Pascal TERRASSE

est député PS, président du conseil général de l'Ardèche et membre du Conseil d'orientation des retraites.

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Tout remettre à plat pour une réforme en 2012

Pour le député socialiste Pascal Terrasse, c'est au lendemain de la prochaine élection présidentielle qu'il appartiendra au nouvel élu de lancer une réforme des retraites. Auparavant, un lourd travail de diagnostic et de dialogue devra avoir été mené à bien sur tous les sujets et sans interdits.

Le rendez-vous sur les retraites fixé par le président de la République à la mi-2010 vous semble-t-il justifié ?

Pascal Terrasse. La loi Fillon de 2003 a prévu des clauses de revoyure tous les trois ans pour évaluer les évolutions de la situation démographique et des équilibres financiers. Le rendez-vous de 2010 ne s'inscrit pas dans cette démarche. Je pense que lancer une grande réforme des retraites deux ans avant l'élection présidentielle, sans débat de fond, n'est pas de bon augure.

Une réforme n'est-elle pas nécessaire ?

Si, il faut une réforme des retraites. Mais plusieurs préalables sont indispensables.

D'abord, il convient de garantir que le régime obligatoire restera à 100 % répartition. On peut imaginer les mécanismes complémentaires de retraite différemment : comptes à points ou comptes notionnels.

Ensuite, il faut se fixer des objectifs en matière de revenu à long terme. Il est indispensable de garantir un taux de remplacement à quelqu'un qui entre dans la vie active s'il a une carrière complète.

C'est difficile à faire...

C'est difficile techniquement, mais en Suède on y parvient grâce au régime des comptes notionnels. En France, cela existe d'ailleurs pour les fonctionnaires, qui savent à peu près ce qu'ils toucheront...

Autre préalable : s'il doit y avoir une réforme, on sait que trois critères sont connus : soit on augmente les cotisations salariales et patronales, soit on accroît la durée de cotisation, soit on retarde l'âge de la retraite, sinon on abaisse le niveau des retraites. Je crois que les trois paramètres doivent être utilisés pour déboucher sur un régime de retraite plus lisible et équitable. Il faut réussir à conjuguer ces trois éléments afin que l'on ne fasse pas tout payer par les jeunes travailleurs. Le problème des retraites est d'abord celui des actifs.

Quels doivent être les objectifs d'une réforme ?

Il faut d'abord veiller à la maîtrise de la dépense. Le déficit de la Caisse nationale d'assurance vieillesse augmente en raison de la baisse des cotisations, puisque la génération des baby-boomers a déjà commencé à partir à la retraite, mais aussi parce que le dispositif mis en place pour les carrières longues n'a pas été assorti d'un financement et coûte très cher aux caisses. Enfin, à force de dire que l'on va reporter l'âge de départ à la retraite, on anticipe paradoxalement le départ de ceux qui ont toutes leurs annuités de cotisation.

Il faut aussi intégrer l'idée qu'il sera nécessaire de travailler plus longtemps afin d'avoir une durée de cotisation plus longue. Ce serait irresponsable de ne pas le faire. Il faut toutefois l'assortir de conditions, notamment laisser l'âge de la retraite à 60 ans, même pour les personnes qui n'ont pas le taux plein, en contrepartie d'une décote.

Il faut également tenir compte de la pénibilité de certaines carrières, car les gens qui ont travaillé en trois-huit, dans le bruit, dans la poussière... ont une espérance de vie plus faible. Il conviendrait donc de « bonifier » leurs cotisations en leur octroyant des trimestres supplémentaires. La loi de 2003 prévoyait d'ailleurs une réflexion sur la pénibilité.

Enfin, s'il y a allongement de la durée de cotisation, nous sommes favorables à ce que les étudiants puissent faire valider leurs années d'études.

Cela ne pourrait-il pas induire une inégalité entre étudiants en fonction des revenus de leurs parents ?

Eh bien, il faudra mettre en place un système dans lequel l'État cotisera pour eux. On peut imaginer un système de bourses, réfléchir à la rémunération des stages de master... Mais, si l'on passe à 45 annuités de cotisation, pour un jeune qui démarre à 25 ans, cela repousse son âge de retraite à 70 ans, ce n'est pas possible ! Encore une fois, il ne faut pas désespérer cette génération ! Aujourd'hui, je le répète, le débat sur les retraites est celui des jeunes générations, car ce sont elles qui vont payer... Il faut absolument préserver la cohésion sociale et l'équité intergénérationnelle.

L'équité hommes-femmes vous semble-t-elle préservée dans le système actuel ?

Toutes les réformes qui sont envisagées actuellement - notamment la baisse des avantages familiaux dits « non contributifs » - vont dans le sens d'un affaiblissement du montant de la retraite des femmes. La priorité, c'est de faire en sorte que les femmes qui ont eu des carrières chaotiques pour des raisons familiales puissent avoir un revenu de retraite adapté. Sur cette question, au sein de l'Europe, les points de vue entre pays du Nord et pays latins sont assez éloignés, mais il ne saurait être question qu'en France les femmes soient la variable d'ajustement du déficit de l'assurance vieillesse !

Et entre fonctionnaires et salariés ?

L'égalité est maintenant effective en ce qui concerne les durées de cotisation, mais pas dans le mode de calcul. Il convient de revoir cela. En instaurant le régime des 25 meilleures années pour les salariés, la loi Balladur a contribué à constituer un écart intolérable entre ces deux catégories. Il faut rechercher des convergences entre les deux modes de calcul et instaurer une meilleure équité entre les deux régimes, en particulier pour les nouveaux entrants.

