est consultant (agence HelviCom), spécialiste des pays nordiques, et basé en Finlande.
Les pays nordiques aux avant-postes
Les références récentes aux modèles nordiques dans les déclarations
politiques ne manquent pas, et les articles consacrés à leur analyse se
multiplient. Cet intérêt se justifie par une réussite économique
récente, à laquelle les services, bien que moins importants dans
l’économie qu’en France, apportent une contribution non négligeable.
Une analyse rapide montre que les pays nordiques se situent parmi les pays qui réussissent le mieux au sein de l’Union européenne. C’est vrai en termes de richesse : le produit national brut par habitant, en données corrigées des différences de coût de la vie, était en 2005 de 25 000 euros en France, 25 300 en Allemagne, mais de 28 900 euros au Danemark, 27 700 en Suède et de 26 300 en Finlande, qui était très loin de la France il y a dix ans. La situation relative des pays nordiques s’est encore améliorée en 2006, avec des taux de croissance réels élevés (3,3 % au Danemark, 4,4 % en Suède, 5,5 % en Finlande), alors que la France connaissait une croissance proche de 2 %, et l’Allemagne légèrement plus.
Cela se manifeste aussi en matière d’emploi, avec des taux de chômage nordiques tout à fait raisonnables : en janvier 2007, 3,2 % au Danemark, 4,7 % en Suède, 7 % en Finlande, contre 7,5 % dans l’Union européenne à 27, 7,7 % en Allemagne et 8,4 % en France.
Ces chiffres masquent la réalité, dans la mesure où le taux de chômage représente le pourcentage de la population active qui déclare rechercher un emploi et qui fait l’effort de confirmer son inscription dans les services de l’emploi, avec les contraintes de pointage qui rendent une telle inscription inutile, sauf pour toucher des allocations. Pour éviter ce biais, il est d’usage dans l’Union européenne de s’intéresser au taux d’emploi, c’est-à-dire la proportion de personnes de 15 à 65 ans qui ont un emploi dans le pays. La différence est sensible : sur 100 personnes de 15 à 65 ans, en France 63 ont un emploi, alors qu’il y en a 76 au Danemark, 74 en Suède et 69 en Finlande.
Ce phénomène s’explique par les différences importantes qui existent pour les femmes (sur 100 Françaises de 15 à 65 ans, seulement 55 travaillent, pour 72 Danoises, 71 Suédoises et
67 Finlandaises), pour les jeunes et pour les seniors. En réalité, il n’y a que pour l’emploi des hommes de 30 à 55 ans que la France fait pratiquement jeu égal avec les Nordiques.
Services français, services nordiques : des différences importantes
Il est particulièrement intéressant de noter que la France est un des pays de l’OCDE où la part des services dans la valeur ajoutée est la plus importante : 75,9 % en 2003 selon l’OCDE, soit pratiquement le niveau des Etats-Unis, alors que les pays nordiques en sont encore loin (71,8 % au Danemark, 65,5 % en Finlande et 70,1 % en Suède et en Allemagne). J’aurais tendance à penser que cela reflète une faiblesse de notre industrie : la part de celle-ci est de plus en plus faible dans notre pays (21,5 %, en baisse de 3,4 points en dix ans), alors que les Nordiques restent plus industrialisés (le Danemark à 25,9 %, en légère hausse de 0,7 point, la Finlande à 31,1 %, en hausse de 0,2 point, la Suède à 28,1 %, en baisse de 0,9 point).
Ces éléments globaux méritent d’être précisés par secteur des services, pour en arriver à une meilleure description des spécificités nordiques par rapport à la France.
- Dans le domaine du commerce et des hôtels, cafés et restaurants, la France se situe pratiquement au même niveau que les Nordiques en matière de contribution à la valeur ajoutée (12,4 %, contre 13,5 % au Danemark, 11,9 % en Finlande et 12,0 % en Suède), et la contribution du secteur à l’emploi total est proche en France (16,6 %), en Finlande (16 %) et en Suède (15,2 %), le Danemark se distinguant avec 19,2 %, ce qui peut contribuer à expliquer ses performances en matière d’emploi, car il a besoin de plus de personnes pour produire la même quantité de services. Cela pourrait s’expliquer par la souplesse des entreprises danoises, connues pour leur facilité à accepter les salariés à temps partiel ou en télétravail.
