François CHARPENTIER


est journaliste au pôle protection sociale de l'agence de presse AEF.

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Et si l'on changeait de méthode ?

2010 sera-t-elle une année de réforme des retraites ? Nicolas Sarkozy l'assure et les chiffres plaident pour qu'il en soit ainsi. Il reste que le calendrier n'est guère favorable, avec une hausse prévisible du chômage, une levée de boucliers de tous les syndicats contre une augmentation de l'âge de la retraite et, déjà, la présidentielle en ligne de mire. Difficile dans ces conditions d'être très audacieux...

Trois éléments d'actualité planteront le décor. Un, si l'on en croit les sondages, l'avenir des retraites est aujourd'hui le sujet qui préoccupe le plus les Français, loin devant la problématique des dépenses de santé. Deux, les dépenses de retraite sont le « poids lourd » de la protection sociale, avec 261 milliards d'euros versés en 2008 sur un total de l'ordre de 600 milliards, à comparer aux 162,4 milliards de la santé, aux 20 milliards de la dépendance ou encore aux 197 milliards d'euros du budget de l'État, auxquels il faut ajouter 42,7 milliards de dette. Trois, nous sommes entrés pour une trentaine d'années dans une phase de stabilisation des dépenses de retraite à un niveau très élevé, cela résultant de la conjonction de deux phénomènes : l'un, qui était attendu, l'effet du baby-boom ; l'autre, qui ne l'était pas, la poursuite sans discontinuité de l'allongement de l'espérance de vie au rythme de trois mois supplémentaires par an. À ces deux facteurs lourdement structurels s'ajoute un élément conjoncturel : la crise économique et financière fait arriver les déficits cinq ans plus tôt que prévu. Moyennant quoi, AGIRC + ARRCO + CNAV, c'est une perspective de 15 milliards d'euros de déficit par an et, dès 2010, une première ponction de 2,5 milliards dans les 80 milliards d'euros de réserve AGIRC et ARRCO.

Difficultés en série

En matière de retraite, les difficultés résultent de plusieurs facteurs. D'abord, une chute brutale des recettes liée à deux années consécutives de recul de la masse salariale. L'effet de ciseau est d'autant plus redoutable que cet effondrement se produit alors que les dépenses, difficilement compressibles dans des régimes en répartition, se maintiennent à des niveaux records.

Ensuite, même si la France présente la particularité en Europe de bénéficier d'un taux de fécondité voisin de 2, elle est confrontée à un important allongement de l'espérance de vie. Elle souffre, par ailleurs, d'un marché de l'emploi qui accueille les jeunes de plus en plus tardivement (avant 30 ans, un jeune cotise aujourd'hui sept trimestres de moins que ne le faisait un jeune dans les années 1950) et qui persiste à pousser les seniors à cesser prématurément leur activité. En résumé, la durée de perception de la pension s'allonge, sans que bouge beaucoup la durée d'activité.

Enfin, en dépit des réformes engagées en 1993 et 2003, le système de retraite en France reste d'une incroyable complexité, avec un empilement de 38 régimes obligatoires de base et complémentaires, les premiers généralement par annuités, les seconds par points. Au niveau surcomplémentaire, la complexité n'est pas moindre : régimes d'entreprise (articles 39, 82 et 83, PERE et PERCO), produits individuels (assurance-vie, PERP, Préfon, Corem, CRH...), tous assortis d'avantages sociaux et fiscaux divers et variés, composent une jungle difficilement pénétrable. Mais cette complexité ne saurait masquer le trait dominant du système de retraite : une forte inégalité subsiste entre des régimes qui sont quasiment tous en déficit ou fortement subventionnés par l'État. C'est le cas des fonctionnaires, qui paient 7,85 % de cotisation, l'État prenant à sa charge 62 % des dépenses des régimes.

Les autres ne font pas mieux

Confrontés à des difficultés comparables aux nôtres (la chute de la fécondité en plus, mais la retraite à 60 ans en moins), les autres pays ne font pas mieux. Concernant la démographie, tous les pays du monde, excepté les pays africains, font face au vieillissement de leur population. À cela, deux raisons principales : un allongement de l'espérance de vie et une chute de la fécondité moyenne : 5 enfants par femme en 1950, 2,54 en 2010 et 2 en 2050.

Seconde donnée qu'il faut avoir à l'esprit : tous les pays du monde disposent d'un régime de base par répartition. En conséquence, tous sont confrontés aux limites de cette répartition. Le choix ne s'offre, en effet, qu'entre trois solutions : augmenter les cotisations, allonger la durée de cotisation ou baisser la pension. Actuellement, pour des raisons de compétitivité, on privilégie plutôt ces deux dernières voies.

