Sommaire N°17

Juin 2007

Georges RIGAUD

Avant-propos

L'élan du secteur des services

Georges DROUIN

Les services, avenir de l'économie française

Alain LEFEBVRE

Les pays nordiques aux avant-postes

Michèle DEBONNEUIL

Les services dans l'économie de demain

Jacques MANARDO

Les services à la personne sur leur lancée

Pascal PORTIER

Le groupe La Poste, un nouvel acteur

Jean-Claude PERREAU

De nouveaux métiers apparaissent

Eric RAMBAUD

Le maillon ultime d'une chaîne

Eric DADIAN

Inventer de nouvelles formes d'organisation du travail

Yves VEROLLET

Mieux former et mieux rémunérer les salariés

Camal GALLOUJ

Les cinq grands freins à l'essor des services

Hervé MATHE

Bâtir les services futurs

François-Yves VILLEMIN

L'impact des TIC sur l'économie des services

Pierre RIVARD

Les entreprises du Bâtiment vendent leurs prestations ''service compris''

François ROUGNON

Passer de l'ère du garagiste à celle de l'avionneur

Jean GADREY

Les services de demain entre marché, famille et Etat

Philippe BLOCH

Vous avez dit ''esprit de service''?

Ted STANGER

La France pourrait mieux faire

L'art comme lien social ?

Roland RECHT

Musées, lien social et République

Carlo OSSOLA

Pour des arts du vivant

Alain SURRANS

Jouer avec et pour l'autre, par-dessus les frontières

Nicolas BOURRIAUD

Lettre sur l'art et les relations humaines

Jean-Claude WALLACH

Injonctions, incertitudes et paradoxes

Cécile LADJALI

L'art de la réconciliation

Charlotte NESSI

De la force de l'ancrage et du temps

Denis ROUX

La musique pour briser les murs

Jack RALITE

''L'art est une blessure qui devient une lumière''

Didier BEZACE

Le théâtre, instrument de dignité humaine

Vincent NOCE

Les musées français en quête de ressources

Ted STANGER

est écrivain et journaliste. Américain, il vit à Paris.

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La France pourrait mieux faire

Observateur aguerri de la société française, Ted Stanger relève un certain manque de considération pour le client des entreprises du commerce et des services, et plaide pour une plus grande liberté d’exercice des entreprises de ce secteur.

J’entre dans la boutique d’un pâtissier parisien à Saint-Germain-des-Prés. Il est presque 20 heures. « On est fermé », m’informe la femme derrière le comptoir, qui est en train de servir celui qui sera son dernier client de la journée. Elle m’accueille, à un peu près, comme si j’étais cambrioleur.
« Mais je voulais juste un truc, n’importe quoi. Cela prendra quinze secondes…» Je ne voudrais pas débarquer les mains vides chez des amis qui m’invitent à dîner. Je propose donc à la vendeuse de payer en espèces pour aller plus vite encore. Et pas besoin de paquet cadeau. Je me fais tout humble, comme un pauvre pénitent, un hérétique devant Torquemada.
« Je vous ai déjà dit, monsieur, que nous sommes fermés », répond l’intransigeante. Le ton plus sec, elle risquerait une déshydratation.
Pas la peine d’insister. La France d’aujourd’hui, c’est le TGV, des cartes à puce, l’ADSL, d’accord, mais c’est aussi un pays où la notion du service au public reste ancrée dans un autre siècle, le XIXe. Le client est peut-être roi ailleurs, mais l’Hexagone républicain est fier d’avoir occis le monarque.

Un certain manque d'égards

L’exemple du pâtissier n’a rien d’exceptionnel et, fort des témoignages des amis français et étrangers, je pourrais remplir des tomes. Bien sûr, on est bien servi dans beaucoup de cas, mais j’ai tout de même l’impression que le client en France a droit à peu d’égards : c’est un « usager », avec tout ce que cela peut avoir de connotation péjorative. Sinon, comment expliquer ce manque d’empressement de la part des commerçants ? Les boutiques les plus chic de la capitale ouvrent souvent avec un quart d’heure de retard le matin pour fermer avec 15 minutes d’anticipation le soir. Dans une agence de location de voitures, place d’Italie, je dois patienter plusieurs minutes pour que le seul employé finisse une conversation privée sur son portable…
Pourtant, les Français sont capables d’être des champions mondiaux du service – quand ils le veulent et quand le client paie le prix fort. J’en ai eu la preuve formelle à l’époque de ma vie où, armé d’une note de frais, je ruinais mon employeur, l’hebdomadaire Newsweek, en fréquentant des restaurants et hôtels de première catégorie en France. Service discret, attentif et surtout, un personnel merveilleusement bien formé, et souvent bilingue. Mais nous parlons ici d’une élite dont les membres sont les « Enarques » et les « Polytechniciens » du secteur des services. En bas de l’échelle, par contre, on pourrait encore mieux faire.