- Le secteur des transports, des entrepôts et des communications contribue plus pour les Nordiques à la valeur ajoutée nationale, en raison probablement du poids important des secteurs de pointe dans le domaine des communications. Cette impression est confirmée par le fait que la productivité y est plus élevée qu’en France, mais la contribution de ces secteurs à l’emploi national est proche de celle de la France.
- Les Nordiques ont connu une correction importante dans le secteur des banques et des assurances aux cours des dix dernières années, ce secteur apportant aujourd’hui moins à la valeur ajoutée qu’en France, mais la productivité, danoise notamment, semble plus importante, la contribution à l’emploi étant plus faible qu’en France.
- La France est dans le groupe de tête de l’OCDE pour l’immobilier et les services aux entreprises (26,1 % de la valeur ajoutée, 14,8 % de l’emploi), loin devant la Suède (21,3 % de la valeur ajoutée et 11,8 % de l’emploi), la Finlande (18,3 % de la valeur ajoutée et 10,2 % de l’emploi) et le Danemark (19 % de la valeur ajoutée et 10,2 % de l’emploi).
- Alors que les pays nordiques sont réputés avoir une administration publique pléthorique, la France les devance largement en termes de participation de ces secteurs à la valeur ajoutée (8,5 % contre 6,7 % au Danemark, 5 % en Finlande et 5,3 % en Suède), alors que l’écart était beaucoup plus faible dix ans auparavant. Il en va de même pour l’emploi, ces secteurs contribuant pour 8,9 % à l’emploi total en France, 7,2 % au Danemark, 7,3 % en Finlande et 6,1 % en Suède. Les réformes menées dans le secteur public des pays nordiques au début des années 90 a eu un impact positif.
- Enfin, pour les services des secteurs de l’enseignement, de la santé et de l’action sociale, les pays nordiques connaissent une situation inverse, avec une contribution nettement plus importante qu’en France à la valeur ajoutée et en termes d’emploi.
De plus, on constate que les services, et notamment certains secteurs, ont «porté» la croissance nordique, comme en témoignent les indicateurs suivants (tirés de «Chiffres clés en Europe», Eurostat, 2006) :
- la croissance des ventes du commerce de détail a été en 2005 nulle en France, de 8,4 % au Danemark, de 5,3 % en Finlande et de 7,3% en Suède,
- la croissance des ventes du secteur des hôtels, cafés et restaurants a été de 0,9 % en France, de 8,9% au Danemark, de 5,5 % en Finlande et de 6 % en Suède,
- la croissance du secteur des transports et communications a été de 5,5 % en France, de 12,1 % au Danemark, de 3,1 % en Finlande et de 5,3 % en Suède,
- la croissance du secteur des services informatiques et des autres services aux entreprises a été de 2,6 % en France, de 12,6 % au Danemark, de 10,6 % en Finlande et de 2,1 % en Suède.
Les leçons à en tirer en France
Il existe, comme nous venons de le voir, des explications liées à la politique spécifique menée dans le secteur. En effet, l’analyse confirme un certain nombre d’éléments nordiques qui pourraient inspirer une politique sectorielle française pour les services : développer les services à haute valeur ajoutée, notamment dans les secteurs liés à l’utilisation des nouvelles technologies, continuer à moderniser nos secteurs des banques et de l’assurance, et rendre plus efficace notre administration publique pour assurer à la population des services plus denses en matière d’enseignement, de santé et de soutien social, de plus en plus nécessaires du fait du vieillissement de la population.
Ce sont des éléments simples, de bon sens, mais insuffisants. Il existe en fait des éléments explicatifs plus généraux, qu’il est nécessaire d’intégrer pour s’inspirer des modèles nordiques. La première notion, et probablement la plus importante dans la situation française, est la question de l’organisation du pays et de son efficacité.
