est inspecteur général dans finances, membre du Conseil d'analyse économique (CAE) et présidente du Conseil scientifique de l'Agence des services à la personne (ANSP).
Les services dans l'économie de demain
Pour Michèle Debonneuil, la diversification des services et la
révolution des nouvelles technologies de la communication déboucheront, à
terme, sur l’intégration des biens et des services.
Un service est, selon la définition de la comptabilité nationale, « une mise à disposition temporaire de savoir ou de savoir-faire ». Sa fourniture nécessite donc, d’une part, de disposer des savoirs et savoir-faire en question, d’autre part, d’en organiser la mise à disposition temporaire en un lieu et à un moment définis auxquels le consommateur et le prestataire pourront se rencontrer. Ce sont les conditions de cette rencontre qui changent aujourd’hui.
Dans l’économie industrielle, les conditions d’accès aux services étaient déterminées par les prestataires. Les consommateurs devaient se rendre dans des lieux dédiés à un service, où ils recevaient à tour de rôle une prestation en fonction des disponibilités de l’offre. Ce schéma s’appliquait aux commerces de réparation ou d’entretien, aux différentes formes de conseil, de formation et d’éducation, aux services liés à la santé, au bien-être ou à l’esthétique, à l’achat et à la livraison de produits divers, au spectacle, bref, à presque tous les services.
Une demande mal satisfaite dans le passé
Le prestataire ne s’adaptait aux préférences du consommateur en termes de lieu et de temps que dans des circonstances spécifiques, si une urgence ou une situation de dépendance l’imposait (interventions médicales, dépannages, aide au domicile des personnes âgées ou handicapées). Ces services correspondaient dans la plupart des cas à des accidents ou des situations non voulues et leur coût était si élevé qu’il devait être pris en charge par des assurances privées ou publiques. La seule exception notable était celle des employés de maison des personnes les plus aisées. Dans ce cas, la durée et le coût de la prestation (emploi à temps plein ou presque) justifiaient que le prestataire s’adapte aux conditions du consommateur, mais sous une forme qui était une survivance de la domesticité dans l’économie préindustrielle.
Cette organisation évinçait un grand nombre de besoins, notamment lorsqu’ils étaient trop fragmentés (de courte durée ou irréguliers) pour permettre la mise en place d’une offre structurée. La demande pour de tels services était non solvable et devait être soit non satisfaite, soit satisfaite tant bien que mal par de l’autoproduction (personnelle ou dans le cadre d’échanges informels). Ces besoins étaient donc refoulés ou contournés. Lorsqu’une offre de services se faisait jour malgré tout, beaucoup de clients potentiels trouvaient aberrant ou inabordable de recourir à des échanges marchands pour des besoins aussi futiles. Chacun repoussait le moment d’accomplir des démarches administratives, de laver la voiture, de repriser un vêtement abîmé ou de réparer un branchement électrique défaillant, avant de s’y résoudre contraint et forcé.
Il est dans l’ordre des choses que ces besoins s’expriment à mesure que le niveau de vie s’élève et que le consentement des individus à payer de tels services progresse, pourvu qu’une offre satisfaisante leur soit proposée.
Un fort développement de la consommation
C’est ainsi que les dix dernières années ont vu exploser les services aux personnes, de la livraison des courses au soutien scolaire en passant par l’entretien du domicile, la garde d’enfants ou l’assistance informatique. Ces activités ont permis de créer 1,5 million d’emplois depuis 1995, soit les deux tiers de l’augmentation totale de l’emploi dans le pays.
Les gouvernements, ayant perçu le potentiel de ce secteur dans la lutte contre le chômage, ont soutenu son développement par des incitations fiscales, des simplifications administratives et même des tentatives de structuration de l’offre. Si ces mesures ont sans aucun doute accéléré le développement de ces activités, elles ne peuvent pas l’expliquer à elles seules. De 1998 à 2005, la consommation de services des ménages a augmenté de 20 %. Cette tendance correspond à un besoin de mieux-être : l’externalisation de la prestation de certains services (démarches de tous types, recherche et tri d’informations, formation, entretien du domicile, etc.) augmenterait aujourd’hui le confort des individus de la même façon que celle de la production de biens l’a fait au cours du XXe siècle.
