Gérard CORNILLEAU

est économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

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Quelle place pour la capitalisation ?

En France, les retraites reposent très peu sur la capitalisation. Pourtant, elle pourrait jouer un rôle en complément de la répartition : pour lisser les cotisations dans les régimes obligatoires et se prémunir, individuellement, contre la baisse annoncée des taux de remplacement. Quitte à revoir au passage le régime de l'assurance-vie...

Dans les années 1980, alors que la très grande majorité des systèmes de retraite dans le monde reposaient sur la répartition, la perspective d'une forte baisse de leur rendement, liée à l'évolution démographique et à l'allongement continu de la durée de la vie, faisait pencher la balance en faveur de la capitalisation : malgré la difficulté de passer d'un régime à l'autre, de nombreuses propositions préconisaient la transformation totale des régimes de retraite en régimes par capitalisation.

À peu près seul, le Chili a réalisé cette transformation radicale. Depuis, la succession des crises financières qui a marqué les vingt-cinq dernières années (crise boursière du milieu des années 1980 ; bulle Internet de la fin du XXe siècle et son explosion en 2000-2001 ; crise des subprimes en 2008-2009) et la tempête finale de la fin 2008 ont contribué à éteindre ce débat.

Entre-temps, dans la plupart des pays, les régimes par répartition ont été conservés et consolidés.

La volonté de ne pas augmenter les cotisations a conduit à une moindre générosité de ces régimes, dont les prestations ont été réduites de génération en génération.

L'allongement de la durée de la vie a, quant à lui, permis d'allonger les carrières et de reporter l'âge effectif de départ à la retraite, ce qui contribue à conforter tant la répartition que la capitalisation.

Des perspectives favorables à long terme

Aujourd'hui, les perspectives financières des régimes sont, à long terme, plutôt favorables. Sous les hypothèses d'un retour au plein emploi, de la prolongation de l'augmentation du taux d'activité féminin et d'un solde migratoire positif (surtout dans les pays à faible natalité comme l'Espagne, l'Italie ou l'Allemagne), les régimes par répartition apparaissent « soutenables », y compris pendant la période de gonflement des effectifs de retraités lié au passage des générations du baby-boom 1. À partir du milieu du siècle, la normalisation démographique conduira à une répartition homogène de la population par tranche d'âge 2, ce qui est un bon gage de stabilité des régimes de répartition.

Les arbitrages entre objectifs sociaux et stabilité des prélèvements posent toutefois problème : dans la plupart des pays, la baisse programmée du niveau des pensions publiques peut s'avérer socialement inacceptable à long terme. Ainsi, en France, le rapport entre la pension moyenne et le salaire moyen devrait passer de 71 % en 2005 à un peu moins de 60 % en 2050. Une hausse des cotisations pourrait donc être nécessaire, même si elle est aujourd'hui rejetée par principe. Mais, même dans ce cas, les besoins sont limités à quelques points de PIB. En effet, pour maintenir le taux de remplacement des retraites par répartition dans notre pays au niveau de 2005, il faudrait augmenter les prélèvements sur les ménages de 1,5 point d'ici 2020 et encore de 3,8 points (soit au total 5,3 points) à l'horizon 2050 3. Ce choix n'a pas été celui de la réforme de 2003 et le besoin de financement devrait être nul en 2020 4, au prix d'une chute sensible du taux de remplacement. En 2050, le besoin de financement ne représenterait que 1,5 point de PIB.

Le recours à la capitalisation n'est donc pas justifié par l'existence d'un important besoin de financement des régimes par répartition qu'il serait impossible de résorber autrement.

La question de l'équité intergénérationnelle a longtemps été le deuxième argument invoqué pour justifier la substitution de la capitalisation à la répartition. On sait que cet argument est en réalité essentiellement formel : quel que soit le mode de financement retenu - répartition ou capitalisation -, les systèmes de retraite impliquent tous un transfert des générations actives vers les générations inactives. Que le transfert s'appuie sur des cotisations ou le versement de revenus du capital est de peu d'importance et ne change pas, en tout état de cause, le rapport entre le pouvoir d'achat des actifs et celui des retraités. Il n'y a que dans le cas où les capitaux peuvent être massivement investis à l'étranger que le transfert intergénérationnel peut être limité. Mais cette possibilité n'existe réellement que dans les pays qui bénéficient d'une rente naturelle. C'est parce qu'ils ont reçu un cadeau du ciel, le pétrole, que les Norvégiens et les émirats du Golfe peuvent fonder le financement à long terme de leurs vieux jours sur de la capitalisation externalisée. Les autres pays, qui ne peuvent compter que sur leur épargne, doivent en réserver l'essentiel aux investissements nationaux.

