Christopher YOUNG

dirige le département Patrimoine mondial et politique internationale d' English Heritage .

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L'Angleterre à la veille de réformes

A l'instar de nombreux pays européens, le Royaume-Uni s'est doté d'un système vieux de plus d'un bon siècle afin de protéger son patrimoine historique. Et, comme de nombreux autres Etats européens, le pays envisage aujourd'hui de modifier ce système afin de l'adapter aux nouveaux concepts du patrimoine culturel et de définir sa mise en application pour le XXIe siècle.

Le Royaume-Uni est en réalité composé de quatre pays différents : l'Angleterre, l'Irlande du Nord, l'écosse et le pays de Galles. Les trois derniers pays ont bénéficié pendant une période assez longue d'une décentralisation administrative. Depuis 1999, le pays de Galles, l'écosse et l'Irlande du Nord jouissent également d'une décentralisation législative à divers niveaux. Depuis la décentralisation des compétences relatives au patrimoine culturel, chacun de ces quatre pays élabore au niveau national des approches légèrement différentes, toutefois largement identiques à celle appliquée jusqu'ici. L'objectif du présent article est de décrire la situation en Angleterre.

Une double approche

La législation anglaise observe en général deux approches en matière de conservation du patrimoine historique. La première consiste à protéger des biens particuliers d'une importance nationale. Ces derniers sont définis par le gouvernement, selon un système d'approbation qui leur est propre. Deux systèmes différents coexistent. Les sites archéologiques, comprenant les ruines et les monuments, étiquetés Scheduled Ancient Monuments, sont protégés conformément à une série de lois sur les monuments anciens remontant à 1882. Forts de leur valeur de témoignage historique, ils ne peuvent être modifiés sans approbation préalable, exception faite généralement des activités agricoles en cours. Près de 20 000 sites de ce type sont recensés à ce jour. Seul un ministre peut accorder cette approbation.

Les immeubles occupés ne sont protégés que depuis 1947. Actuellement, 372 000 sont recensés sur la liste couvrant près d'un demi-million d'immeubles en Angleterre. Ces immeubles sont notés selon trois niveaux, I, II* ou II. Seules les autorités locales peuvent autoriser leur modification. Elles doivent toutefois consulter, dans certains cas, le gouvernement central, qui dispose également d'un droit de réserve lui permettant, selon certaines circonstances, de « solliciter » l'avis des ministres.

Depuis 1972, un système de désignation des zones de conservation a été mis en place. Ces zones sont définies par les autorités locales, et non par le gouvernement central, afin de favoriser le caractère global d'une zone citadine ou villageoise par rapport à des structures individuelles spécifiques. Seules les autorités locales peuvent approuver des demandes de travaux dans les zones de conservation. Il existe également des registres non-statutaires des jardins et parcs historiques ainsi que des champs de bataille. Certaines entités religieuses appliquent leur propre système sur leur lieu de culte. Ces systèmes doivent toutefois se conformer aux normes nationales de protection.

Planification foncière

La seconde approche relève du système général de planification pour l'aménagement foncier. Suite à une série de lois sur la planification municipale et nationale remontant à 1947, un système a vu le jour afin de contrôler quasiment l'ensemble du développement anglais. Les autorités locales sont ainsi chargées d'élaborer des plans territoriaux dans lesquels sont définies les zones foncières selon les différents types de développement exigé, ainsi que les politiques relatives à des questions spécifiques telles que le patrimoine historique. Toute forme de développement est généralement soumise à l'approbation des autorités locales, conformément aux politiques définies dans leur plan ainsi qu'aux orientations publiées par le gouvernement central. Les autorités locales peuvent faire appel en cas de refus d'approbation du gouvernement central. Dans ce cas, la décision finale revient aux ministres, après présentation d'une enquête publique apportant des éléments de preuves en faveur ou contre le développement proposé. Ce système s'avère d'autant plus efficace qu'il permet de protéger certains éléments du patrimoine historique dépourvus de désignation spécifique.

L'administration de ces systèmes implique un grand nombre d'organismes. En plus des autorités locales, la planification générale relève du cabinet du vice-Premier ministre (Office of the Deputy Prime Minister, ou ODPM), alors que la désignation actuelle des monuments anciens et des immeubles classés incombe au ministère de la Culture, des Médias et des Sports (DCMS), également chargé de consentir aux travaux de restauration sur les monuments anciens. Les questions d'ordre agricole, facteur le plus visible dans l'archéologie rurale, relèvent des compétences du ministère de l'Environnement, de l'Alimentation et des Affaires rurales (DEFRA).

Les objectifs de l'English Heritage

Le gouvernement est tenu informé sur tous les aspects du patrimoine historique par l'English Heritage. Parrainé par le DCMS, l'English Heritage collabore étroitement avec l'ODPM et le DEFRA, afin de défendre et de protéger le patrimoine historique via :

  • une meilleure appréhension du passé grâce aux recherches et aux études,
  • des subventions pour la conservation, des conseils et des services éducatifs,
  • l'identification et la protection des immeubles et des sites archéologiques d'importance nationale,
  • le maintien de plus de 400 propriétés, rendues accessibles au public le plus large possible,
  • le maintien du National Monuments Record en tant qu'archives centrales du patrimoine historique anglais, accessible au public.

