est avocat aux barreaux de Paris et d'Israël et écrivain.
Evitons la communautarisation des communautés !
En rappelant que « nos ancêtres n'étaient pas tous des Gaulois », l'avocat Théo Klein invite l'Etat français à mener une vraie politique d'intégration pour éviter les phénomènes de repli communautaire.
Le glissement de la communauté vers le communautarisme est un phénomène qui a commencé à attirer l'attention, ces dernières années, à la suite d'événements perturbants et perturbateurs qui semblaient, en France, un défi à l'ordre républicain.
Je pense notamment aux répercussions des événements du Proche-Orient où se sont affrontées des solidarités contradictoires et opposées et, plus généralement, aux violences physiques ou verbales qui nourrissent de temps à autre notre actualité, renvoyant les uns ou les autres vers leur origine ou leur particularisme.
Le mot « communautarisme » n'est apparu dans nos dictionnaires que récemment pour tenter de désigner ce phénomène considéré comme nouveau, choquant et, éventuellement, dangereux.
Définitions
La communauté est le rassemblement, l'association de personnes dans un but et pour un objet communs. C'est un choix collectif et volontaire appelant à des adhésions spontanées. Dans la société française, ce mot « communauté » est utilisé le plus généralement pour désigner des organismes religieux, des groupes originaires ou ethniques, rarement d'autres types de groupes ou d'associations. Ce mot a évidement d'autres usages : conjugaux, politiques ou administratifs.
Le mot « communautarisme » a été introduit dans nos dictionnaires habituels, Le Petit Larousse et Le Petit Robert, dans des définitions qui vont structurer mon propos.
Le Petit Larousse illustré (centième édition, 2005) définit ainsi le mot «communautarisme» :
« 1. Tendance du multiculturalisme américain qui met l'accent sur la fonction sociale des organisations communautaires (ethniques, religieuses, sexuelles, etc.) ;
2. Toute conception faisant prévaloir l'organisation de la société en communautés sur l'exigence d'assimilation des individus selon des règles et un modèle équivalent pour tous. »
En revanche, Le Petit Robert (édition 2004) donne du mot « communautarisme » une définition plus brutale et plus courte :
« Système qui développe la formation de communautés (ethniques, religieuses, culturelles, sociales…) pouvant diviser la nation au détriment de l'intégration.
Citation : « Marre des tribus ! » une déclaration contre le communautarisme et pour le métissage. (Le Nouvel Observateur, 2003) ».
Ainsi, Le Petit Larousse nous renvoie vers les États-Unis d'Amérique, cette grande fédération d'États, cette nation qui se considère comme l'œuvre commune des divers peuples qui, depuis plus de trois siècles, par vagues successives, ont conquis son territoire, l'ont peuplé et, dans un mouvement d'immigration continu, ont brassé cette population. Chacun est ainsi demeuré porteur de sa culture, de sa religion, du souvenir de son origine, mais adhérant au mouvement commun de la vie, en une sorte de conquête permanente du lendemain.
Le communautarisme américain
Le communautarisme aux États-Unis constitue un mode d'organisation de la vie sociale qui répond le mieux, semble-t-il, aux désirs des diverses populations de pouvoir conserver leurs particularismes tout en partageant la fierté d'un drapeau, d'un chant national et d'une réputation mondiale commune.
Il s'agit d'un communautarisme non seulement accepté, mais apprécié en ce qu'il enrichit la collectivité sans la diviser et donne aux individus et aux familles le confort d'un lien qu'ils peuvent maintenir avec leur passé et souvent avec des proches restés « au pays ». Ce communautarisme favorise aussi la vie des communautés religieuses en facilitant le respect du rite, et renforce la cohésion et la discipline sociales.
Ce communautarisme convient à ces immigrants qui ont fièrement prêté serment au drapeau des États-Unis au moment de leur naturalisation, comme à ceux qui sont nés dans la république fédérale et qui y construisent naturellement, leur vie et celle de leur descendance. Le communautarisme aux Etats-Unis est l'affirmation d'un particularisme dans le cadre d'une adhésion à la nation.
