Raphael HADAS-LEBEL


est président du Conseil d’orientation des retraites (COR) *.
* Tous les rapports du COR sont en ligne sur son site : www.cor-retraites.fr

Partage

L'occasion de réexaminer l'ensemble des paramètres

Créé par le gouvernement en 2000, le Conseil d'orientation des retraites est un lieu permanent d'études et de concertation entre les principaux acteurs du champ des retraites. Son président, Raphaël Hadas-Lebel, passe en revue les principales problématiques des régimes publics par répartition qui devraient faire l'objet d'un réexamen en 2010 et explique les conclusions de son dernier rapport sur les comptes à points et les comptes notionnels.

Vous avez organisé, en décembre 2009, un colloque sur les systèmes de retraite face à la crise, en France et à l'étranger. Qu'en concluez-vous pour la France ?

La crise macroéconomique, en freinant la croissance des ressources des régimes de retraite publics en répartition, à cause de son impact sur l'emploi et les salaires, a entraîné une aggravation des déficits des régimes de retraite : en 2009 et 2010, le solde financier de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) se dégraderait très fortement, pour atteindre - 10,7 milliards d'euros en 2010, soit un quasi doublement en deux ans, selon les prévisions associées au projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2010.

La crise accentue ainsi la problématique de moyen et de long terme des régimes de retraite, qui ont à faire face de façon structurelle à un double défi démographique : celui du « papy-boom » et celui de l'allongement de l'espérance de vie.

Dans le même temps, les régimes de retraite publics en répartition ont été un élément important de stabilisation face à la crise, en préservant les revenus des retraités et dans la mesure où ont été mises en œuvre des mesures spécifiques de soutien aux pensions les plus faibles.

Comment résumeriez-vous la problématique des retraites en France en termes démographiques, économiques et sociaux ?

Le système de retraite français, parvenu à maturité, a permis de diminuer fortement le taux de pauvreté des personnes âgées, qui est aujourd'hui inférieur au taux de pauvreté de l'ensemble de la population, et d'augmenter le niveau de vie moyen des retraités, qui est équivalent à celui des actifs. Mais depuis 2006, il doit faire face à des besoins de financement qui vont s'accroître au cours des prochaines décennies en l'absence de nouvelles mesures. Au-delà de la crise économique qui réduit temporairement les recettes du système, les déficits résultent d'une augmentation structurelle des dépenses de retraite, liée principalement à deux événements démographiques : d'une part, le choc du « papy-boom », avec l'arrivée de générations nombreuses à la retraite entre 2006 et 2034 ; d'autre part, l'allongement de l'espérance de vie, qui accroît également le nombre de retraités. Celui-ci va ainsi passer de 14 millions en 2006 à 22 millions en 2050, de sorte que le rapport démographique évoluera dans le même temps de 1,8 cotisant pour un retraité à 1,2 cotisant pour un retraité.

Entre 1996 et 2008, le niveau de vie des retraités en France a progressé, de façon assez proche de celui des salariés, et le taux de pauvreté est resté stable. Ce constat vaut-il toujours en ce début 2010 ? Et au-delà ?

Le niveau de vie moyen de l'ensemble des retraités s'élève régulièrement, même si ce n'est pas nécessairement le cas de celui de chaque retraité pris individuellement, car les générations qui arrivent à la retraite ont des retraites plus élevées que les générations qui décèdent. Cette élévation devrait se poursuivre dans les prochaines années, sans être interrompue par la crise actuelle, alors que le niveau de vie des actifs varie en fonction de la conjoncture économique : la crise pourrait ainsi se traduire par une baisse momentanée du niveau de vie des actifs, en attendant la reprise.

Quelle est l'importance des déficits des principaux régimes de retraite ? Comment vont-ils évoluer ?

La situation financière des régimes de retraite apparaît plus dégradée que prévu à court terme, du fait de la crise économique. Le régime général (CNAV) est déficitaire depuis 2005. Ce déficit était de 5,6 milliards d'euros en 2008. En 2009 et 2010, il se creuserait très fortement pour atteindre, comme je vous l'ai dit, 10,7 milliards d'euros en 2010.

Au-delà de 2010, les perspectives pluriannuelles associées au PLFSS 2010 font état d'une dégradation supplémentaire du solde de la CNAV, qui s'élèverait à 14,5 milliards d'euros en 2013.

Les régimes de retraite complémentaires (ARRCO-AGIRC), qui ont aussi été touchés par la crise financière (ils ont enregistré des moins-values sur leurs réserves), sont devenus déficitaires dès 2008. Leur déficit atteindrait 3,4 milliards d'euros en 2010.

Quels sont à vos yeux les principales « iniquités » du système ?