De nombreux pays ayant complété leur régime de base par des régimes d'entreprise (fonds de pension), beaucoup de retraités, en particulier ceux proches de l'âge de la retraite, se trouvent en difficulté : c'est le cas en Irlande, aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni, en Australie, en Nouvelle-Zélande et aux Pays-Bas.

D'une façon générale, la tendance, ces dernières années, a d'abord été de consolider l'existant. Quand il y avait dominante de la répartition - cas de l'Allemagne, de la Suède et, dans une moindre mesure, de la France -, on a introduit une dose de capitalisation, et quand la capitalisation était très présente - Royaume-Uni -, on a réintroduit des éléments de solidarité. Globalement, on assiste donc à une évolution vers une plus grande mixité des systèmes.

Des rapports qui se suivent

En France, c'est au milieu des années 1970, avec le choc pétrolier et la montée du chômage, que se sont fait entendre les premiers craquements. Pour persuader l'opinion de la nécessité d'une réforme, une bonne vingtaine de rapports ont été produits. Et c'est en 1993, après la publication du livre blanc de Michel Rocard, que seront prises par Édouard Balladur les premières mesures, qui ne concernent que le secteur privé (durée de cotisation portée à 40 années, période de référence passant des 10 aux 25 meilleures années, indexation des pensions sur les prix et création du fonds de solidarité vieillesse), alors que l'ARRCO, en 1993, puis l'AGIRC, en 1994, engagent une politique d'ajustements périodiques de leurs paramètres de fonctionnement (accords de 1996, 2001 et 2003).

Après la création du Conseil d'orientation des retraites (COR) et du fonds de réserve des retraites en 2000, il faudra attendre la loi du 21 août 2003 (réforme Fillon). Elle allonge la durée de cotisation des fonctionnaires, multiplie les mesures pour relever le taux d'activité des seniors (surcote, cumul emploi-retraite, relèvement de l'âge de mise à la retraite d'office, interdiction des préretraites d'entreprise) et consolide l'épargne-retraite. Cette réforme sera un échec. D'une part, les employeurs veulent toujours plus de préretraites, le gouvernement lui-même prenant des mesures sur les carrières longues et les rachats de trimestres qui contredisent sa volonté de changer de politique sur les seniors. D'autre part, cette réforme gagée sur une baisse hypothétique des cotisations chômage et un transfert sur la cotisation vieillesse trébuchera sur la crise économique.

Partant de là, 2010 s'annonce comme une année clé en matière de retraite. Dès ce mois de février, le COR a remis aux parlementaires le rapport qui lui a été demandé sur les modalités d'acquisition des droits dans les régimes obligatoires : annuités, points ou « comptes notionnels ». Ensuite, les partenaires sociaux sont invités à négocier avant l'été les termes d'une réforme. En cas d'échec, à « la mi-2010 », Nicolas Sarkozy a indiqué qu'il se saisirait du problème. Enfin, les partenaires sociaux qui ont botté en touche au premier trimestre 2009 dans la négociation AGIRC-ARRCO devront conclure un accord au cours du second semestre 2010.

Il faut poser les bonnes questions

Voilà pour le calendrier. Reste la pratique. Sur une éventuelle transformation des régimes obligatoires, les partenaires sociaux sont divisés. La CGT, à son dernier congrès de Nantes en décembre 2009, a marqué son opposition résolue à une généralisation d'un système par points. À l'inverse, la CFDT et le Medef y seraient favorables pour aller vers un seul grand régime obligatoire. Cela dit, la CFDT, dont le congrès se tiendra en juin prochain, presse le gouvernement de prendre son temps et tout le monde est d'accord pour considérer que, sur le fond, passer des annuités aux points ou aux « comptes notionnels » ne résoudra jamais le problème financier lié au déséquilibre démographique. Quant au COR lui-même, il vient d'afficher ses doutes sur les effets d'une généralisation des systèmes par points à tous les régimes obligatoires.

S'agissant des comptes notionnels inspirés du système suédois (des comptes virtuels qu'on liquide en prenant en compte la situation démographique de la cohorte partant en retraite pour garantir un système « financièrement soutenable »), ils présenteraient l'avantage de conduire à la mise en place d'un régime unique 1. Mais trois obstacles apparaissent. Peut-on sortir le régime des fonctionnaires du statut de la fonction publique pour bâtir un régime unique ? La mise en place d'un tel système demandant du temps, on bute sur l'urgence des problèmes à régler. Enfin, la crise financière a montré qu'en dépit de mécanismes de régulation (des « stabilisateurs automatiques »), les retraités ne sont pas à l'abri de brutales baisses de pension. Ainsi, en Suède, la crise a conduit en 2009 à une baisse des retraites de 4 %, qu'il a fallu compenser par des aides au logement et des allègements fiscaux.

