est secrétaire confédéral à la CFDT et rapporteur de l'avis du Conseil économique et social (CES) sur les services à la personne.
Mieux former et mieux rémunérer les salariés
Quatre salariés des services à la personne sur cinq sont employés par
des particuliers, rappelle Yves Verollet dans son entretien à Constructif,
qui suggère de développer la création d’entreprises, d’associations
privées ou de groupements d’employeurs pour permettre une harmonisation
des statuts.
Une des principales critiques effectuées à l’égard du secteur des services porte sur ses mauvaises conditions d’emploi. Cette critique vous paraît-elle justifiée ? Faites-vous une différence entre les services à la personne et les services aux entreprises ?
Yves Verollet. Il existe un grand consensus pour décrire des conditions de travail souvent difficiles liées à des salaires peu élevés. Cela explique en grande partie la faible attractivité des services à la personne (SAP). Il faut citer la place importante qu’y occupe le temps partiel subi, des horaires souvent atypiques ou fractionnés, des frais de transport peu ou pas pris en compte, etc. En outre, compte tenu du faible montant des rémunérations et du nombre d’heures travaillées, beaucoup de salariés à domicile, bien que cotisant à différents régimes de protection sociale, ne bénéficient pas toujours, ou pour de faibles montants, des prestations susceptibles d’être versées par ces régimes.
Malgré les efforts significatifs accomplis au cours des années récentes dans le champ des opérateurs à but non lucratif de l’aide à domicile où plusieurs accords collectifs ont été signés mais aussi, dans une moindre mesure, dans celui des particuliers employeurs, le dispositif conventionnel se caractérise par une grande hétérogénéité. Il existe même encore quelques champs d’activités non couverts par une convention collective. L’une des grandes différences avec d’autres secteurs professionnels – dont les services aux entreprises – réside dans l’éclatement des formes d’emploi. 80 % des salariés des SAP sont employés par des particuliers. Dans les 20 % restant, une majorité travaille dans des associations de l’aide à domicile. Le secteur privé lucratif est seulement en émergence.
Dans les services à la personne, le ministère de l’Emploi estime que les salariés travaillent en moyenne 15 heures par semaine. Ils disposent donc de faibles revenus alors que cet horaire est souvent morcelé en des lieux différents avec des formules de temps partiel ou contraint. Partagez-vous ce constat ? Le fractionnement du temps de travail est-il lié à la nature même des services à la personne ? Comment pourrait-on améliorer la situation des salariés ?
Si des progrès peuvent avoir lieu au sein des différentes structures existantes (associations ou entreprises), il n’en reste pas moins vrai que ce secteur est, comme je viens de le dire, très largement dominé par l’emploi direct (particulier employeur). Si cette forme d’emploi convient à une partie des salariés de ce secteur, elle peut difficilement répondre aux besoins de travail à temps complet ou quasi complet qu’expriment d’autres salariés.
L’observation des associations de la branche aide à domicile montre qu’il est plus facile pour les salariés d’atteindre des temps de travail plus importants lorsqu’ils font partie d’une structure organisée. Si, dans cette branche, le mouvement est bien lancé (triplement du nombre d’emplois en dix ans contre doublement sur l’ensemble du secteur), il est impératif d’amplifier la création d’entreprises privées ou associatives dans les autres secteurs, en particulier celui du ménage–repassage.
Comme les structures qui se créent sont souvent petites, une solution consisterait aussi à développer des groupements d’employeurs. Ainsi, plusieurs entreprises ou associations pourraient constituer un groupement qui embaucherait des salariés et les mettrait à disposition de ses membres. Cette formule permet aux salariés de bénéficier d’un statut collectif unique, d’avoir un seul employeur en titre et d’élargir leurs opportunités de travail à temps complet. Un groupement d’employeurs a beaucoup plus facilement la possibilité de proposer aux salariés, compte tenu de leurs qualifications et de leurs aspirations, des horaires à temps plein et des activités plus diversifiées.
La formule de sociétés coopératives est une autre solution qui peut offrir actuellement de belles opportunités.
Le développement du CESU contribue-t-il déjà à une amélioration de cette situation ?
