Président de la Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA).
Il est urgent de réformer l’État
Alors que de nombreux pays d’Europe ont déjà procédé à des réformes en profondeur pour améliorer l’efficacité et la compétitivité de l’État, la France reste à la traîne. Faute de volonté politique mais aussi de méthode.
Le monde bouge au rythme des nouvelles technologies, des échanges commerciaux et culturels, de l’emprise des marchés. Le centre de gravité de l’économie mondiale se déplace. Les règles du jeu internationales se modifient, comme se modifient avec elles les sources d’émission de normes internationales.
L’époque de transition qui s’ouvre apparaît donc, pour la première fois depuis longtemps, comme celle de tous les possibles. Celle aussi de toutes les incertitudes et de toutes les menaces. C’est dans ce contexte d’un monde qui bouge, que doit être appréhendée la question de la réforme de notre État. Pour en mesurer à la fois l’effet moteur : cette mutation qui entraîne tant de changements partout. Mais aussi l’effet de frein : l’inquiétude que suscite le changement en général, et dans la fonction publique en particulier. S’adapter ? Pourquoi pas, mais pour quoi faire ? La question du sens à donner à ce changement est bien la seule à même de susciter la compréhension et l’adhésion des Français.
Le critère de l’efficacité de l’État
La réforme de l’État n’est pas un thème à la mode, qui serait porté par un vent de libéralisme soufflant en Europe. Qui peut croire sérieusement que ce serait alors le Royaume-Uni et l’Allemagne, tous deux gouvernés par des sociaux-démocrates, qui en seraient les vecteurs ? Que Sandro Berlusconi et Jacques Chirac soient nettement plus en retrait illustre à nouveau le fait que l’idéologie a peu à voir avec le sujet. C’est l’économique qui prime, et son enseignement est clair : l’efficacité de l’État est aujourd’hui un critère majeur de la compétitivité des pays. Les pays qui dépensent mal le denier public se pénalisent doublement : en diminuant leur compétitivité par rapport à leurs concurrents et en privant leur population de services nécessaires qui ne trouvent pas les moyens financiers d’être assurés. L’État a en effet dans tous nos pays trois fonctions principales et une obligation. Ses trois fonctions sont :
Préserver le contrat social, c’est-à-dire la garantie donnée à chaque citoyen d’être traité de façon égale à la naissance et protégé tout au long de sa vie face aux insécurités économiques, sociales, criminelles ou de santé ; c’est le socle fondateur. Le principal débat en Europe sur ce point concerne les frontières du service et du secteur publics et, d’une façon plus récente, la question de la délocalisation.
Choisir les meilleures incitations de politique économique dans le cadre le plus équitable, le plus favorable à l’esprit d’entreprise et au niveau local le plus approprié, c’est-à-dire avec le plus d’autonomie possible ; c’est la régulation économique conjoncturelle classique, avec, en outre, un gros effort de décentralisation.
Il s’agit là d’un domaine partagé entre le niveau communautaire, par exemple en matière monétaire, et l’essentiel des décisions « micro » qui restent du ressort des États. Il y a donc d’intenses débats de politique intérieure sur ces différents sujets, en particulier sur la dérégulation du marché du travail.
Préparer l’avenir par des choix d’investissement et l’anticipation des adaptations nécessaires, en matière de sciences et de connaissances comme de protection de l’environnement. C’est la responsabilité stratégique de l’avenir et celui qui a concentré dans la période récente le plus de déceptions. Qu’il s’agisse des conséquences de notre situation démographique, de la recherche, de l’enseignement supérieur ou des actions en matière de protection – dans l’environnement ou dans la santé –, les pays européens offrent une situation contrastée, sans doute plus convaincante dans les pays nordiques que dans les principaux pays membres de l’Union.
Quant à l’obligation, elle fait office de lien avec ce qui précède : c’est gérer les trois objectifs précédents avec le meilleur rapport coût/efficacité. C’est la compétence managériale, qui va de la gouvernance politique à la gestion des ressources humaines de l’administration. C’est le verrou de blocage essentiel. Verrou financier, car il absorbe des ressources qui dépassent les moyens du pays. Verrou humain, quand ni la répartition des effectifs, ni l’organisation de leurs missions, ni la gestion des personnels ne correspondent plus aux standards qui sont ceux des organisations modernes.