Certes, même vus des pays nordiques, nos services publics sont très certainement parmi les meilleurs du monde, et la qualité de notre système ferroviaire, de notre réseau routier ou de notre système de distribution d’électricité est aussi enviée à Stockholm qu’à Copenhague. Mais cela ne peut nous faire oublier les coûts majeurs qui pèsent sur nos entreprises et les citoyens du fait d’une très mauvaise organisation et d’un management déplorable. Prenons un exemple très représentatif de nos errements : nous avons décentralisé des compétences (le social aux conseils généraux, notamment), sans décentraliser la responsabilité du financement, si bien que les collectivités ainsi déresponsabilisées se retournent vers l’Etat au premier problème, et nous sommes obligés de payer à guichets fermés. Un citoyen nordique sait que c’est son maire qui est responsable et qui décide du taux de l’impôt local qui finance le service. Le réflexe d’augmenter les impôts pour améliorer le service n’est pas aussi développé, car cela peut coûter cher en termes électoraux, et la créativité des maires est stimulée…
Un deuxième élément qui choque les Nordiques est l’absence en France d’évaluation indépendante des politiques publiques. Pour prendre le seul exemple de la politique de l’emploi, c’est le gouvernement qui définit la politique, ce sont des services sous son autorité directe qui la mettent en œuvre et ce sont eux qui l’évaluent, avec les résultats que l’on sait.
Nous avons aussi une tendance naturelle à ne pas savoir gouverner dans la continuité. Malgré deux changements de majorité sur les douze ans qu’a duré la négociation de la réforme des retraites suédoises, le processus ne s’est pas interrompu et aujourd’hui la Suède est équipée pour faire face au vieillissement. En France, au même moment, Michel Rocard a engagé tout aussi efficacement le processus, mais les gouvernements suivants, de gauche comme de droite, ont remis en cause puis abandonné le dossier. C’est une leçon que nous devrions entendre, la compétitivité du pays, la richesse des entreprises et des citoyens sont à ce prix. Le nouveau gouvernement suédois de centre droit n’a pas décidé de supprimer le modèle social-démocrate, il se contente de l’assouplir.
Il nous manque certainement aussi la capacité de nous mettre autour d’une table pour choisir ensemble une stratégie gagnante pour tous, ce que les Nordiques considèrent comme la seule méthode pour réussir dans un contexte de mondialisation. Il semble devenir possible d’y travailler en France, mais il nous manque du côté des partenaires sociaux les syndicats puissants et légitimes que l’on trouve dans les pays nordiques. Cela explique la volonté de nombreux responsables de développer la démocratie sociale et, pour certains, de pousser aux changements de critères de représentation qui seraient acquis par le vote des salariés.
Syndicat, patronat et Etat côte à côte
Et je voudrais pour terminer tenter de faire toucher du doigt comment syndicats, patronat et Etat peuvent se battre côte à côte. La recherche d’une stratégie commune en Suède, en période difficile, a fait émerger un concept fondamental : patronat, syndicats et Etat se sont accordés sur l’idée de mettre tous les moyens pour développer « l’emploi qualifié et donc bien payé ». Cet objectif défini, tous les moyens ont été dégagés : les entreprises et l’Etat suédois ont notamment accentué leur effort pour la recherche (4,2 % du PNB en Suède, contre 2,2 % en France), la Suède est, avant le Danemark, le pays de l’Union européenne qui dépense le plus pour ses étudiants, de même que pour la formation. Il est frappant de voir à quel point chacun a les idées claires sur le chemin à parcourir et les activités à développer. La seule condition de la réussite est que les fruits de cette stratégie bénéficient autant aux actionnaires qu’à la population, ce qui est le cas aujourd’hui en Suède. On comprend qu’un Nordique qui étudie la situation française ait du mal à comprendre que l’on puisse dépenser 26 milliards d’euros pour des allègements de charge sur des emplois payés autour du Smic et pour l’essentiel non qualifiés !
Cette réflexion stratégique n’épargne pas le secteur des services, d’autant que les derniers rapports suédois sur la mondialisation montrent que des secteurs jusqu’ici considérés comme non délocalisables, comme ceux de la recherche ou des activités liées aux nouvelles technologies de l’information, commencent à être touchés. Cela fait réfléchir les partenaires suédois à des stratégies de niche, y compris au sein des services, pour continuer à bénéficier du commerce international. Ainsi, des efforts spécifiques sont faits sur des secteurs où le pays excelle, comme certains services de banque et d’assurance pour les entreprises, le design industriel ou certains services d’ingénierie très spécialisés.
Et pour finir par un secteur porteur où la France est un modèle, les Suédois étudient le dispositif français pour les services à domicile, pour le moment en retard...
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2007-6/les-pays-nordiques-aux-avant-postes.html?item_id=2776
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