Neutralité religieuse
La liberté et la neutralité religieuses ont naturellement accompagné les vagues d'immigrants dont chacun savait qu'il devait les respecter pour pouvoir être admis à partager la vie commune et y être respecté ; c'était aussi la condition nécessaire pour éviter qu'ils ne s'affrontent, se combattent et se détruisent : la tolérance et le respect mutuel étaient les conditions de leur réussite : ils avaient plus à conquérir qu'à conserver.
Puis-je prendre la liberté de préciser ici qu'il est, à cet égard, remarquable de constater que, dans les westerns, il y a le shérif, le journaliste et le juge, mais très rarement un prêtre. Ainsi, la laïcité aux États-Unis d'Amérique s'est constituée spontanément comme un élément constitutionnel fondamental ; elle n'est pas née, comme en France, d'un combat contre une religion dominante. Notons, cependant, que ce way of life n'a pas empêché l'élimination des Indiens d'Amérique et l'esclavage des Noirs, c'est-à-dire une violence et un mépris constituant une dérive dramatique en contrepoint de la Charte constitutionnelle, il y a de cela, il est vrai, de nombreuses décennies. Certains, cependant, pourraient voir dans l'attitude de l'actuel président des États-Unis un retour vers un religieux dominant. En réalité, la religion n'a jamais été absente dans la vie de cette nation car la laïcité de l'État n'y implique pas celle personnelle de ses dirigeants, même dans leurs expressions publiques.
Le cas de la France
Les vieux pays du continent européen ont été, par contre, profondément marqués par les religions qui ont longtemps ordonné la vie individuelle et collective ; elles ont dominé et marqué de leur présence les paysages, elles ont construit leur calendrier et se reflétaient souvent jusque dans l'habillement et l'alimentation.
Dans ces pays européens, la laïcité s'est établie, généralement, par et dans le respect de chacune des religions, de ses rites et, dans une certaine mesure, de ses contraintes.
En France, en revanche, la laïcité est née d'un combat contre la religion dominante et avec l'objectif d'une séparation totale entre l'État et cette religion d'abord, et les autres par extension ; il est évident que les conditions dans lesquelles la laïcité a été admise ou conquise déterminent son fonctionnement.
En France, la laïcité est attentive, chatouilleuse et… catholique. L'Épiphanie, le premier dimanche de Carême, les Rameaux, Pâques, l'Ascension, Pentecôte, figurent dans l'« almanach du facteur 2006 » suivies par l'Assomption, la Toussaint et Noël, sans compter tous les autres saints du calendrier. Les descendants d'Abraham, juifs et musulmans, ont eu cependant pendant longtemps la consolation de lire dans les calendriers « premier de l'an, circoncision » ; ce discret rappel a cependant disparu de nos calendriers depuis quelques années.
Les horaires des classes ont naturellement été conçus en fonction des besoins de la religion dominante, les cantines scolaires ont tenu compte de certaines prescriptions, notamment pour le menu du vendredi, tout cela constituant un phénomène parfaitement naturel dans la mesure où toute religion dominante s'inscrit dans la vie quotidienne et devient un élément culturel qui se dégage du culte proprement dit pour imprégner la parole et l'écrit, la musique et l'image.
C'est une situation qui n'appelle pas de critique mais qui devrait conduire à une réflexion plus approfondie, tendant à prendre en considération l'existence dans la population d'autres croyances religieuses ou spirituelles, sous la seule condition qu'elles ne contredisent pas les lois de la République. Les fêtes catholiques font partie du calendrier légal, les fêtes des autres religions méritent au moins l'attention et la compréhension. La laïcité française n'est pas équitable lorsque, au nom de son principe, elle refuse ou néglige les mouvements de populations dans leur diversité religieuse et culturelle tels qu'ils résultent d'une immigration qui ne cessera vraisemblablement de se prolonger, sinon de s'intensifier.
La liberté religieuse est, en effet, une liberté constitutionnelle qui ne peut pas être respectée si les rites religieux ne sont pas pris en considération au nom d'une laïcité qui refuse aux autres religions ce que, finalement, elle accepte de celle qui a marqué la société française. C'est un problème, un malaise, qui prendra de l'ampleur si la société laïque se refuse à dialoguer avec les autres religions pour que la neutralité religieuse de l'État offre à tous un libre épanouissement ; il s'agit d'une égalité réelle entre les citoyens qui doit être une conquête permanente évoluant au rythme de la société et de la population.