Le rendement de la capitalisation constitue le troisième argument en faveur d'un changement de mode de financement des retraites. D'après les marchés financiers, celui-ci serait en effet structurellement très supérieur au rendement de la répartition. Il serait donc stupide de se priver de l'avantage de rendement de la capitalisation. Mais la crise a entamé profondément la confiance que l'on pouvait avoir dans les marchés financiers. C'est l'occasion de remettre de l'ordre dans les esprits à propos des rendements comparés de la capitalisation et de la répartition.

Théoriquement, les rendements de la répartition et de la capitalisation doivent converger, du fait du lien entre l'économie réelle et les performances financières. Concrètement, les rendements de la répartition et de la capitalisation sont aujourd'hui très proches. Si l'on s'en tient à la France, le rendement réel de la répartition est voisin de 2 % ; la hausse de la productivité du travail étant de l'ordre de 1,5 % par an et celle de la population active de 0,5 %. Du côté de la capitalisation, le rendement réel est voisin de 2 à 3 %, si l'on tient compte de l'inflation et des coûts de gestion. Ainsi, le rendement du CAC 40 (dividendes et plus-values confondues) n'a pas dépassé 4 % sur les vingt dernières années. Un rendement réel de 2 à 3 % constitue une anticipation réaliste, compte tenu de l'évolution probable de l'économie à long terme. On est évidemment très loin des 15 % promis par les banques et les marchés ! Mais on sait que cette promesse était illusoire. Le retour à la raison et à la théorie économique écarte l'argument d'une supériorité structurelle de la capitalisation en matière de rendement financier.

Une capitalisation complémentaire de la répartition

La capitalisation n'est donc supérieure à la répartition ni pour la « soutenabilité », ni pour l'équité intergénérationnelle, ni pour le rendement. Dès lors, quelle part peut-on lui réserver ? En premier lieu, la capitalisation est indispensable pour lisser les cotisations des régimes de répartition. On a, en France, beaucoup tardé à constituer un fonds de réserve des retraites. Ses mésaventures récentes, qui ont conduit à des pertes importantes lors de la crise financière de 2008-2009, ne doivent pas conduire à sous-estimer son utilité pour assurer un financement plus fluide du régime, en particulier lors du passage à la retraite des baby-boomers. Son financement budgétaire apparaît très insuffisant et la crise rend encore plus précaires ses ressources. Une cotisation spécifique aurait certainement été préférable. La crise permet difficilement de l'envisager. Seule la perspective d'une remise en cause de l'objectif de baisse du taux de remplacement pourrait la justifier au cours des mois à venir.

En second lieu, la capitalisation constitue aujourd'hui le moyen pour se prémunir individuellement contre la baisse programmée des taux de remplacement. Les futurs retraités sont incités par les gouvernements à accumuler des réserves pour compléter les prestations des régimes collectifs. Selon les pays et selon la place qu'occupaient antérieurement les régimes professionnels, souvent gérés en capitalisation, le degré d'obligation de l'adhésion à un tel système varie beaucoup. En France, où les retraites complémentaires professionnelles sont gérées en répartition, les régimes de capitalisation sont totalement facultatifs. Le degré d'incitation varie toutefois selon que l'entreprise a mis en place un système d'épargne salariale pour la retraite ou pas. Faut-il aller plus loin en matière d'obligation ? De nouvelles incitations sont-elles nécessaires ? Enfin, qu'en est-il de la concurrence avec l'assurance-vie, qui sert traditionnellement de support pour l'épargne individuelle à long terme ? Ces trois questions sont fondamentales dans l'examen de la place de la capitalisation dans le système français de financement de la retraite.

