est président du groupe Rougnon.
Passer de l'ère du garagiste à celle de l'avionneur
Dans son interview à Constructif, le président du groupe de second œuvre Rougnon explique les règles d’un développement fondé sur les services.
Une stratégie d’offre dictée par une écoute permanente du
client sur un marché régulé par les prix, et un important investissement
sur l’humain lui semblent de nature à assurer la croissance et la
pérennité de son groupe indépendant.
Comment définissez-vous votre activité ?
François Rougnon. Résolument indépendant, le groupe Rougnon rassemble sept sociétés et emploie quelque 400 personnes en région parisienne. Nous exerçons les métiers de travaux et de services qui tournent autour de l’eau et de l’énergie, c’est-à-dire la climatisation, la plomberie-couverture, l’électricité, le chauffage et les cuisines collectives. Notre activité se caractérise par la pose de tuyaux ou de fils électriques, les contrats de maintenance et d’entretien et le dépannage. On pourrait la résumer en disant que nous intervenons sur tout ce qui tombe en panne dans le Bâtiment !
Pourquoi avoir orienté vos entreprises vers une offre de services ?
Il y a là une certaine sécurité pour un groupe indépendant, car le service nous assure un chiffre d’affaires récurrent chaque année et une bonne rentabilité. Ce choix résulte pour nous d’une évolution historique. Traditionnellement, dans une entreprise de chauffage, on ne vend pas des moyens mais un résultat. La notion de forfaitisation des charges est venue dans ce secteur de l’énergie : un certain nombre de chauffagistes étaient filiales de compagnies pétrolières et ont lancé les contrats à forfait incluant le combustible et l’entretien. Puis ils ont proposé des financements permettant à des propriétaires d’investir dans des chaufferies dont ils deviendraient propriétaires dix ans plus tard. Ensuite, la notion de partage des économies est venue pour le fioul et l’eau. Enfin, c’est le client qui a imposé la notion de service en demandant un dépannage 24 heures sur 24 et la notion de « clé en mains ». Aujourd’hui, nous proposons des contrats de travaux associant la maintenance sur une longue durée.
Nous avons bien compris que la vente de services est forcément sur mesure dans nos métiers techniques et qu’il faut prendre le temps d’écouter le client. Cette démarche d’écoute permanente est dans la culture des métiers de services.
Etre à l’écoute du client, c’est vraiment essentiel ?
Oui, absolument. On ne peut pas dire à un client que l’on fait des travaux mais que l’on n’assure pas la maintenance d’une installation ! Autre exemple : en dépannage, le client demande un compte rendu immédiat de l’opération. Nos ouvriers ont déjà des fax pour nous envoyer tous les soirs leurs rapports que nous transmettons le lendemain au client. Très prochainement, ils auront tous des PDA : le client pourra signer son accord sur le PDA et la facture et le compte rendu seront envoyés aussitôt… Nous sommes donc résolument engagés dans une logique de services et de qualité : c’est quand on l’a dépanné un vendredi à 21 heures que l’on gagne un client !
Comment avez-vous fait évoluer vos métiers au fil du temps ?
Il est dans notre culture d’entreprise de nous demander comment, dans cinq ou dix ans, nous pourrons être adaptés aux nouveaux besoins des clients. C’est en fonction de ce type d’interrogations qu’ayant vu la construction neuve passer dans les mains des entreprises générales, nous avons renoncé à ce marché. Nous ne faisons plus non plus de salles de bains ni de cuisines, car les menuisiers agenceurs peuvent les faire aussi bien et que le know how ne vient pour l’essentiel pas de l’entreprise : réussir une belle salle de bains est plus un problème d’agencement et de pilotage que de plomberie, et l’agencement n’est pas notre métier.
Il y a d’autres domaines dans lesquels vous avez fait marche arrière…
Oui. Nous avons renoncé au tous corps d’état car nous n’avions pas de bonnes capacités de pilotage. Nous avons également cessé de travailler en province et à l’exportation, car des entreprises locales le font aussi bien que nous et nous n’avons pas d’atouts majeurs par rapport à elles.
