est journaliste, rédacteur en chef de Plein Ouest et correspondant du Point à Nantes.
La musique pour briser les murs
La Folle Journée de Nantes, lancée par René Martin en 1995 avec un
objectif pédagogique d’initiation à la musique classique, n’a cessé de
voir son public s’élargir. Elle essaime aujourd’hui aux quatre coins du
monde en n’oubliant pas sa vocation initiale.
Clin d’œil aux « Noces de Figaro » de Mozart, la Folle Journée de Nantes n’a sans doute jamais autant mérité ce qualificatif, n’ayant rien perdu depuis douze ans de son bouillonnement originel. Vouloir casser les murs qui emprisonnaient la musique classique dans un milieu souvent élitiste tenait de la gageure, tant les réticences des puristes étaient réelles. Et séduire en nombre un public novice semblait une douce utopie. Naïveté ou persévérance ? Toujours est-il que René Martin s’est lancé dans l’aventure. C’est en assistant à un concert du groupe rock U2 au stade de la Beaujoire qu’a germé son projet de déplacer des foules pour écouter du Mozart ou du Schubert. Tout un symbole de cette volonté de briser les barrières qui est la marque de cette Folle Journée.
Avec une poignée d’amis réunis dans l’association CREA (Centre de réalisation et d’études artistiques), il crée sa première Folle Journée à la Cité des Congrès de Nantes, en 1995. En un week-end, il propose 37 concerts et réunit plus de 18 000 spectateurs. Du jamais vu. Depuis, la dynamique ne s’est jamais démentie, et pour la 13e édition, ce sont 278 concerts qui ont été donnés devant plus de 112 000 spectateurs, mélomanes ou pas. Et c’est là sans doute l’un des points les plus positifs de cet événement : le public s’est élargi, donnant une réalité au dessein pédagogique qui présidait à la création de la Folle Journée.
Un modèle de mixité sociale ?
Le meilleur moyen de percevoir l’esprit Folle Journée est de passer quelques heures dans la ruche que constitue la Cité des Congrès pendant l’événement. C’est un va-et-vient permanent entre les salles avec comme point central le kiosque où sont donnés gratuitement des concerts. On y côtoie des gens de tous âges, même si les seniors sont majoritaires. Des cadres, des étudiants, des familles. Des habitués de la première heure et des nouveaux (10 à 15 % chaque année). Des nœuds papillons et des jeans. Certains enchaîneront quatre ou cinq concerts à 25 euros. D’autres un seul à 4,5 euros. On y croise aussi des centaines d’artistes. Et les plus grands. Non seulement parce que le succès appelle le succès mais aussi en raison de l’ambiance si particulière qui s’en dégage. « La Folle Journée, c’est comme un voyage, une croisière. Quand on arrive à quai, on est presque malheureux de sortir de ce monde merveilleux », dit la pianiste Brigitte Engerer.
Certains y verront un modèle de mixité sociale même s’il ne faut rien idéaliser : beaucoup reste à faire pour attirer notamment les jeunes de moins de 25 ans qui ne constituent aujourd’hui qu’un spectateur sur dix de la Folle Journée. Ce travail de fond doit se faire dès l’école, pour éveiller l’oreille des ados…
Une école de la musique
De multiples initiatives se sont agrégées à la Folle Journée. Comme celles de Patrick Barbier, musicologue professant à l’Université catholique d’Angers, qui conçoit et écrit chaque année un spectacle mettant en scène le compositeur tête d’affiche de l’événement nantais. Ces 200 représentations données dans des collèges et lycées facilitent l’audition des concerts. Ainsi, pour l’édition 2007, 6 800 scolaires ont écouté, souvent pour la première fois, des œuvres de Debussy, Fauré ou Tchaïkovski. Excepté quelques grincheux gênés par la réactivité parfois intempestive des adolescents, l’intégration dans le monde de la musique classique se passe bien. « C’est aux adultes de faire preuve d’indulgence et de se montrer pédagogues si nécessaire », estime Michèle Guillossou, directeur de la SEM Folle Journée. La volonté de René Martin est d’aller toujours plus loin et de toucher des publics a priori aux antipodes de ce style musical. A priori seulement, si on s’en tient au succès des concerts programmés au centre de détention. La pianiste Anne Queffelec se souvient très bien des deux concerts qu’elle a donnés dans ce centre. « Ce qui m’a le plus frappée ? La qualité d’écoute exceptionnelle alors que nous jouions des œuvres dans leur entité. On rêverait de tel silence dans les salles de concert. Au deuxième concert, une détenue m’a offert un bouquet de fleurs et m’a dit, les larmes aux yeux : « Pendant que vous jouiez, j’ai oublié l’incarcération… ». Je me suis sentie utile. Je suis intimement persuadée que la conscience de la beauté fait grandir les êtres humains et peut les aider à retrouver une dignité perdue ou blessée. »