L'English Heritage est un organisme public non-ministériel, géré par ses propres commissaires afin d'agir indépendamment du gouvernement dans le cadre de son accord de financement et de stratégie approuvé. Cet organisme incite les Anglais à considérer leur patrimoine historique comme une partie intégrante de leur vie quotidienne et un pilier pour l'avenir, en participant à la création de lieux de vie et de travail conviviaux, restituant toute la richesse du passé sur laquelle reposera l'avenir du pays.

La dimension urbaine et rurale du patrimoine

Lors de ces dix dernières années, le gouvernement a reconnu la dimension urbaine et rurale du patrimoine historique dans son ensemble, qui ne se résume plus à des immeubles privés ni à quelques sites. Les spécialistes ont également saisi toute l'importance du patrimoine pour les habitants et les communautés locales, qui apprécient plus les lieux communs que spécifiques. Dès lors que le patrimoine dans son ensemble est considéré comme le fruit d'une interaction entre l'humanité et la nature sur plusieurs millénaires, il devient impossible, voire indésirable, de préserver tout ce qui pourrait être défini comme historique. Les changements sont nécessaires à la prospérité de la société moderne afin d'assurer un avenir aux générations futures. Mais ces changements ne doivent en aucun cas détruire les éléments les plus fondamentaux du passé auxquels les Anglais doivent la singularité de leurs communautés et de leurs paysages.

Il est également nécessaire de reconnaître le rôle présent et futur du patrimoine, hérité du passé. Selon diverses enquêtes, les Anglais attachent de l'importance à leur patrimoine dans son ensemble. Celui-ci donne un sens aux lieux et aux origines de leurs communautés. Le patrimoine historique est censé soutenir l'économie, d'aujourd'hui et de demain, grâce à une utilisation appropriée. Cette utilisation est souvent liée en premier lieu au tourisme, mais pas uniquement. En effet, les immeubles historiques sont extrêmement prisés comme habitations ou même comme bureaux ou ateliers, et peuvent s'adapter à tout autre usage. De ce fait, ils contribuent de manière significative à cette quête de pérennité.

Avec la reconnaissance du caractère holistique du patrimoine historique, le rôle des organismes de conservation comme l'English Heritage consiste bien plus à gérer les modifications qu'à tenter de conserver les monuments en l'état. Cette gestion se fait d'autant plus complexe qu'il faut traiter plusieurs couches de patrimoine imbriquées selon différentes formes de protection adaptées dans une seule entité. Parce qu'il touche à l'environnement quotidien et aux lieux de travail des habitants, le gestionnaire patrimonial doit désormais collaborer avec plus d'acteurs que par le passé, qu'ils soient publics ou privés.

Une nécessaire simplification

Cette vision a notamment permis de réviser les approches ainsi que les propositions de modifications significatives. Les organismes comme l'English Heritage doivent désormais plus concentrer leurs efforts sur la satisfaction des besoins et des inquiétudes de leurs nouveaux partenaires de travail. Une conservation et une gestion des changements réussies résident plus particulièrement dans la compréhension correcte des valeurs que véhicule chaque lieu. Ces organismes doivent donc émettre des orientations plus claires sur leur travail, et expliquer plus simplement les bases de leur approche. C'est ce que permet notamment le développement des principes de conservation ainsi que d'autres orientations, via une stratégie de recherches intégrées, dans le but de mieux appréhender le patrimoine historique et son éventuelle utilisation.

Il est également crucial de moderniser et de simplifier l'aspect juridique en matière de protection du patrimoine historique afin de répondre aux attentes du monde actuel, et non d'une époque lointaine. En Angleterre, le gouvernement, en collaboration étroite avec l'English Heritage, a décidé, après consultation publique, de modifier le système de protection. Le gouvernement propose donc de remplacer les divers systèmes actuels par un Registre unique des sites et immeubles historiques, censé comprendre également les parcs et jardins, les champs de bataille ainsi que les sites relevant du patrimoine mondial.

Ce registre permettrait de simplifier le processus d'approbation, et d'encourager le transfert de la gestion du patrimoine aux autorités locales, en premier lieu, avec l'aide du centre le plus approprié. Les organismes de conservation devront donc accroître leur soutien ainsi que leurs capacités de développement afin d'affirmer leur rôle en ce sens.

Par ailleurs, il est également question d'introduire des accords de partenariats patrimoniaux entre les propriétaires de sites complexes et les autorités. Les propriétaires, les autorités locales ainsi que l'English Heritage pourraient ainsi définir un cadre de gestion sur le moyen terme d'un site ou d'un domaine, et s'accorder sur la nature des travaux à mener sans recours à une approbation particulière.

Il est donc temps de changer afin d'anticiper les grands développements à venir dans les systèmes de conservation du patrimoine historique au cours des prochaines décennies. Ces changements seront fondés sur nos travaux antérieurs et plus particulièrement la reconnaissance du caractère holistique du patrimoine historique ainsi que son rôle dans la vie quotidienne et l'identité des habitants. Grâce aux nouveaux outils législatifs, développés de pair avec les structures et les objectifs revisités de l'English Heritage, les autorités disposeront de bases solides pour mener à bien les modifications nécessaires, véritables garanties d'un avenir serein pour ces éléments emblématiques du passé qui auront leur rôle à jouer demain.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2006-2/l-angleterre-a-la-veille-de-reformes.html?item_id=2695
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