Jean-Paul HUGOT

est maître de conférences à l'université d'Angers, maire honoraire de Saumur, et ancien sénateur.

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Une nouvelle compétence pour les collectivités territoriales

Les élus locaux sont devenus les acteurs clés de la transformation et de l'adaptation du « petit » patrimoine de proximité.

La préoccupation patrimoniale s'affirme en France dès l'origine de l'Etat républicain : il s'agit alors d'une cause nationale qui, par classement administratif et mesures de protection, va progressivement permettre à la Nation de s'approprier l'héritage des provinces, qu'aujourd'hui encore se disputent parfois nos régions et nos départements.

Mais c'est par un mouvement culturel plus spontané que l'intérêt pour le « petit » patrimoine de proximité incite désormais les collectivités territoriales de tout niveau à développer la compétence du patrimoine. Et, en raison même des caractères propres du patrimoine vernaculaire, ce sont les élus locaux de nos communes, villes ou villages qui deviennent les acteurs clés d'opérations où l'aménagement du territoire est celui de la vie quotidienne, de la proximité et des identités locales.

Un mouvement identitaire

L'engouement, les coups de cœur, qui aujourd'hui soustraient à la déperdition tant d'éléments bâtis, révèlent une disposition largement partagée à se réapproprier des traces du paysage ancien au sein de nos conditions modernes de vie. La valeur patrimoniale se détermine sur des impulsions subjectives où les caractères plastiques du bâti ne jouent pas plus de rôle que la mémoire des événements ou la conscience des lignées culturelles. Et si l'artisan est sollicité pour la mise en valeur matérielle du patrimoine, c'est d'abord parce qu'en amont est culturellement attribuée au bâti ancien une valeur patrimoniale, immatérielle. Ce « spontanéïsme » aux motivations diverses trouve souvent dans le statut associatif souplesse d'action et lisibilité médiatique ; et le problème n'est pas mince pour l'élu local que d'arbitrer, en matière de parti d'aménagement, entre une restauration patrimoniale fidèle et un geste architectural contemporain novateur.

C'est pourquoi l'intervention publique sur le patrimoine doit rechercher l'adhésion populaire : l'opération concerne souvent des valeurs identitaires, communautaires, sources fréquentes de mobilisation collective, qu'un élu de proximité cherchera bien sûr à positiver.

Cependant, si l'élément bâti est reconnu comme un objet d'hier à conserver, l'autre débat concerne sa réaffectation dans un projet pour aujourd'hui, qui prenne en compte les attentes sociales et économiques du moment. Il s'agit bien d'écrire une page moderne de l'histoire de la communauté de base, qui réinterprète son passé au présent, et inscrit ainsi dans son paysage immédiat l'image de sa permanence et la preuve de son évolution.

Les élus locaux à l'interface

Parce que le territoire d'exercice de son mandat municipal est très généralement le même que celui de sa circonscription d'élection, l'élu communal est le premier interlocuteur sur les questions relatives à l'identité culturelle de la communauté locale telle qu'elle s'inscrit dans son paysage naturel et bâti. Bien sûr, la coopération avec les autres institutions territoriales est constante, surtout lorsque le projet communal peut entrer dans les programmes propres, souvent thématiques, des régions ou départements visant une identité citoyenne plus englobante.

Concernant l'art et les manières de réhabiliter le bâti dans sa diversité géographique et stylistique, les techniques de restauration du patrimoine vernaculaire relèvent souvent de savoir-faire coutumiers qui incitent les décideurs publics à veiller à la conservation de ces compétences spécifiques, quand ce n'est pas à l'approvisionnement en matériaux de terroir. Le dialogue avec les entreprises ne peut dès lors viser que l'activité sur le long terme. Il trouve souvent, dans les instances consulaires, des encouragements efficaces concernant la transmission des savoirs, voire la pérennisation des entreprises, auxquelles il faut assurer durablement des marchés crédibles justifiant les investissements en moyens et formations.

De nombreux acteurs

Parmi les partenaires des pouvoirs publics s'intègrent de plus en plus d'actives associations, thématiques ou territoriales, qui manifestent l'implication croissante de la société civile à l'égard de son environnement culturel et naturel. Sous leur impulsion, villes et villages, qui ne reculent pourtant pas devant l'audace d'un geste architectural contemporain, se préoccupent aussi de mettre en valeur du bâti ancien réapproprié, selon une navette délicate entre une restauration à l'identique quasi muséographique, et une réinterprétation contemporaine ouverte à de nouvelles fonctionnalités sociales.