Si un de nos clients, pour lequel nous réalisons des salles informatiques, par exemple, nous demande d’assurer leur maintenance sur toute la France, nous nouons une association avec des partenaires locaux. Nous ne pensons pas qu’il est nécessaire de développer un maillage national : le jour où nous sommes obligés d’aller à Marseille, nous contactons le confrère local le plus compétent pour l’affaire à traiter avec nous. Ne pas y aller seuls est un choix délibéré.
Comment vous apprêtez-vous à affronter l’avenir ?
A titre personnel, j’ai fait le choix de ne plus être directeur général mais seulement président. Mon vrai métier, c’est de faire en sorte que mes collaborateurs aient une « pêche d’enfer » dans leurs domaines d’excellence qui sont différents des miens. Chaque année, je me forme à un sujet qui m’intéresse pour prendre du recul et je noue de nombreux contacts avec des amis ou des relations qui me permettent de réfléchir. Voir beaucoup de gens très différents, cela m’apporte des idées nouvelles, c’est très important.
Au niveau du groupe, nous avons mis en place une holding de 40 personnes qui assume tous les services généraux et décharge nos « productifs » de ce qu’ils n’ont pas le temps de faire. A la tête de chacune des filiales, il y a un « patron » qui est associé au capital et mandataire social. De plus, nous avons mis en place depuis longtemps un système d’intéressement pour le personnel qui rapporte couramment un à deux mois de salaire net à chacun. Cela marche : nous nous développons, et les actionnaires et les salariés partagent les fruits de la croissance.
En termes de stratégie, l’eau et l’énergie sont des produits de plus en plus rares, de plus en plus chers, on ne peut pas s’en passer, il n’y a pas de produits de substitution et les services associés ne sont pas délocalisables, c’est pourquoi nous misons sur ces marchés !
Et sur le plan technologique ?
Il n’y a pas d’incidence du technologique sur notre développement. Je n’attends pas de révolution technique dans nos métiers ni sur notre marché francilien.
Nous avons déjà une vraie culture d’entreprise qui intègre internet et nous sommes prêts à travailler dans la mobilité. Si une évolution technologique est proposée par un fournisseur, nous sommes capables de l’adopter sans délai. Notre survie passe par le choix, la formation et la motivation des hommes et le maintien d’une qualité de services.
Le développement futur de votre groupe passera-t-il par les services ?
Oui, nous avons cette volonté, qui constitue une philosophie partagée au sein de l’entreprise, de devenir de plus en plus une société de services. Ce n’est pas facile, notamment pour nos salariés, car à 50 ans, il ne va pas de soi d’accepter d’être d’astreinte chez soi pour assurer un dépannage 24 heures sur 24. Mais nous avons beaucoup investi sur la formation et l’employabilité de nos collaborateurs.
Nous nous préoccupons naturellement de développement durable et d’économie d’énergie. Il est probable que tôt ou tard, une régulation de nos marchés se fera par les prix de l’énergie ou de l’eau. Il faut donc que nous nous positionnions « en embuscade » pour répondre aux besoins d’un marché qui sera dominé par ce problème de prix élevés : proposer de la régulation électronique pour optimiser les consommations, des systèmes pour ne pas chauffer des locaux quand ils ne sont pas occupés ou réaliser des économies d’eau en garantissant une certaine qualité… C’est une stratégie d’offre.
Le client attend réellement de nous un conseil global et une anticipation des problèmes, ainsi qu’une grande rigueur dans nos méthodes de travail (nous sommes certifiés Iso 9001). En résumé, nous sommes passés de l’ère du « garagiste » qui attend la panne, à celle de « l’avionneur » qui n’a pas droit à la panne et anticipe avec des check-lists !
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2007-6/passer-de-l-ere-du-garagiste-a-celle-de-l-avionneur.html?item_id=2798
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