exemple suédois montre combien il est important de prendre le temps de la négociation en évitant les annonces prématurées. En Suède, c'est dans le quotidien des discussions que l'on a accepté des compromis pour lisser l'application de la réforme, trouvé le juste équilibre entre comptes notionnels et capitalisation, supprimé toute référence à un âge de départ en retraite, organisé la surveillance des opérateurs privés, limité les frais de gestion du régime public...

On notera aussi avec intérêt le fait que, dans un pays habitué aux négociations entre partenaires sociaux, ce sont les partis politiques qui ont négocié, ce qui a permis de trouver une solution équilibrée et évité les remises en cause ultérieures lors des alternances.

Un autre élément source de problèmes pour la France est la pénibilité du travail. Les pays nordiques ont depuis longtemps des accords collectifs spécifiques qui prennent en compte les professions où le travail est pénible. Les efforts financiers ont été conséquents, parfois majeurs comme dans les professions forestières, avec une forte automatisation et un effort de formation soutenu pour favoriser des trajectoires qui permettent de ne pas exercer des professions pénibles pendant toute la vie professionnelle.

Toutefois, l'exemple suédois montre qu'avec une méthode de négociation claire et un constat commun de situation, beaucoup peut être fait, même dans un contexte politique difficile.

Les évolutions du système de retraite finlandais

Jusqu'à la fin des années 1990, le système de retraite finlandais ressemblait au système français, mais il a subi chaque année, lors des négociations entre syndicats, patronat et gouvernement, des adaptations qui l'ont simplifié (par rapprochement des différents régimes) et réadapté pour faire face aux enjeux démographiques. Il repose sur trois piliers : un système de couverture universelle (pension nationale) garantissant une pension minimale, un système mixte de capitalisation et de répartition lié à l'activité (régime légal ou conventionnel) et des dispositifs d'épargne-retraite peu développés, à cause du taux de remplacement qu'offre le second pilier.

Un principe de proportionnalité

Les pensions et les contributions sont proportionnelles aux revenus ; il n'y a pas de plafond ni de progressivité. La retraite est calculée sur la base des revenus entre les âges de 18 et 67 ans, chaque année étant prise en compte avec un coefficient de 1,5 % entre 18 et 52 ans, 1,9 % entre 53 et 62 ans et 4,5 % entre 63 et 67 ans. Si la personne assurée ne prend pas sa retraite à l'âge de 68 ans, sa pension s'accroît de 0, 4 % par mois. Les personnes qui ont 63 ans et qui ont liquidé leurs pensions de retraite continuent, si elles travaillent, à accumuler les droits à pension avec un coefficient de 1, 5 % par an. Les congés parentaux indemnisés, le chômage indemnisé, les formations indemnisées, les congés de maladie, les périodes de réadaptation physique ou professionnelle, les périodes d'études qui aboutissent à un diplôme universitaire ou professionnel, les périodes d'acquisition d'une qualification et les congés pour s'occuper de l'enfant de moins de 3 ans à la maison sont pris en compte.

Pour calculer le montant initial de la retraite, les revenus des différentes années sont ajustés sur la base d'un coefficient d'actualisation qui prend en compte à 80 % les évolutions de salaires et à 20 % les évolutions des prix à la consommation sur ces années. Les pensions évoluent, elles, selon un indice qui prend en compte, inversement, à 20 % l'évolution des salaires et à 80 % l'évolution des prix.

Un taux plein à 63 ans

Les assurés ont droit à une pension à taux normal à l'âge de 63 ans et à une préretraite à l'âge de 62 ans. La pension de préretraite est réduite de 0,6 % pour chaque mois pris avant l'âge de 63 ans. La politique finlandaise en matière de retraite a surtout été consacrée à l'augmentation de la vie professionnelle, avec un plan pour l'emploi des seniors qui a rapidement permis d'augmenter de plus d'un an l'âge moyen de départ en retraite, et des mesures d'accompagnement négociées au coup par coup pour inciter les Finlandais à partir plus tard en retraite : suppression des préretraites, suppression de la mise à la retraite d'office des chômeurs de longue durée, nouvelle loi sur la santé au travail comportant des mesures innovantes telles que la possibilité pour un salarié de demander une enquête sur sa charge de travail, évaluation indépendante et internationale des réformes menées. Ces mesures ont permis une forte amélioration de l'emploi des seniors, pour laquelle la Finlande est citée en exemple, et a apporté un ballon d'oxygène au financement des retraites.

De plus, une réforme de 2005 a introduit une correction liée à l'espérance de vie des personnes de 60 ans et plus : les retraites baissent proportionnellement si l'espérance de vie s'allonge, sauf si les individus travaillent plus longtemps.

Le Premier ministre a essayé d'annoncer en 2009 une augmentation de l'âge de départ en retraite à 65 ans, mais la levée de boucliers a été telle qu'il a dû retirer sa proposition.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2010-2/l-exemple-de-la-refonte-du-regime-de-base-en-suede.html?item_id=3016
© Constructif
Imprimer Envoyer par mail Réagir à l'article