L'origine du repli
Ces considérations peuvent paraître bien lointaines du sujet que je traite et qui est – je le rappelle – celui d'une communautarisation des communautés.
En effet, ce que l'on appelle « communautarisme » ces derniers temps en France, correspond très généralement à des phénomènes de repli d'un groupe humain sur ses origines ou ses particularités ou sa religion. Ce repli naît généralement du sentiment d'être négligé, mal compris, objet d'hostilité ou de ségrégation de la part des autorités ou d'une partie d'entre elles, comme aussi d'un malaise de la population ou certains secteurs de cette population. Ce repli sur la communauté d'origine, religieuse, ethnique ou culturelle, provoque, par voie de conséquence, le développement de stratégies qui conduisent, souvent inconsciemment, à une auto-discrimination. Les Juifs parlent alors d'antisémitisme, les Arabes et les Africains de racisme, et chacun se nourrit de ses propres craintes.
Considérer ce phénomène de repli comme constitutif de la communautarisation, ce n'est pas tenter de le corriger mais, au contraire, l'aggraver au lieu de l'apaiser.
Il pourrait alors s'agir d'un communautarisme à rebours où l'accusateur chercherait à imposer à la communauté nationale sa conception : un communautarisme majoritaire, renfermé sur lui-même et rejetant toute diversité.
Une société qui a favorisé l'immigration et qui se trouvera sans doute conduite à poursuivre une politique d'immigration doit, si elle veut intégrer la population immigrée et, singulièrement, les générations suivantes, reconnaître le sens humain de cette intégration : celle-ci ne peut pas être la fusion, l'assimilation unilatérale ; elle doit demeurer dans le cadre raisonnable qui est de faire entrer le particulier dans l'ensemble plus vaste de la Nation.
Nécessaire compréhension
Il me faut cependant aller plus profondément dans l'examen de la situation en France. Il est évident que la conception américaine du multiculturalisme se réalisant et s'épanouissant dans des communautés renfermées sur elles-mêmes est contraire, en France, à l'idée même de l'unité nationale : vivre en France, en qualité de citoyen, oblige à prendre cet aspect historique en considération. Si la France jacobine s'est construite contre les particularismes de ses provinces, ceux qui viennent rejoindre la collectivité nationale doivent, sans abandonner leur culture d'origine, s'efforcer d'en faire un élément d'enrichissement de la société française et celle-ci doit être ouverte à ce qui ne met pas en cause l'ordre public.
Cet effort que la société française exige des nouveaux venus doit avoir pour contrepartie un accueil, une réflexion et une compréhension des éléments culturels, spirituels, dont les nouveaux venus sont porteurs et dont l'intégration aux valeurs nationales ne serait pas de nature à les dénaturer. Une telle ouverture permettrait souvent de découvrir et l'intérêt et la part d'universel de ces apports.
Ce qui, dans la polémique autour du communautarisme est souvent considéré comme un détachement de la communauté nationale n'est, me semble-t-il, dans la plupart des cas, qu'une réaction de repli de groupes, religieux ou non, qui se sentent – ou croient pouvoir se sentir – rejetés ou, à tout le moins, discriminés et dénoncés. Il leur est reproché un particularisme dont on conteste qu'il s'inscrive – ou pourrait s'inscrire – dans le consensus national.
Une investigation plus profonde de ces phénomènes conduit la plupart du temps à une constatation inverse. C'est le sentiment de ne pas être accepté – ou de l'être sous des réserves dites ou sous-entendues – qui conduit au repli.
Il me semble que la France, comme d'autres pays, notamment en Europe, devrait conduire une politique d'intégration qui tienne mieux compte de ce que, en effet, nos ancêtres n'étaient pas tous des Gaulois.
Que le communautarisme, dans le sens des États-Unis d'Amérique, ou plus généralement dans sa tendance anglo-saxonne, soit rejeté en France est conforme à l'esprit de la République Une et Indivisible. Mais la France doit se reconnaître multiple dans sa population et riche de sa capacité de développer son unité en l'enrichissant des apports de ses nouveaux citoyens. L'intégration dans la diversité est la clé d'une République laïque et démocratique.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2006-2/evitons-la-communautarisation-des-communautes.html?item_id=2679
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