Il existe deux formes de CESU. Sous sa première forme, il reste identique au déjà connu
« chèque emploi service ». Il s’agit d’une simplification administrative utile qui se développe régulièrement. L’enjeu réside dans le
développement du CESU préfinancé.
Les entreprises, les comités d’entreprise, en
particulier, peuvent préfinancer des chèques
qu’ils attribuent aux salariés qu’ils couvrent.
Ce dispositif peut aider à combler une aspiration croissante des familles, dont les deux
parents travaillent, à un meilleur équilibre
entre vie familiale et vie professionnelle. Il
faut noter aussi la progression du nombre des familles monoparentales.
L’une des conséquences de ces évolutions
est le développement d’une demande de services qui ne trouve pas toujours une
réponse satisfaisante.
Un grand nombre de ces familles n’ont
pas accès pour des raisons financières ou
par manque d’offre aux services dont elles
auraient besoin : garde d’enfants, entretien de la maison en premier lieu.
Le CESU préfinancé peut donc jouer un
grand rôle en venant aider ces familles,
grâce à la participation des employeurs ou
des comités d’entreprise. Pour cela il faudra
développer la négociation sociale sur ces thèmes.
Ce n’est pas une pratique encore très répandue d’inclure la conciliation de la vie professionnelle et familiale dans la négociation sociale.
Cela prendra donc un peu de temps. Si la réussite est au rendez-vous, la
demande augmentera, ce qui favorisera les créations d’emplois.
Dans de nombreux métiers de services, les conditions d’astreinte deviennent plus contraignantes, De nouveaux modes d’organisation du travail sont-ils envisageables ?
Si l’on en reste aux services à la personne ciblés dans le dispositif « Borloo », ces conditions d’emploi ne concernent réellement qu’une partie d’entre eux, essentiellement certains services en direction des personnes âgées ou handicapées ou, de manière plus restreinte, pour des gardes d’enfants à des horaires atypiques (très tôt le matin ou tard le soir). Il n’y a pas aujourd’hui d’accord collectif concernant ce type de services à domicile.
Dans la branche aide à domicile, les négociations ont lieu depuis longtemps mais n’ont pas encore abouti. Le défaut d’accord nuit autant aux personnes qui ont besoin de ces services qu’aux salariés qui les accomplissent dans des conditions insatisfaisantes. C’est l’un des aspects dont il faut tenir compte dans les réflexions concernant tant le financement de la dépendance que celui des modes de garde de la petite enfance.
Le Conseil d’analyse stratégique anticipe une forte progression des emplois dans les services en estimant qu’il s’agira surtout d’emplois peu qualifiés. Si le niveau global de qualification de la population française s’élève, n’y aura-t-il pas là un goulot d’étranglement pour le secteur des services ? Comment pourrait-on y remédier ?
Comme je l’ai expliqué, il faut rendre plus attractifs les services à la personne en améliorant les conditions d’emploi et de rémunération, afin d’éviter que la première préoccupation des salariés soit de le quitter.
Mais il faut surtout cesser de penser « métiers non qualifiés » lorsque l’on traite des services à personne. C’est une profonde erreur de considérer que l’aide à domicile auprès de personnes âgées ou handicapées ou la garde de jeunes enfants ne nécessitent pas de compétences.
La qualité des services d’aide à domicile est souvent insatisfaisante. L’une des raisons est l’insuffisante qualification de nombreux salariés. C’est l’une des grandes préoccupations des fédérations d’employeurs du secteur comme des organisations syndicales qui souhaitent développer les qualifications des personnels. D’une manière générale, la formation initiale aux métiers des services à la personne reste peu développée, eu égard aux besoins de ce secteur et la qualification relève essentiellement des branches professionnelles.
L’alternance pourrait jouer un rôle fondamental pour ces métiers, en particulier dans la formation initiale. Proposer des voies de formations rémunérées peut aussi attirer plus de jeunes vers ces métiers. Développer l’apprentissage, notamment, constitue une réponse intéressante que le Conseil économique et social encourage fortement à suivre. Enfin, il faut ouvrir des perspectives d’évolution professionnelle. Cela passe en particulier par le développement de la validation des acquis de l’expérience (VAE).
