L’évaluation de l’action publique, un enjeu pour la démocratie
L’évaluation est une démarche
ambitieuse qui recouvre l’activité traditionnelle de contrôle de
l’action publique de la Cour des Comptes, mais la dépasse largement,
tant dans son approche que dans ses finalités.
Évaluation doit avant tout apprécier l’efficacité de l’action publique, c’est-à-dire l’effectivité de la mise en œuvre des moyens nécessaires à son exécution et mesurer la réalisation des objectifs qu’elle s’est fixés.
Mais cette démarche appelle aussi une appréciation de son efficience et de sa
performance, notamment en rapprochant l’efficacité d’une politique des moyens mis en œuvre, mais également des effets qu’elle peut produire.
Plus qu’une simple procédure cognitive fondée sur l’expertise, cette démarche est donc porteuse de finalités politiques et sociales éminentes, car elle doit permettre de rendre des comptes aux citoyens et aux responsables politiques sur la mise en œuvre et sur les résultats d’une politique1.
Elle appelle en ce sens le respect d’une véritable déontologie pour assurer sa transparence, son pluralisme et son indépendance. Elle doit permettre une gestion plus rationnelle des ressources humaines, matérielles et financières que l’État affecte aux politiques. Elle constitue un outil de pilotage des décisions. Elle est à la fois un instrument privilégié et un objet éminent de la réforme de l’État. La loi organique relative aux lois de finances (LOLF), adoptée en 2001, consacre d’ailleurs la démarche, et l’érige en « ardente obligation ».
L’évaluation est donc un enjeu politique majeur de la réforme de l’État, tant par son objet que par sa dimension démocratique. Cependant, elle rencontre chez nous un contexte bien moins favorable que dans les pays anglo-saxons, et peine à s’institutionnaliser.
En effet, notre système politico-administratif offre des résistances « culturelles » et organisationnelles qui sont autant de facteurs paralysants et laissent en fait peu de place à son développement naturel.
Les résistances françaises
D’une part, notre modèle d’organisation bureaucratique est encore trop pyramidal et trop cloisonné il reste empreint du culte de l’infaillibilité de l’État et de la
fiction d’une administration qui ne serait qu’un instrument au service de l’exécutif, ignorant l’existence de marges d’autonomie technocratiques issues notamment des administrations de projet. D’autre part, notre modèle institutionnel consacre la suprématie de l’exécutif sur le législatif. Autant de pesanteurs qui se prêtent mal à l’expression d’une approche critique de
la décision publique.
Dans ce contexte, diverses tentatives de réforme de l’État, du « Renouveau du service public » porté par le gouvernement Rocard à la création des Contrats de gestion, se sont efforcées de responsabiliser l’administration et ont proposé des aménagements favorisant l’émergence des contrôles a posteriori, et donc de l’évaluation. Pour l’avenir, la mise en œuvre de la loi organique de 2001 devrait aussi produire des effets bénéfiques.
La démarche évaluative existe donc. Elle a même trouvé un certain écho dans les ministères (en particulier au sein des trois grands corps d’inspection) ou à leur périphérie (au sein notamment du Commissariat général au Plan, ou encore du Conseil d’analyse économique). Mais aussi dans le développement de centres d’évaluation indépendants, par l’enrichissement des missions traditionnelles de contrôle et de juridiction de la Cour des Comptes ou par la création d’instances d’évaluation telles que le Comité d’enquête sur le coût et le rendement des services publics.
Pour autant, ces apports restent limités et ponctuels. Ils souffrent de leur improvisation et d’un manque préjudiciable de clarification et de structuration2.
L’anomalie du monopole
de l’exécutif
Malgré des progrès indéniables, les instances d’évaluation sont sous-dimensionnées ou mal adaptées à cette mission, leurs ressources financières et instrumentales demeurent insuffisantes, et leur manque de pluralisme nourrit la réputation technocratique de la démarche. De fait, le nombre d’évaluations reste trop restreint, les délais excessifs les rendent souvent inefficaces, et les projets, rarement pertinents et sans véritable enjeu pour le débat démocratique, aboutissent davantage à la recherche d’un consensus qu’à une réelle confrontation critique.
Au-delà, l’échec relatif de ces tentatives reflète la persistance d’un schéma pyramidal qui consacre le monopole quasi exclusif de l’exécutif sur la saisine, sur les données et les savoir-faire. Et donc l’absence du Parlement à tous les niveaux des dispositifs d’évaluation, absence cependant nuancée par l’existence d’organismes tels que l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.
C’est une anomalie compte tenu de l’éminence des enjeux politiques et des exigences de démocratie, de transparence et de participation au débat que doit susciter l’évaluation.
Anomalie parce que c’est bien le Parlement, expression de la représentation nationale, qui, en votant la loi de finances, met à la disposition de l’État les moyens nécessaires à son action. Il paraît donc logique et nécessaire qu’il soit associé à l’évaluation des politiques.
Anomalie parce que la loi de finances
permet le fonctionnement de services qui mettent en œuvre des capacités d’expertise et qui, du fait du principe hiérarchique, sont culturellement considérés comme des moyens mis quasi exclusivement à la disposition de l’exécutif.
Dans ces conditions, une institutionnalisation paraît nécessaire pour créer les conditions pérennes d’un meilleur équilibre, et redonner du souffle à l’évaluation de
l’action publique.
Tirant les enseignements du passé, il paraît souhaitable de faire le choix d’une organisation en toile d’araignée, moins monolithique, fondée sur un nombre défini de commissions spécialisées dans chaque domaine de l’action publique. Ces commissions seraient chargées d’arrêter le programme d’évaluation, de nommer les membres des instances d’évaluation et de formuler des conclusions et des recommandations.
La nécessaire institutionnalisation
Les instances d’évaluation proprement dites doivent être mieux organisées, leur fonctionnement et leur composition devront être codifiés pour en garantir le pluralisme, l’indépendance et la transparence. Enfin, elles doivent bénéficier de la mise en œuvre des moyens nécessaires à leur mission.
Il devra s’agir aussi de centraliser les informations disponibles pour en assurer l’utilité et la diffusion, de veiller à la qualité des travaux d’évaluation, d’en promouvoir le développement et, surtout, de garantir le respect de la déontologie dans leur mise en œuvre. La création d’une autorité administrative indépendante sous la forme d’une Haute autorité de l’évaluation paraît offrir un cadre approprié à l’évaluation de l’évaluation.
Prenant en compte les enjeux politiques de l’évaluation, cette architecture doit permettre au Parlement – et à l’opposition – de jouer pleinement son rôle, tant dans le cadre de l’animation que dans le cadre du droit de saisine.
En effet, d’une part, nous sommes entrés de fait dans un régime présidentiel. D’autre part, nous peinons à sortir d’un système où les administrations, installées dans leurs habitudes, sécrètent collectivement et individuellement des résistances au changement, alourdissant la mise en œuvre des décisions politiques nouvelles.
Or le changement, c’est la loi même de la vie. Dans un monde en mouvement, où tout va de plus en plus vite, la capacité d’adaptation rapide devient une nécessité vitale et impose une évaluation permanente de nos politiques.
- Sur l’évaluation des politiques publiques, voir aussi le n° 8 de Constructif (mai 2004).
- La loi du 22 janvier 1990 et le décret du 18 novembre 1998 ont tenté d’y apporter une réponse par des tentatives infructueuses d’institutionnalisation d’un pôle d’évaluation.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2005-5/l-evaluation-de-l-action-publique-un-enjeu-pour-la-democratie.html?item_id=2646
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