Quels sont les préalables à une réforme des retraites ?

Une des premières mesures à prendre consiste à trouver des dispositifs permettant aux salariés de plus de 55 ans de rester dans l'emploi. Actuellement, avec la crise, le Medef est le premier à demander le licenciement des plus de 55 ans qui coûtent cher à l'entreprise. On a une mauvaise gestion des ressources humaines dans notre pays.

Les plus de 55 ans ont acquis un savoir-faire et des compétences ; il faut apprendre à les utiliser. On vit avec des idées préconçues : pourquoi une hôtesse d'accueil doit-elle avoir 20 ou 30 ans ? Une femme de 55 ans ferait tout aussi bien ce travail : il faut donc repenser notre organisation du travail.

On fait une erreur si l'on pense que les plus de 50 ans sont moins compétitifs. Il faut revoir nos modes d'organisation et ne pas pousser cette génération à partir en congé maladie, au chômage ou à la retraite en lui faisant subir une décote.

Et la dépendance, ce que l'on appelle le « cinquième risque » ?

Il faut absolument traiter le problème de la dépendance en liaison avec celui des retraites. Donc, cela doit faire partie du débat. Les actuaires ont travaillé à des produits d'assurance pour la dépendance, mais les Français ne sont intéressés ni par ces produits, ni par le PERP ou d'autres produits par capitalisation. Aujourd'hui, ces mêmes actuaires préparent un « mix », couvrant la dépendance et récupérable en retraite le cas échéant. Il s'agit à mes yeux d'un véhicule d'épargne à creuser. Les banques espèrent, quant à elles, transformer une partie de la collecte d'assurance-vie en produit de capitalisation éventuellement axé vers la dépendance. Je pense qu'il faut structurellement modifier notre système d'assurance-vie pour tenir compte des problèmes des retraites et de la dépendance.

Quel doit être le rôle du fonds de réserve des retraites ?

Lionel Jospin l'avait mis en place avec un objectif de 150 milliards d'euros, qui devaient nous permettre de passer le pic de 2022, mais dès 2002, l'État n'a pas souhaité alimenter ce fonds, ou en tout cas pas suffisamment. Jean-François Copé, quand il était ministre du Budget, avait même envisagé de le récupérer pour d'autres usages ! Ce serait inadmissible que l'État décide de le faire, mais le débat sur les retraites sera l'occasion d'en discuter. Y compris en se posant cette question : les Français sont-ils capables d'épargner pour passer le cap de 2022 ?

La capitalisation est-elle un sujet à aborder ?

Cela existe déjà, mais notre fiscalité est mal adaptée ; et plutôt que de pousser cette fraction de l'épargne des Français vers des systèmes de capitalisation, il vaudrait mieux la diriger vers la répartition. Je pense toutefois que, pour les régimes complémentaires, il ne serait pas inutile d'imaginer des systèmes de capitalisation sur une base volontaire et investis en fonds éthiques...

Justement, les régimes complémentaires doivent-ils être inclus dans le débat ?

Bien sûr, c'est d'ailleurs le vrai problème. L'AGIRC comme l'ARRCO sont dans une situation financière très difficile. Tant que la loi fixe l'âge de la retraite à 60 ans, l'État finance les sommes nécessaires quand les salariés partent avant 65 ans. Or cet accord avec ces institutions touche à sa fin. Il faut donc se poser l'ensemble des questions et remettre tout ce système à plat. Il nous faut une réforme cohérente et d'ensemble.

Quel serait le bon calendrier pour une telle réforme ?

Le président de la République est confronté au problème du déficit de la branche vieillesse. Or, je crois comprendre qu'il ne veut pas d'un relèvement des cotisations. Comme la France n'est pas créatrice d'emplois actuellement, il faut trouver d'autres ressources. Le levier pour y parvenir risque d'être celui du relèvement de l'âge légal de départ à la retraite à 61 ans en 2010 et à 62 ans en 2012, car cela rapporterait grosso modo un milliard d'euros par an. Ce serait de la réformette !

On a en effet besoin d'une réforme profonde et elle doit être engagée à l'occasion de l'élection présidentielle, car c'est alors que les débats de fond devraient se dérouler, avec les propositions de tous les partis politiques et des partenaires sociaux, et c'est le président nouvellement élu qui aurait la légitimité nécessaire pour engager une vraie réforme. Si cela a lieu plus tôt, on risque des crispations...

Sur cette nécessaire réforme, vous parlez des « trois D ». Que voulez-vous dire ?

Diagnostic, dialogue, décision sont nécessaires pour une vraie réforme des retraites. Sans cela, rien de bon ne sera réalisé.

Avant toute réforme, il faut un diagnostic. Le Conseil d'orientation des retraites y travaille actuellement, et pouvoirs publics, partis politiques, syndicats et patronat doivent s'exprimer. On doit tout mettre sur la table : l'ensemble des régimes (général, particuliers et spéciaux, ceux des artisans ou des militaires, par exemple). On peut imaginer que ce diagnostic (c'est le premier D) soit posé en 2010.

Ensuite viendra le temps du dialogue. In fine, la réforme sera débattue et votée au Parlement, mais il faut arriver à établir un socle commun, sur les femmes, sur la pénibilité, les étudiants, etc.

Enfin, il faudra prendre les décisions. Il s'agit de décisions politiques que le nouveau président devrait mettre en place dans les six mois suivant son élection.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2010-2/et-si-l-on-changeait-de-methode.html?item_id=3015
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La réforme des retraites en France : Il faut tout remettre à plat pour une réforme des retraites en 2012. Dossier du magazine Constructif.