Renaud DUTREIL

est ministre de la Fonction publique et de la Réforme de l’état.

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Une méthode « anti-incantations »

Dans son entretien à Constructif, le ministre Renaud Dutreil explicite sa volonté de modernisation de l’État et insiste sur les résultats déjà obtenus grâce à la méthode des « Stratégies ministérielles de réforme » (SMR) qui vise la recherche systématique de gains de productivité dans tous les ministères.

Des gouvernements successifs ont annoncé leur volonté de mener à bien une réforme de l’État sans jamais y parvenir, ou très partiellement. Quelle est votre ambition ? S’agit-il d’une priorité pour le gouvernement ?

Renaud Dutreil. Non seulement, je vous réponds « oui », mais je vous invite à regarder autour de vous ! Notre État change. Certains arbres, sans doute, cachent la forêt, mais depuis plusieurs années, nos services publics se modernisent à grande vitesse. Ne soyons pas défaitistes !

La France est au quatrième rang mondial pour l’administration électronique : des millions de Français déclarent leurs revenus en ligne ; cette année, j’ai mis en place un numéro unique de renseignements administratifs (le 39-39) ; nous avons également mené à bien la dématérialisation des marchés publics et la mise en ligne de 90 % des formulaires.

Aujourd’hui, les entreprises peuvent faire leurs déclarations sociales en ligne. Il y a deux ans, aux PME, j’ai fait voter une loi qui a fait de la France un des pays du monde où il est le plus facile de créer une entreprise. Bref, nous travaillons, l’État se modernise !

C’est cela la réforme de l’État : faciliter la vie des Français et réduire les coûts de fonctionnement de l’État pour investir là où la demande sociale se fait sentir. Or nous prouvons que c’est possible. Cette année, nous réduisons les effectifs dans plusieurs ministères, ce qui nous permet d’embaucher dans la Recherche.

Divers pays occidentaux ont mené des démarches de réforme de l’État, quelles sont celles qui pourraient vous servir de modèles ?

Je citerai la Suède. Comme les Français, les Suédois sont très attachés à leur État, dont les fonctions de redistribution sont encore plus développées que chez nous (52 % de prélèvements obligatoires contre 44 % dans notre pays). Eh bien, cela ne les a pas empêchés de réformer leur administration de manière extrêmement efficace. L’exemple suédois permet de comprendre que prôner les gains de productivité ne signifie pas nécessairement que l’on est un « ultralibéral » ! C’est du simple bon sens. Tout ce que l’État dépense dans des tâches improductives ou mal organisées, il le perd pour les missions essentielles.

L’État français a-t-il, à vos yeux, besoin de se moderniser ?
Pour assumer quelles fonctions ?
Pour assurer quels services publics ?

Globalement, je ne pense pas que nous devions revenir sur les grandes missions de l’État : les missions régaliennes sont évidemment intangibles, mais les missions éducatives et sociales me paraissent également nécessaires. Simplement, il convient d’en repenser les modalités de mise en œuvre car, sur certains points, l’État a pu se montrer contre-productif. L’essentiel est de moderniser l’État pour qu’il soit efficace dans tout ce qu’il fait. Et qu’il le fasse au meilleur coût.

La question de savoir si l’État doit renoncer à certaines missions est très différente. Ce n’est plus la question des moyens mais celle des fins. Sur cette question, j’ai décidé de confier au Commissariat général au Plan une mission de prospective, qui associera tous les partenaires sociaux. Il s’agit de dessiner le profil de l’État dans quinze ans.

À mon sens, l’État doit être un « réducteur de risque » pour la société. Il convient donc d’identifier les principaux risques et de modeler l’État en fonction. Il faut aussi désigner les dysfonctionnements de l’État qui aggravent les risques au lieu de les prévenir.

Pourrait-on mieux utiliser la dépense publique et comment ? Comment donner à l’État une meilleure efficacité économique ?

À votre première question, je réponds « Oui ! » L’argent de l’État – qui est l’argent des Français et le fruit de leur travail – pourrait être mieux utilisé. C’est mon souci de chaque jour. Quant au « comment faire », voici ma réponse : d’abord, le pire ennemi de la réforme de l’État, ce sont bien les incantations ! Nous avons donc inventé une méthode anti-incantations, qui commence à porter ses fruits : les « Stratégies ministérielles de réforme » (SMR). Il s’agit d’un processus permanent de recherche de gains de productivité, dans tous les ministères, étroitement lié à la loi organique relative aux lois de finances.

Les moyens sont assez simples : externalisation de certaines missions, réorganisation des services, suppression de certains doublons, rationalisation des procédures…
Trois principes guident la démarche : permanence, puisqu’il s’agit d’un plan triennal glissant ; précision, puisque les secrétaires généraux des ministères s’engagent sur des objectifs datés et chiffrés ; contrôle, puisqu’un comité d’évaluation indépendant examine très régulièrement l’avancement des travaux.

Quant à l’ambition, elle est affichée : les SMR ont déjà rapporté 110 millions d’euros en 2004. L’objectif 2007 est de dégager 1,5 milliard d’euros et 10 000 emplois d’économie. Soit le prix d’un porte-avions, ou d’une centaine de lycées ! L’objectif n’est pas la productivité pour la productivité, mais la meilleure affectation d’une ressource nécessairement limitée : l’argent public !