La diversité des régimes de retraite pose la question du traitement équitable des personnes relevant de régimes différents et ses conséquences peuvent être ressenties comme une source d'iniquité par certains assurés.

Cependant, l'existence de règles diverses n'implique pas nécessairement une iniquité entre les retraités, car des différences de traitement à la retraite peuvent notamment constituer une compensation à des différences de situation au cours de la carrière.

Les travaux conduits dans le cadre du dernier rapport du Conseil d'orientation des retraites mettent en outre en avant le fait que les règles de calcul des droits en annuités, au cœur du système de retraite (hors dispositifs de solidarité), opèrent elles-mêmes une redistribution, mais que cette redistribution est peu lisible, mal maîtrisée et ne bénéficie pas aux assurés à carrière courte ou à bas salaire.

Dans son dernier ouvrage, le journaliste François Charpentier demande : « Un pays moderne peut-il se permettre de proposer plus de 35 régimes obligatoires de base et complémentaires, en répartition ? » Que pensez-vous de cette question ? Peut-on aller vers une simplification du système de retraite français ? Comment ?

Au-delà de certains principes communs qui le gouvernent, le système de retraite français se caractérise en effet par une multiplicité de régimes structurés en fonction de critères d'appartenance professionnelle. N'oublions pas que cette diversité est l'aboutissement d'un long processus historique et politique.

Un mouvement de convergence des régimes est toutefois engagé depuis longtemps et s'est accentué avec la réforme de 2003, par l'alignement de la durée d'assurance des divers régimes ou l'instauration d'un système de décote ou de surcote.

Au total, toutefois, le système reste encore trop peu lisible et, dans son dernier rapport sur les points et les comptes notionnels, le COR esquisse deux schémas de simplification de l'architecture du système : l'un consistant en un alignement des règles des régimes de base, l'autre en une fusion entre régime de base et régimes complémentaires dans le secteur privé.

Avec la loi de 2003, un calendrier de rendez-vous a été établi. Où en  est-on ? En quoi consiste pour vous le rendez-vous de la mi-2010 ?

Comme prévu par la loi de 2003, le premier rendez-vous quadriennal a eu lieu en 2008. Il a été l'occasion pour le gouvernement de confirmer le passage de 40 à 41 ans de cotisation pour une retraite à taux plein entre 2008 et 2012 et de prendre une série de mesures en faveur de l'emploi des seniors. Dès avril 2008, dans sa lettre aux partenaires sociaux lançant le rendez-vous, le gouvernement a annoncé qu'il ferait un point d'étape en 2010, en particulier sur le taux d'emploi des seniors. L'ampleur de la crise et le creusement des déficits des régimes ont conduit le gouvernement à faire de ce point d'étape un rendez-vous, qui devrait être l'occasion de réexaminer l'ensemble des paramètres des régimes de retraite.

Sur quel horizon de long terme ajustez-vous vos réflexions ?

La loi de 2003 fixe des objectifs, en termes de montant de pension ou d'équilibre financier, à l'horizon de 2020. C'est la raison pour laquelle l'abaque du COR, notamment, qui présente de façon synthétique les conditions d'équilibre du système de retraite à un horizon donné, porte sur l'année 2020. Les projections que le COR réalise régulièrement vont toutefois plus loin, jusqu'en 2050, car certains leviers de réforme ne jouent pleinement qu'à très long terme et certaines décisions prises aujourd'hui peuvent engager les régimes pour une durée très longue.

Pour assurer le maintien d'un niveau de retraite satisfaisant, le relèvement de l'âge de la retraite vous semble-t-il nécessaire ? Quelles incidences aurait-il ? Comment peut-on expliquer qu'il ait un impact différent ou complémentaire de l'accroissement des annuités de cotisation ?

Maintenir le niveau de retraite actuel pour les futurs retraités suppose d'agir sur les deux autres leviers pour équilibrer le système de retraite par répartition, à savoir le niveau des ressources des régimes et l'âge moyen effectif de départ à la retraite. Un relèvement de l'âge moyen effectif de départ à la retraite peut passer par diverses mesures, en particulier par un allongement de la durée d'assurance exigée pour bénéficier d'une retraite à taux plein, par un relèvement de l'âge minimum de départ à la retraite ou encore par un aménagement des règles relatives à la décote ou à la surcote qui dépendent à la fois de l'âge et de la durée. Ces mesures ont des impacts différents sur les régimes de retraite et sur les assurés. Les dernières réformes de 1993 et de 2003 ont privilégié un allongement de la durée d'assurance couplé, dans le cas de la réforme de 2003, à un système de décote et de surcote. Le rendez-vous sur les retraites de 2010 sera l'occasion de mettre à plat les différentes mesures, notamment d'âge et de durée, qui visent à augmenter l'âge moyen effectif de départ à la retraite.