Le risque d’une aggravation de la différence entre emplois masculins qualifiés et emplois féminins moins ou peu qualifiés est également pointé par le Conseil d’analyse stratégique. Qu’en pensez-vous ?
Les emplois de l’aide à domicile, de la garde d’enfants ou de l’entretien de la maison sont effectivement quasi exclusivement occupés par les femmes. C’est en revanche moins vrai pour les autres services du dispositif Borloo, mais ils sont encore peu développés. Pour que cela change, il faudra lever de nombreux obstacles culturels comme celui de considérer que ces métiers correspondent aux « qualités naturelles des femmes ».
Si le secteur se structure par la création d’entreprises ou d’associations, il est probable que le nombre d’hommes augmentera. En outre, pour répondre aux besoins, l’ensemble du secteur devra diversifier ses recrutements, c’est-à-dire faire davantage appel aux jeunes. Si des efforts sont mis sur la formation initiale, l’apprentissage, des jeunes hommes viendront vraisemblablement vers ces métiers. Mais il faudra certainement faire œuvre de volontarisme en se donnant des objectifs de recrutement masculin. La partie sera gagnée lorsqu’il y aura des assistants maternels à domicile !
Le développement du secteur des services peut-il aller de pair avec une amélioration de la formation, de la rémunération et des conditions de travail des salariés ? Avez-vous déjà des exemples de « bonnes pratiques » ?
Dans la branche aide à domicile (autour de 200 000 personnes), les partenaires sociaux travaillent à l’unification des conventions collectives existantes et espèrent y parvenir bientôt. Cela ne dépend pas que d’eux mais, comme je l’ai déjà évoqué, des choix en matière de financement de la dépendance. Des accords ont été signés dans cette branche, concernant l’ensemble des salariés sur les emplois et les rémunérations (2002), sur la réduction du temps de travail (2000), le temps partiel (1993).
Le pourcentage de masse salariale consacré à la formation professionnelle est de 2,10 %. Un nombre de salariés important commence à accéder au diplôme d’auxiliaire de vie sociale par la VAE. Sur une dizaine d’années, les conditions d’emploi se sont incontestablement améliorées dans cette branche.
Même si le dialogue social existe aussi dans la branche du « particulier employeur », ses résultats sont moindres. Par exemple, en matière de formation, la contribution reste à un taux de 0,15 %. L’avis du CES recommande d’aller vers un rapprochement progressif des droits collectifs des salariés du secteur des SAP, quelle que soit la structure juridique qui régit leur contrat de travail.
Le risque de la délocalisation ne vaut que pour certains types de services. Comment l’évaluez-vous ? Y a-t-il moyen de le réduire afin de préserver l’emploi en France ?
La délocalisation ne guette guère les SAP. En revanche, la mondialisation est un fait, et les délocalisations, depuis les années 70, ne sont pas une situation nouvelle. Pour certaines grandes entreprises, cela correspond certes à la recherche d’une meilleure maîtrise des coûts pour les salaires, mais surtout à la stratégie de compétitivité des entreprises pour l’accès à de nouveaux marchés. On l’a bien vu pour les centres d’appels. Ils se sont installés d’abord en Ile-de-France, puis en province, puis dans les pays à bas coûts de salaires, puis, vu leur inadéquation à la demande des clients, ils ont été pour la plupart, moins de dix ans après leur création, réinternalisés en France avec des emplois plus qualifiés.
En jouant sur la qualification et sur la réponse à une demande des consommateurs de plus en plus exigeante sur la qualité, on peut développer des emplois de service en France à condition d’anticiper sur des niches d’emploi à valeur ajoutée. C’est ce qu’ont compris certaines régions pour ancrer les centres d’appels sur leur territoire, comme le Nord-Pas-de-Calais. D’ailleurs, les employeurs se sont organisés, ils ont négocié avec les organisations professionnelles des conventions collectives, mis en place des formations et des diplômes et créé un observatoire des métiers.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2007-6/mieux-former-et-mieux-remunerer-les-salaries.html?item_id=2791
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