« La musique peut être salvatrice pour les gens qui souffrent confirme Brigitte Engerer, Il est primordial d’aller vers ceux pour qui la musique est un langage secret et de leur montrer que le seul langage qui compte, c’est celui des sentiments. »
Des oeuvres de Smetana en hard rock
Toujours soucieux de faire tomber les barrières entre les musiques, René Martin avait créé des concerts donnés chez des habitants de quartiers défavorisés. Cette année, il a invité des ensembles traditionnels de Roumanie et Hongrie, pour rendre hommage à l’infinie richesse du répertoire populaire dont se sont inspirés ces compositeurs. Gros succès ! Tout comme la transcription d’œuvres de Smetana ou de Bartok en style et en version hard rock ou électro. « C’est un travail qui se fait tout au long de l’année avec des jeunes dans les maisons de quartiers. Donner un concert à la Cité des Congrès dans le cadre de la programmation de la Folle Journée est pour eux très valorisant. Et cela fait venir un autre public ! », affirme Michèle Guillossou qui ajoute, enthousiaste : « C’est aussi cela l’avenir de la Folle Journée. »
Refusant toute idée de festival off, René Martin souhaite intégrer, dans la mesure du possible, tous les acteurs artistiques de la région. Ainsi des écoles de musique de la région, des harmonies et le conservatoire de région sont de la fête. Un défi pour ces formations amateurs qui se voient proposer de jouer devant des milliers de personnes. Car René Martin, intransigeant sur le travail artistique, saisit toutes les occasions d’offrir au plus grand nombre ses émotions musicales. Témoins ces milliers de CD distribués gratuitement chaque année par les commerçants nantais et siglés Folle Journée.
Une dimension internationale
Si les cloisons de la musique classique volent en éclats, les heures de la Folle Journée ne cessent de s’allonger. Du week-end festif de 1995, on est passé au fil des éditions à cinq jours de concerts. Sans compter les 150 représentations données dans onze villes des Pays de la Loire. Aujourd’hui, l’événement représente un budget conséquent de 3,5 millions d’euros. Etre hors norme ne conduit-il pas inexorablement à la démesure ? Même s’il ne veut pas l’avouer, René Martin le craint. Et il s’en défend, au point de rejeter les offres américaines et allemandes et même d’avoir refusé un temps les avances mirobolantes des Japonais. Il ne cache pas que c’est après avoir repris son bâton de pèlerin pour réussir la Folle Journée délocalisée dans la région qu’il a enfin accepté de monter une édition à Tokyo qui rejoint ainsi le club très fermé des villes Folle Journée : Bilbao et Rio de Janeiro à partir de cette année. Lisbonne, hélas, n’en fait plus partie en raison des coupes sombres dans les budgets culturels portugais.
Dans un Ouest que l’on dit mesuré et sage, Nantes se distingue donc par ses audaces culturelles. Personne n’a oublié les iconoclastes et festives « Allumées » il y a vingt ans. Depuis, Royal de Luxe s’est installé à Nantes, réservant à ses habitants la primeur de ses créations les plus imaginatives. Le petit géant, la girafe et l’éléphant sont entrés dans la mémoire collective des Nantais qui se précipitent par dizaines de milliers à chacune des sorties de Royal. Pas étonnant que soit né dans la ville de Jules Verne le projet des « Machines de l’île ». Pas surprenant que Jean Blaise, le père des Allumées, lance fin juin une biennale d’art contemporain appelée Estuaire et qui propose de découvrir, notamment à bord d’un bateau, des créations installées en bord de Loire ou sur le fleuve. Nantes n’a pas fini de vivre de folles journées…
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