L'emploi des seniors peut-il être dissocié de la réflexion sur l'âge de la retraite ? Et de la réflexion sur la pénibilité ?

La réflexion sur l'âge de la retraite est directement liée à celle sur l'emploi des seniors. Aujourd'hui, seulement un tiers des salariés du secteur privé sont en emploi au moment où ils liquident leurs droits à la retraite, les autres étant chômeurs, préretraités, invalides ou simplement inactifs. Cette situation a pour effet de limiter l'impact des mesures visant à retarder l'âge de liquidation de la retraite sur l'âge effectif de cessation d'activité, et donc à en limiter les effets bénéfiques sur l'équilibre du système de retraite et de protection sociale. D'une part, les cotisations supplémentaires versées par les salariés sont réduites ; d'autre part, les économies réalisées en matière de retraites peuvent être en partie reperdues par d'autres branches (chômage, invalidité...).

Cette situation résulte en partie de situations de travail pénibles difficilement compatibles avec la prolongation de l'activité. Cependant, traiter la question de la pénibilité uniquement à travers le système de retraite conduirait à se satisfaire de ces situations et à se dispenser d'une prévention des situations de travail pénibles durant la vie active. La prise en compte de la pénibilité dans le cadre du système de retraite devrait concerner en priorité les générations n'ayant pu bénéficier d'une telle prévention, ou les conditions de travail qui entraînent un risque important de pathologies réduisant l'espérance de vie.

Votre rapport de la fin janvier 2010 analyse, à partir de simulations, les impacts de régimes en points et en comptes notionnels. Quelles sont vos conclusions ?

La comparaison des techniques fait ressortir que les comptes notionnels ont incontestablement une capacité d'autorégulation face aux évolutions démographiques et économiques. Les simulations montrent également que les conséquences d'un passage à la technique des points ou des comptes notionnels pour les assurés dépendent principalement des modalités de la transition et du choix des paramètres du nouveau système. Le rapport conclut qu'un changement de système est techniquement possible, mais que le passage d'un système en annuités à un système en points ou en comptes notionnels n'est pas qu'une question d'ordre technique. Il exige au préalable de réfléchir à l'architecture du système de retraite vers lequel on souhaite évoluer et aux objectifs que l'on souhaite atteindre en priorité, par exemple en matière de solidarité, sachant que toutes les techniques permettent d'intégrer des dispositifs de solidarité. Le rapport du COR présente au Parlement les éléments nécessaires à la préparation de ces choix, étant entendu que, si la décision était prise d'engager une telle réforme, des travaux complémentaires plus précis devraient être engagés avec les gestionnaires des régimes de retraite.

Où en est le fonds de réserve des retraites ? De quels moyens dispose- t-il ? À quoi sert-il... ou à quoi doit-il servir ?

Le FRR vise à mieux répartir dans le temps et entre les générations les efforts financiers nécessaires pour assurer la pérennité du régime général et des régimes alignés, en accumulant des réserves jusqu'en 2020 puis en les reversant, intérêts compris, à ces régimes. Mais le rythme d'abondement du FRR n'a pas suivi celui qui avait été initialement annoncé et le rôle précis que l'on entend assigner au fonds et, en conséquence, la politique d'abondement à venir doivent être clarifiés. Les produits des placements du FRR ont été affectés en 2008 par la crise financière et les réserves s'élevaient à 27,7 milliards d'euros au 31 décembre 2008.

De nombreux pays ont mis en place des systèmes par capitalisation. Quels sont les bénéfices à attendre d'une association répartition + capitalisation ?

La France a fait le choix de la répartition à la création de la Sécurité sociale en 1946 et ce choix a été réaffirmé par le premier article de la loi de réforme des retraites du 21 août 2003. Cette loi encourage cependant, par le biais de trois dispositifs (PERP, PERE et PERCO), la constitution d'une épargne en vue de la retraite pour toute personne, à titre privé ou dans le cadre de son activité professionnelle, en complément des régimes de retraite obligatoires par répartition qui constituent le socle du système de retraite français. Le contexte de la crise a relancé le débat entre répartition et capitalisation mais, sur ce point, l'OCDE fait valoir que chacun des éléments du système présente ses forces et ses faiblesses, et qu'un système souple associant ces divers éléments, c'est-à-dire des régimes par répartition et par capitalisation, permet non seulement de diversifier les risques, mais aussi de mieux équilibrer la charge entre les générations. S'agissant de la France, les dispositifs par capitalisation pourraient sans doute être aménagés et simplifiés, mais ils conserveront un caractère complémentaire par rapport aux régimes par répartition.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2010-2/l-occasion-de-reexaminer-l-ensemble-des-parametres.html?item_id=3011
© Constructif
Imprimer Envoyer par mail Réagir à l'article