La réforme de l’État peut-elle être indépendante de celle des collectivités locales ?

L’État a ses compétences, les collectivités locales ont les leurs. Une fois les terrains délimités, je ne pense pas qu’il faille mélanger les deux sujets.

Avoir la tutelle de la fonction publique n’est-ce pas un handicap quand on veut mener une réforme de l’État ? On voit bien qu’actuellement le gouvernement est plus préoccupé par les salaires des fonctionnaires que par des évolutions de fond…

Penser une chose pareille, c’est supposer qu’on peut réformer l’État sans les fonctionnaires, voire contre eux. Ce n’est pas mon avis ! On ne peut réformer qu’avec les fonctionnaires. Pour moderniser l’État, il faut dialoguer avec ceux qui le font « tourner » tous les jours. C’est pourquoi nous sommes en train de définir avec les organisations syndicales une feuille de route de la modernisation. Il est en effet naturel que la fonction publique évolue, pour être à la fois plus souple dans sa gestion, plus réactive dans son action, plus efficiente dans son fonctionnement.

Je crois que nous avons réussi à créer un climat de confiance, très propice à la réforme de l’État. Les mentalités sont en train d’évoluer : aujourd’hui, les expressions« gains de productivité » ou « culture du résultat » ne sont plus taboues dans l’administration. J’ai voulu saisir l’occasion de cette négociation salariale pour obtenir un engagement ferme des organisations syndicales en faveur de la modernisation du système de gestion des carrières, et de la structure trop rigide des « corps ».

Pourrez-vous « profiter » des évolutions démographiques à court terme pour diminuer le nombre des fonctionnaires ?

Il est vrai que le départ de la moitié des fonctionnaires de l’État dans les dix ans qui viennent nous fournit l’occasion de mener des réformes indolores. Mais encore une fois, le but de la modernisation n’est pas la diminution coûte que coûte du nombre de fonctionnaires ! Le but de la réforme, c’est d’affecter des fonctionnaires là où la demande sociale s’exprime. Cela suppose assurément des réductions d’effectifs importantes dans certains secteurs touchés par l’informatisation, mais aussi des embauches dans d’autres domaines comme la sécurité, la santé ou la recherche.

Faut-il au passage transformer le système de formation des fonctionnaires, et en particulier l’ENA ? Avec quels objectifs ?

Vous avez raison la formation des fonctionnaires doit s’adapter à la marche du monde. à l’ENA, je crois que plusieurs évolutions sont souhaitables. D’abord, l’introduction d’enseignements jusqu’ici peu présents : la gestion des ressources humaines, la gestion des marchés publics ou encore l’administration comparée.

Ensuite, il conviendrait de renforcer la dimension internationale de cette école car les cultures étrangères en matière d’administration ont également beaucoup à nous apprendre.

Enfin, la présence d’une équipe pédagogique permanente permettrait à l’école de répondre à la demande de formation permanente des administrations.

Ces pistes de réformes sont à l’étude actuellement.

Quels signes concrets le gouvernement a-t-il donné ou veut-il donner de sa volonté de réforme ?

Des signes de notre volonté ? Les meilleurs sont d’abord les signes de notre action ! D’abord, 240 millions d’euros d’économies de fonctionnement sur le budget 2005 ; ensuite l’amélioration permanente de la qualité des services : « charte Marianne » dans les services ouverts au public, mise en place de la rémunération au mérite, mise sous pression des administrations pour mener à bien les SMR, progression de l’administration électronique…

La LOLF se met en place actuellement. Comment cela se passe-t-il ? Qu’en attendez-vous ?

En adoptant cette nouvelle constitution financière, le législateur poursuivait deux objectifs : acclimater la culture du résultat dans l’administration, et rendre au Parlement son pouvoir de contrôle sur l’utilisation des deniers publics.

Le deuxième objectif est atteint de facto, puisque les parlementaires auront la possibilité d’examiner et de discuter l’intégralité des crédits. Le premier objectif est suspendu à deux conditions : que les administrations définissent des indicateurs de performance crédibles, et qu’elles soient engagées à fond pour la performance. En ce qui concerne la définition des indicateurs, nous avançons vite, et tout sera prêt à temps. Quant à la motivation des administrations, nous mettons tout en œuvre pour mettre le système sous pression : mise en place de la rémunération au mérite pour les cadres dirigeants, responsabilisation des secrétaires généraux des ministères, formation d’équipes de modernisation.

Je tiens à souligner au passage que si la LOLF définit le « cadre » formel de la modernisation (avec l’enchaînement Projet annuel de performance/Rapport annuel de performance), les SMR en fournissent le contenu.

Avez-vous des objectifs stratégiques et un calendrier d’actions ?

Bien sûr, ce calendrier, c’est la « feuille de route » que je suis en train d’établir avec les organisations syndicales, qui reprend mes projets de réforme : en particulier la réforme des corps, qui devrait alléger considérablement la gestion des services, rendre la mobilité des fonctionnaires plus facile et fournir des perspectives de carrières plus intéressantes aux agents publics. L’autre grand dossier, c’est la poursuite des Stratégies ministérielles de réforme.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2005-5/une-methode-«-anti-incantations-».html?item_id=2638
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