Faciliter la vie du client

Pense-t-on jamais à faciliter la vie du client, comme ces banques qui ouvrent le samedi ? Rarement. Avant d’aller chercher ses résultats dans un laboratoire d’analyses médicales, par exemple, vérifiez si on ferme à l’heure du déjeuner pour que tout le personnel se restaure en même temps. Le client n’est pas prioritaire. Pour se faire servir dans un de ces temples du shopping qui s’appellent grands magasins, il faut parfois oser interrompre une conversation entre trois ou quatre vendeurs sur leur dernier week-end ou le dernier contentieux avec la direction.
Qu’est-ce qui motive donc les millions de Français qui travaillent dans les services ? Leur comportement s’explique peut-être par des siècles de mépris (publiquement affiché, en tout cas) pour l’argent, jumelé avec une vénération plus récente mais aussi durable du temps libre.
Le client ou, si vous préférez, l’usager, a droit à la médaille de bronze seulement.
La notion du service en France, hélas, est fixée aussi par référence à la fonction publique qui semble subir l’administré. Si le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a installé la charte Marianne pour « garantir » un meilleur accueil, c’est qu’il y avait un problème. Et il n’a pas disparu, charte ou pas.
Un ami japonais qui demandait un rendez-vous afin de convertir son permis de conduire en permis français s’est vu accorder une date deux mois plus tard, au même moment qu’un voyage d’affaires. Il demande poliment un autre jour.
« Revenez demain si vous voulez un autre jour, répond fermement la fonctionnaire. Aujourd’hui, je ne donne que cette date-là ». Elle a fini par céder après dix minutes de supplications : un autre jour était possible après tout.
Ce genre de « service » fait école dans le secteur privé, et ce n’est pas une coïncidence de plus si 70 % des jeunes Français veulent devenir fonctionnaires, selon les sondages. Ainsi, un vendeur français se prend parfois pour un agent du public. Cherchant un renseignement sur un GPS dans un magasin d’électroménager à Paris, trois employés du rayon m’ont dit successivement « Voyez avec mes collègues ».
Ne croyez pas un instant que seuls les étrangers en France sont concernés. Dans un de mes livres, je cite la plainte d’un chroniqueur culinaire du Figaro qui avait essayé en vain d’obtenir une carafe d’eau dans un restaurant parisien branché. Le client, c’est un administré qui mange.
A qui la faute ? Le plus choquant pour moi, c’est un patronat qui ne voit pas la nécessité de faire des réformes ou d’aider certains employés à comprendre qu’un commerce, qu’il s’agisse d’une boutique, d’une agence ou d’une grande surface, n’existe pas que pour leur fournir un bulletin de salaire. « On sait très bien que nous avons un problème avec l’accueil du public, m’a confié un jour un dirigeant au BHV, mais à cause des syndicats nous avons les mains liées. »

La vraie révolution reste à venir

Il y a du progrès tout de même. A mes débuts en France, dans les années 60, on entrait dans un commerce comme dans un salon bourgeois, sur la pointe des pieds et avec néanmoins l’impression de « déranger » le personnel. Depuis, on voit affiché « entrée libre » par-ci, par-là. Et puis des magasins qui comptent sur une clientèle étrangère ont dû faire des efforts. Mais la véritable révolution dans le service reste à faire.
Dans l’ère post-industrielle, la France peine encore à comprendre que dans une économie de services, il faut libéraliser un peu. C’est d’ailleurs dans l’intérêt des employés de l’Hexagone, stressés depuis deux décennies par la précarité. « Contre le chômage, on a tout essayé », soupira François Mitterrand dans les années 80, période pendant laquelle le taux des sans-emploi s’installa cruellement. Tout essayé ? Vraiment ? Difficile de comprendre dans ce contexte les interdictions d’ouvrir le dimanche, le jour idéal pour de nombreux consommateurs français désireux de faire leurs achats.
Laisser aux commerces une plus grande liberté d’ouverture n’est pourtant pas envisagé, en raison du blocage d’une coalition anticoncurrence, avec syndicats et petits commerçants en tête. Bosser le jour du Seigneur est encore perçu comme une affliction, même pour une France laïque. Dans un reportage sur les ouvertures le dimanche, un reporter de la chaîne M6 interrogea un étudiant avec emploi comme vendeur à temps partiel et visiblement content de toucher 25 % de prime pour le travail dominical. « Est-ce que cela ne vous empêche pas de sortir avec vos camarades le samedi soir ? », demanda la journaliste, comme si se coucher avant minuit équivalait à une jeunesse ratée aux allures de Germinal. Le jeune salarié confirma qu’effectivement il allait au lit plus tôt que les autres. Obligé de sacrifier ses meilleures années pour que les consommateurs puissent remplir leur Caddie le dimanche ! Quelle horreur !
A mon avis, ce changement ne se fera pas tant que le code du travail officialisera et, par conséquent, pérennisera, la fracture entre patrons et employés. Un employeur contraint d’accorder des privilèges à ses salariés, d’un côté, et des membres du personnel principalement soucieux de leurs droits de l’autre, tout cela ne crée nullement une ambiance favorable au client. Coincé entre ces deux corporatismes, le client en paie les frais : l’étranger notamment ne soupçonne pas qu’il vient d’entrer dans une zone de contestation sociale. Si la France attire toujours autant de touristes, ce n’est guère grâce à ses services, mais en dépit de ceux-ci.
Quant à mon achat des bonbons à Saint-Germain-des-Prés, j’ai abandonné en faveur d’un bouquet chez un fleuriste, où je fus d’ailleurs très bien servi.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2007-6/la-france-pourrait-mieux-faire.html?item_id=2801
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