Cette demande latente va rencontrer une offre totalement renouvelée par l’apport des technologies de l’information. Les TIC et en particulier l’internet entraînent en effet une chute des coûts et une multiplication des capacités de communication, de la transmission de sons et d’images jusqu’au contrôle d’appareils à distance. Grâce aux instruments dérivés de ces technologies, il devient facile et économique d’organiser la réponse à une demande de prestation occasionnelle d’une heure ou deux sur un lieu quelconque choisi par le consommateur.
L'industrialisation de l'offre
Les technologies issues de la microélectronique vont ainsi permettre d’industrialiser la mise à disposition de prestations de services sur mesure pour quelques heures, et susciter leur diversification. L’industrialisation de la mise à disposition des services, qui n’en est qu’à ses débuts, ouvre la voie à une amélioration de la qualité horizontale et verticale, comme ce fut le cas pour les biens. A terme, la diversification des services et la révolution des TIC dessinent une transformation plus fondamentale : l’intégration des biens et des services.
Pour les biens de consommation courante, les TIC permettent d’industrialiser la livraison et l’envoi à domicile (ou dans d’autres lieux) qui évitent de se déplacer chez le commerçant, d’automatiser les choix les plus routiniers ou de proposer de nouveaux choix en fonction du profil du consommateur. Le développement rapide du commerce en ligne sur internet marque ainsi bien plus qu’une transformation physique du commerce traditionnel ; c’est le bouleversement de l’économie du commerce, dont émerge une nouvelle combinaison de biens et de services sous forme intégrée : mise en ligne des produits dans des magasins virtuels, liaison en temps réel avec les stocks, enregistrement et exploitation de données clients, paiement sécurisé, livraison.
Vers une intégration des biens et services
Pour les biens durables, souvent volumineux, complexes d’utilisation, rapidement dépassés par de nouveaux modèles et sujets à des pannes coûteuses, la tendance sera sans doute d’acheter de plus en plus une mise à disposition temporaire en même temps qu’un service de formation à leur usage, d’entretien régulier et de réparation, de financement et d’assurance, de remplacement lorsqu’ils deviennent obsolètes. L’automobile a ainsi entamé cette mutation : la voiture ne sera plus achetée mais louée selon les besoins à l’année, à la semaine ou à l’heure, accompagnée de services de parking, d’entretien, d’assurance, voire de chauffeur, etc. Les appareils télévisuels ne seront plus achetés dans un premier temps, puis réparés ou assemblés dans un second. Les producteurs offriront directement aux consommateurs un service intégré dans lequel des biens seront des consommations intermédiaires.
De plus en plus, les services vont s’articuler autour des biens et des lieux pour constituer des produits complexes mais intégrés, simples d’utilisation et finement adaptés à la demande. Le consommateur moyen des pays développés, dont le niveau de satisfaction par des produits de base est élevé, souhaitera trouver un supplément de confort en se faisant accompagner par un ensemble de services dans l’utilisation des biens et sur ses lieux de vie. Après avoir diversifié les biens puis les services, la nouvelle technologie générique permettra de les conjuguer afin de satisfaire cette demande.
La frontière entre les biens et les services s’estompe, et laisse place à des rapprochements et des synergies. Les services deviennent en quelque sorte un écrin pour les biens, dont ils accroissent et prolongent l’utilité, et dont ils ne se séparent plus. Le secondaire et le tertiaire se conjuguent. L’économie que nous appelons du « quaternaire » est en train de naître. Comme toute invention radicale, elle ne renie pas le paradigme précédent, elle le complète et le dépasse.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2007-6/les-services-dans-l-economie-de-demain.html?item_id=2779
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