Seconde piste de réflexion : le relèvement de l'âge légal de départ en retraite. C'est le cheval de bataille du Medef, sa présidente Laurence Parisot observant que tous les pays européens sont désormais à 65 ans et que certains (Allemagne et Royaume-Uni) ont même programmé des relèvements ultérieurs à 67 ans. Avantage d'une telle réforme, elle procure immédiatement de substantielles rentrées d'argent. Inconvénient, la gauche politique expliquait encore récemment, par la voix du député socialiste Pascal Terrasse 2, qu'elle n'accepterait pas qu'on « remette en cause une "avancée" de 1981 aussi emblématique que la suppression de la peine de mort ». Surtout, on risque fort, en juin 2010, d'avoir un chômage au plus haut, ce qui disqualifie d'emblée une mesure repoussée par les syndicats, qui préfèrent parler de durée d'activité plutôt que d'âge légal.

Prendre de bonnes mesures

À côté de ce que pourrait faire le gouvernement, il y a ce que l'on devrait faire et que l'on ne fera sans doute pas. D'abord, réduire le nombre des régimes obligatoires et facultatifs dans un but de simplification et de plus grande équité entre les catégories sociales. L'un des objectifs de l'opération devrait être de réduire les écarts qui se creusent entre les régimes publics et les régimes privés. Comment admettre, en effet, un discours sur l'allongement de la durée d'activité des salariés ou un relèvement de l'âge de la retraite à 61 ou 62 ans quand on connaît le nombre d'agents publics autorisés à partir en retraite à 50 ans (« roulants » de la SNCF, policiers, contrôleurs aériens, gardiens de prison, etc.) ou quand on sait que les mesures prises en 2003 pour tous les fonctionnaires tardent à s'appliquer dans les casernes ?

Deuxième orientation, changer de méthode. Les pouvoirs publics oscillant une nouvelle fois entre ne rien faire ou faire semblant, rien ne serait pire que de poser les retraites en objet de débat pour la campagne présidentielle de 2012. Sauf à prendre le risque d'une faillite préalable des régimes et à s'exposer à une radicalisation des positions et à un blocage du dossier. Ne vaudrait-il pas mieux tenter de susciter, sur des thèmes en nombre limité mais précis, l'apparition de convergences et l'établissement de consensus ? Comme on vient de le décider pour les ARS (agences régionales de santé). Comme on l'a fait en 1993 sur le passage de 37,5 années de cotisation à 40 années.

Autres questions à se poser : peut-on compter sur les hauts fonctionnaires pour réformer les régimes du secteur public ? Peut-on compter sur des parlementaires qui se sont concocté des régimes « de faveur » pour gommer les abus dans les autres régimes ? Peut-on même se satisfaire d'une situation où ceux qui s'occupent des questions de retraite ont quasiment tous atteint l'âge de cesser leur activité, alors que ce sont les jeunes générations qui supporteront le fardeau ? Au total, faut-il sortir les retraites du jeu politique comme l'ont fait les Espagnols en 1993 avec le pacte de Tolède et, dans une moindre mesure, les Allemands ? Faut-il confier la recherche de solutions pérennes à un comité d'experts indépendants ?

Obtenir vite des réponses claires

Troisième impératif : poser les bonnes questions. Aujourd'hui, elles sont de trois ordres et appellent des réponses claires mais urgentes.

Concernant les jeunes, qui déjà cotisent sept semaines de moins avant 30 ans que les générations des années 1950, comment les convaincre de cotiser pour leurs aînés dans des systèmes qui ne leur assureront sans doute pas un taux de remplacement équivalent ? Peut-on les rassurer et, si oui, comment ?

S'agissant des femmes, en particulier les femmes âgées et isolées, qui ont des salaires inférieurs aux hommes, des carrières plus courtes émaillées de périodes de chômage ou à temps partiel, menacées de voir se réduire les majorations familiales et les pensions de réversion et qui, du fait d'une durée de vie plus longue, seront plus lourdement pénalisées par une indexation des pensions sur les prix, comment leur éviter une probable paupérisation ?

Restent enfin les personnes âgées dépendantes. Les assureurs ne se précipitant pas pour mettre à leur disposition des solutions assurantielles qui, de toute façon, seront insuffisantes, quelles solutions mettre en place en amont pour faciliter la constitution d'une rente ? Peut-on imaginer qu'un pays qui consacre plus de 600 milliards d'euros à la protection sociale de ses ressortissants et seulement 20 milliards aux personnes privées d'autonomie ne trouverait pas les sommes nécessaires pour résoudre le problème ? Comment penser qu'un pays ruiné par la guerre, mais qui a su construire une Sécurité sociale efficace en période de reconstruction économique, ne parviendrait pas, soixante ans plus tard, dans un contexte général d'enrichissement individuel et collectif, à dégager les sommes nécessaires au traitement de cette question ?

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