Les fonds de pension de type PERCO ne sont accessibles que dans les grandes et les moyennes entreprises. Les salariés des petites entreprises en sont de fait écartés. Ils peuvent, bien entendu, se constituer individuellement une épargne-retraite, et le PERP a connu un certain essor. Mais la capitalisation individuelle reste minoritaire et les jeunes ont tendance à s'y engager trop tardivement. On en connaît la raison : les individus sont trop myopes pour mesurer leurs besoins de futurs retraités 5. Ils sont donc réticents à s'assurer individuellement. En outre, quand ils le font, ils hésitent à s'engager dans une épargne à fonds perdus en cas de décès. Les produits d'épargne-retraite purs, avec sortie obligatoire en rente et mutualisation complète du risque viager, sont a priori peu populaires. Faut-il alors rendre obligatoire l'adhésion à un fonds ? Si l'on pense que la pension publique (base + complémentaire) sera socialement insuffisante, on doit répondre positivement. Mais alors, pourquoi recourir à la capitalisation ? Il suffirait d'augmenter les taux de cotisation des régimes publics, quitte à financer, dans un premier temps, la constitution d'un fonds de réserve collectif plus important.

Quelle place pour l'assurance-vie ?

Si l'on pense au contraire que l'on a atteint le maximum tolérable des prélèvements obligatoires et que, même en baisse, le taux de remplacement des retraites publiques est suffisant, compte tenu de la hausse générale du niveau de vie, il faut alors choisir entre une liberté totale pour les individus et une incitation ciblée sur l'épargne-retraite. La liberté totale conduit à préconiser l'abandon des systèmes d'épargne-retraite spécialisés (PERCO et PERP). Le produit d'épargne favori des Français, l'assurance-vie, peut parfaitement servir de support à l'épargne-retraite.

À l'inverse, si l'on pense indispensable de canaliser le maximum d'épargne vers les produits à sortie exclusive en rente, il faut alors leur réserver les avantages fiscaux et éliminer ceux dont bénéficie l'assurance-vie traditionnelle. Cette solution permettrait de sortir de la situation actuelle, dans laquelle on subventionne l'épargne en général, ainsi - ce qui est encore plus discutable - que la transmission du patrimoine, au travers des avantages de l'assurance-vie. Rien ne justifie, en effet, que les revenus qui en sont issus soient sous-imposés ou exonérés de droits de succession. Les ressources budgétaires résultant de la réintégration des revenus de l'assurance-vie dans le droit commun de la fiscalité seraient certainement mieux employées à subventionner la réorientation de l'épargne vers la capitalisation pour la retraite stricto sensu, l'acquisition de la résidence principale et la réalisation de travaux d'économie d'énergie ; ces trois types de dépense étant susceptibles d'améliorer structurellement le niveau de vie à la retraite sans avoir d'impact sur les taux de cotisation.

  1. Voir Joint Report on Social Protection and Social Inclusion 2008 : Country Profiles, document de travail de la Commission européenne, 2009.
  2. Dans les pays à très faible natalité, cela suppose une remontée de la fécondité ou le recours prolongé à l'immigration. En France, la natalité courante garantit le renouvellement à l'identique de chaque classe d'âge.
  3. Voir Gérard Cornilleau et Henri Sterdyniak, « Retraites, les rendez-vous de 2008 », Lettre de l'OFCE, n° 297, avril 2008.
  4. Pour l'ensemble des régimes et sous une hypothèse de retour au plein emploi. Il va de soi que tout écart conjoncturel négatif génère des déficits. Mais ceux-ci sont alors imputables au dysfonctionnement de la régulation macroéconomique et ils ne doivent pas être mis à la charge du système de retraite.
  5. Dans leur ouvrage Les Esprits animaux : comment les forces psychologiques mènent la finance et l'économie (Pearson, 2009), George A. Akerlof (Prix Nobel d'économie 2001 avec Joseph Stiglitz et Michael Spence) et Robert J. Shiller consacrent un chapitre à cette question de la faible adhésion des individus aux régimes de retraite facultatifs. Ils en concluent que c'est un argument fondamental en faveur des régimes de sécurité sociale obligatoires.
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