est député UMP de la Moselle et membre du Conseil d'orientation des retraites. Il est également coprésident du groupe d'études sur la Longévité et président du conseil de surveillance de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV).
Une réforme équitable est légitime
Pour le député UMP Denis Jacquat, il ne faut pas retarder une réforme qui est incontournable, tant pour l'équilibre financier du système de retraite que pour la préservation de la solidarité entre générations. Il convient donc de mettre en place un système à la fois équitable entre les bénéficiaires et budgétairement supportable, c'est-à-dire qui tienne compte du profil démographique de notre société.
Le rendez-vous de la mi-2010 fixé par le président de la République vous semble-t-il opportun ?
Denis Jacquat. La réforme des retraites était inscrite dans le programme électoral du président de la République. À présent arrivé à mi-mandat, le chef de l'État n'a aucune raison de retarder cette réforme qui, de surcroît, s'avère, pour la préservation de la solidarité intergénérationnelle et l'équilibre des finances de notre pays, incontournable. Il a lui-même précisé : « La crise appelle à accélérer le rythme des réformes, non à le ralentir », et « Nul ne doute que le gouvernement prendra ses responsabilités ».
Il faut bien comprendre que la construction d'une société durable exige une restructuration profonde de son mode de fonctionnement et une participation de chacun à l'effort collectif. Si l'on admet ce principe pour les actions plus classiques de développement durable (préservation de la biodiversité, gestion des déchets, solidarité entre les peuples...), pourquoi ne l'admettrions-nous pas pour nos propres systèmes de solidarité intergénérationnelle ?
Une réforme est-elle nécessaire à vos yeux pour assurer la retraite de nos concitoyens et l'équilibre des systèmes de retraite par répartition?
Comment est-il possible de penser le contraire ? L'effondrement de la pyramide des âges consécutif au baby-boom de l'après-guerre, la diminution du taux de fécondité et l'allongement de la longévité fragilisent considérablement le pacte intergénérationnel dont notre système de retraite est tributaire : les prévisions statistiques menacent la France d'atteindre dans les prochaines années un ratio d'un actif pour un retraité. Ce déséquilibre démographique pourrait, à terme, induire des conflits intergénérationnels dont les effets seraient désastreux pour notre société. Déjà deux jeunes sur trois ne croient plus en notre mode de retraite par répartition ! Historiquement, l'âge de départ à la retraite avait été fixé à partir de l'espérance de vie. Il faut bien prendre conscience qu'aujourd'hui estimée à 77,6 ans pour les hommes et 84,5 ans pour les femmes, l'espérance de vie n'est plus en adéquation avec l'âge de cessation d'activité. Il est évident que ce dossier doit être rapidement remis sur la table.
Quels doivent être les objectifs d'une réforme ?
La réforme vise la construction d'un système de retraite durable, j'entends par là un système de retraite à la fois équitable entre les bénéficiaires et budgétairement supportable, c'est-à-dire qui tienne compte du profil démographique de notre société.
Le concept de réforme équitable est légitime et audible par tous. L'idée est de mettre en balance l'effort d'un citoyen (pénibilité de son travail, cotisations retraite, âge de cessation d'activités professionnelles) et le fruit de son effort (la pension-retraite). Bien entendu, le problème est plus complexe que cela, car il suppose mesurable chaque paramètre de l'effort, alors que la pénibilité est justement un paramètre qui relève plus du domaine de l'appréciation (compatibilité personne-métier, instant de sondage et paramètres psychologiques divers) que de la mesure rigoureuse.
Pourtant, je reste persuadé qu'une réforme des retraites juste et équitable est possible. J'illustrerai mes propos par l'exemple des équations mathématiques qui, pour la plupart, ne sont pas résolubles. Malgré cela, des méthodes algorithmiques en calcul infinitésimal permettent d'approcher les solutions avec un degré de précision suffisamment grand pour que les applications scientifiques concrètes soient envisageables. Dans le cas présent, nous sommes exactement dans la même situation : si l'effort n'est pas mesurable, il est en revanche appréciable !
Que doit comporter cette réforme ?
Selon moi, les mots-clés de cette réforme des retraites devront être : équité, flexibilité, lisibilité, solidarité et soutenabilité.
- Équité. Il faut poursuivre l'effort entamé avec la réforme de 2003 et la réforme des régimes spéciaux portant sur la convergence entre les différents régimes de retraite. Les Français doivent avoir le sentiment que les mêmes règles du jeu sont applicables à tous. Sinon, la confiance dans le système est minée.
- Flexibilité. Tous les salariés devraient se voir offrir la possibilité de prolonger leurs activités professionnelles au-delà de 65 ans, de bénéficier de dispositifs de retraite progressive (par exemple, par le biais d'une forme de travail à temps partiel) ou de reconversion professionnelle, notamment dans le domaine de la formation et du transfert intergénérationnel de compétences.
- Lisibilité. Un système trop complexe n'est pas un système sain.
- Solidarité. La réforme des retraites doit contribuer à la construction d'un modèle de société ravivant la solidarité intergénérationnelle et, pour cela, s'inscrire dans un processus de l'effort mutuel (formation et amélioration de la productivité du jeune, report de la cessation d'activité pour les seniors).
- Soutenabilité. Un régime de retraite par répartition ne peut fonctionner que si l'on crée, à long terme, les conditions de son équilibre financier.
Le report de l'âge de la retraite est-il nécessaire et souhaitable?