Attentif à cette sensibilité populaire, l’Etat français a légiféré en faveur de la création de la Fondation du patrimoine qui, d’ores et déjà, a su réunir les moyens pour faciliter des milliers d’opérations portant sur ce « petit » patrimoine dont le maillage serré assure à nos grands monuments un cadre culturel et paysager toujours singulier. La Fondation a prouvé son opportunité opérationnelle ; elle est en passe de devenir une instance majeure d’action et de coordination du mouvement patrimonial montant qui anime en profondeur notre pays. Avec le National Trust, la Grande-Bretagne a depuis un siècle rôdé ce modèle populaire avec succès, avant de découvrir à la fin du XIXe siècle l’intérêt d’une implication plus complète de l’Etat. Ainsi semble se charpenter progressivement et selon des étapes diverses un modèle européen à double impulsion, populaire et montante, d’une part ; nationale et administrative, d’autre part.

Thème du débat citoyen de proximité

En fait, le patrimoine est devenu un des thèmes les plus actuels du débat citoyen de proximité. Outre les promoteurs de projets en quête d’autorisation et d’accompagnement, les associations et les professionnels de la restauration sont désormais en dialogue constant avec les élus locaux qui souhaitent, quant à eux, asseoir leurs initiatives publiques sur l’adhésion de leurs concitoyens, et sur des savoir-faire spécifiques garantis par les entreprises.

La question patrimoniale ne se simplifie pas dans les communes sur les territoires desquelles sont érigés des monuments d’intérêt national. Il n’est pas anodin, par exemple, pour une commune comme Fontevraud-l’Abbaye, en Saumurois (Maine-et-Loire), d’être le site d’implantation de la célèbre Abbaye Royale, de plus aujourd’hui centre culturel ! L’urbanisation de la commune, les partis architecturaux de son aménagement, ses dessertes et le dimensionnement de ses espaces publics exigent de l’élu de proximité une constante attention à la façon dont ses concitoyens, à qui il doit sa légitimité, perçoivent l’équilibre délicat entre les moyens affectés à ce qui favorise l’accueil de milliers de visiteurs, et ce qui revient de droit au mieux-être des résidents locaux.

Une filière de développement

En fait, nombre de communes, et notamment des villes, conçoivent désormais l’enjeu patrimonial dans le cadre d’une véritable filière de développement économique et territorial. C’est ainsi que, dès les années 90, la ville de Saumur, reconnue comme Pôle d’économie du patrimoine 1, élaborait un programme complet coordonnant la réhabilitation du bâti, l’exploitation culturelle et touristique du patrimoine et le développement de l’emploi artisanal et tertiaire autour de la restauration et sa valorisation auprès du public. La ville a depuis longtemps favorisé l’installation près du château d’une maison des compagnons consacrée au travail du tuffeau et de l’ardoise ; une antenne de la Chambre de métiers spécialisée dans les artisanats de la restauration culturelle est attendue ; la présentation annuelle des métiers d’art organisée avec les instances consulaires peut assurer à certains professionnels plusieurs mois d’activité complémentaire. Le renforcement de son office du tourisme et la création de formations post-bac spécialisées font aujourd’hui de la communauté d’agglomération saumuroise, un vaste laboratoire des métiers du tourisme culturel.

Effectivement, le niveau territorial de la communauté, de création récente, pourrait bien jouer dans l’avenir un rôle d’impulsion majeur dans la mise en valeur du patrimoine bâti. Fédérant des communes par transfert collectif de certaines de leurs compétences de développement et d’aménagement du territoire, ces nouvelles institutions locales, communauté de communes ou communauté d’agglomérations, peuvent consacrer à la filière patrimoniale certains moyens qu’elles rassemblent au nom de leur vocation prioritairement économique. Un programme patrimonial bien réparti territorialement légitimerait auprès des populations cette orientation stratégique selon laquelle, en France, notre patrimoine paysager et bâti constitue un gisement de développement et d’emploi prometteur.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2006-2/une-nouvelle-competence-pour-les-collectivites-territoriales.html?item_id=2690
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