Je reçois régulièrement des témoignages de femmes et d'hommes heureux de prolonger leurs activités professionnelles au-delà de 65 ans. En voici deux :
Jackie : « Je viens d'avoir 64 ans et je souhaite continuer jusqu'à 70 ans... Je suis en bonne santé morale, intellectuelle et physique ; cesser toute activité dans un an me semble inimaginable. »
Antoine : « J'ai 63 ans, j'ai des enfants en cours d'études supérieures (25 et 23 ans). Je suis heureux de pouvoir poursuivre mes activités après 65 ans. »
Les motivations du senior désireux de prolonger ses activités professionnelles peuvent être multiples : intérêt pour la nature du poste proposé, quête d'un épanouissement personnel, maintien d'un niveau de vie ou, tout simplement, recherche d'un équilibre psychologique.
Plus précisément, êtes-vous favorable à un report de l'âge légal de la retraite et à quelles conditions ?
C'est une question délicate, qui ne manquera pas d'être mise sur la table dans le cadre du débat sur la réforme des retraites. À titre personnel, je ne pense pas que ce soit la question la plus importante. On peut très bien trouver un équilibre général à notre système de retraite sans changer l'âge légal de la retraite. Par exemple, en augmentant le nombre d'années de cotisation nécessaires pour une retraite à taux plein, sans empêcher les Français de partir à 60 ans s'ils le souhaitent.
Comment mettre en œuvre une éventuelle réforme ?
Il ne faut pas s'attarder davantage sur le caractère hypothétique de cette réforme qui, tôt ou tard, devra avoir lieu par la force des choses. Le mieux que l'on puisse faire est d'en préparer la mise en œuvre pratique, et cela par toutes sortes de moyens.
Comme toujours, il est préférable d'induire un mouvement volontaire de la part de nos concitoyens plutôt que de forcer les choses, avec le risque de provoquer des mouvements d'hostilité dommageables sur le long terme. Au demeurant, il ne s'agit en aucun cas de chercher à influencer le jugement populaire par des méthodes artificielles, mais au contraire de faire encore mieux connaître la réalité révélée par les études statistiques les plus récentes.
Par exemple, il importe de s'interroger sur la manière de valoriser au mieux le profil particulier qui est celui d'un senior, de manière à ce que la société, d'une part, et lui-même, d'autre part, sortent gagnants de ce pari. L'idée est naturellement que le senior est riche d'une très longue expérience, à laquelle aucun principe appris, aucune connaissance livresque ne sauraient se substituer. On a coutume de dire qu'il faut apprendre des erreurs des autres, car la vie est trop courte pour apprendre en les commettant toutes soi-même. Nos anciens ont suivi des pistes, accompli des prouesses, enregistré des échecs, accumulé des trésors de sagesse et de qualifications pratiques, qu'il serait dommage de laisser s'évanouir. À leur contact, un jeune aurait tant à apprendre, l'un instruisant l'autre, le second dynamisant le premier, chacun apportant son ouverture, ses connaissances, son enthousiasme, sa joie de vivre, et tout le monde sortant bénéficiaire de l'aventure !
La méthode a été clairement dessinée par le président de la République. Il faudra d'abord une phase de concertation, puis prendre ses responsabilités.
Le « cinquième risque » - celui de la dépendance - doit-il être intégré dans le débat de la mi-2010 sur les retraites ?
Il s'agit d'un problème indépendant de celui des retraites, et il ne doit donc pas être intégré au débat sur les retraites, mais il faut absolument que des décisions soient prises cette année sur ce sujet de la perte d'autonomie. Je me bats pour cela depuis ma première élection à l'Assemblée, en 1986 ! Aujourd'hui, je pense qu'en s'appuyant sur ce qui existe déjà, comme l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), et sur le système assurantiel, on doit pouvoir faire un pas supplémentaire. Il faut mettre en place une cotisation « autonomie » obligatoire, et les Français doivent voir qu'elle est utilisée à cet effet. Les Japonais ont mis au point un régime de cotisation obligatoire à partir de 40 ans, nous devrions y réfléchir, car je ne vois pas comment nous pourrions échapper à une telle cotisation.
Qu'en est-il des régimes complémentaires ? Doivent-ils également faire l'objet d'une réforme ?
Les régimes complémentaires ne relèvent pas de la compétence du Parlement. Ils sont indépendants mais doivent, bien entendu, aussi mener un débat.
Faut-il encourager la retraite par capitalisation ?
La retraite par capitalisation n'est pas la panacée. Elle ne peut être qu'un instrument de complément.
Sur le plan purement théorique, une analyse rapide nous montre que ce système est perdant à long terme, et cela pour plusieurs raisons faciles à saisir. Il se trouve que les excellents rendements des systèmes de capitalisation enregistrés sur les marchés financiers sont imputables aux cotations exceptionnelles des entreprises sur lesquelles ils ont misé. Si ledit système devait se généraliser, il faudrait se référer à des cotations moyennes, et les taux annoncés ne pourraient être tenus.
Plus flagrant encore est l'argument énonçant le fait que payer des pensions sous-entend la nécessité de retirer une grande partie des gains du marché, d'où une chute drastique des rendements subséquents.
Comment, dans ces conditions, défendre le système de retraite par capitalisation se substituant totalement au système de retraite par répartition, dont les expériences tentées à l'étranger ont montré le caractère illusoire et souvent décevant ?
La crise a bien montré que les régimes de retraite par répartition étaient seuls à préserver les retraités de l'impact des fluctuations économiques. Elle a également montré que notre système de supervision et le cadre prudentiel de l'épargne-retraite constituaient des garanties solides.
Toutefois, il est vain d'opposer répartition et capitalisation.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2010-2/une-reforme-equitable-est-legitime.html?item_id=3014
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