C’est quand cette obligation n’est pas remplie que l’on glisse lentement mais sûrement vers la faillite de l’État-providence. Cet engrenage n’est pas fatal. La réforme de l’État n’est pas impossible, puisque la plupart des pays l’ont entamée et pour certains accomplie, notamment en Europe ; et ce dans tous les domaines essentiels, à la fois les plus lourds en coût pour la collectivité et aussi les plus sensibles aux yeux de la population. On pourra évoquer brièvement trois exemples : la fonction publique, la protection sociale et l’éducation.
Les difficultés d’une réforme de la fonction publique
La fonction publique est toujours un domaine de réforme difficile. D’une part, parce que les fonctionnaires représentent directement et indirectement, à travers leurs familles, une masse considérable d’électeurs, susceptibles d’inciter les hommes politiques à la prudence. D’autre part, parce que le service public est un facteur amortisseur social en Europe et que les populations associent souvent les réformes à une régression en matière de services publics. Or les choses bougent. Le Portugal a engagé un plan de réduction de 20 % de ses fonctionnaires d’ici à 2006. En dix ans, le nombre de fonctionnaires en Suède aura été divisé par deux. Le Royaume-Uni, sous l’impulsion de Tony Blair, a combattu de front les défenseurs du statu quo et entame, il est vrai en partant de très bas et après avoir expérimenté les limites du marché dans un certain nombre de domaines comme les transports urbains, un mouvement de refonte des services publics. Même l’Italie, sous la direction d’un gouvernement de gauche, celui de l’Olivier, et avec le soutien des syndicats, a mené à bien une vaste réforme impliquant la suppression du statut de la fonction publique et la réduction de 20 % du nombre de fonctionnaires.
Diverses solutions pour la protection sociale
Second exemple : celui de la protection sociale. Les facteurs démographiques de fond touchant tous les pays, les problèmes sont souvent les mêmes mais les réponses varient face au défi que représente le maintien d’un niveau élevé de protection face aux accidents de santé, au risque de perte de son emploi et à la garantie d’un revenu équitable à l’âge de la retraite. Les pays nordiques et les Pays-Bas ont ouvert la voie les premiers, sans du reste aller chercher des prétextes du côté de Bruxelles. Face à des déficits records, ils ont convaincu la majorité de leur population de changer les règles du jeu en étant plus contraignants en matière d’assurance-chômage et de gestion des systèmes publics. Le cas du Danemark est exemplaire à cet égard, réussissant à combiner une redistribution très forte avec une flexibilité maximum du marché du travail. Les grands pays, eux, ont eu plus de difficulté à s’adapter. Le Royaume-Uni, par exemple, a laissé peu à peu pourrir une situation où le système privé des retraites par capitalisation est très gravement en crise et il s’agira sans doute du chantier le plus lourd du prochain gouvernement.
Le cas le plus emblématique en Europe reste cependant celui de l’Allemagne dont le chancelier a dit un jour qu’il lui fallait « ravaler quelques décennies de promesses impossibles ». C’est ce qu’il a entrepris avec son agenda 2010, à travers trois axes de réforme sur le marché de l’emploi, les retraites et l’assurance-maladie. Les allocations chômage sont réduites à douze mois pour les moins de 55 ans, à dix-huit mois au-dessus. Pour les retraites, l’âge effectif de départ est repoussé à 63 ans à partir de 2006 et, à plus long terme, à 67 ans. Le niveau brut moyen de la retraite passera de 48 à 40,1 % progressivement. Le taux de cotisation maladie va baisser de 14,6 % en moyenne à 13 %, les patients étant amenés à payer un forfait pour chaque acte médical. Ces quelques exemples montrent qu’un tel projet, même s’il a fait l’objet de négociations poussées avec l’opposition – c’est la recherche du consensus à l’allemande – n’est pas indolore, mais pour l’Allemagne, la modernisation de l’État-providence était à ce prix.
Le lourd dossier de l’éducation
Troisième exemple, celui de l’éducation. On admet des inégalités entre individus au cours de la vie, mais on attend de notre système public en Europe qu’il laisse toutes ses chances à chacun d’acquérir les connaissances et la formation qu’il est capable de recevoir, sans être pénalisé par des circonstances de fortune ou de difficultés familiales. C’est un sujet très lourd, parce que l’école n’est pas que le lieu d’acquisition des connaissances : c’est aussi celui où viennent se greffer les problèmes de société comme l’intégration des minorités, le rapport à la religion, etc. Et sur le plan des réformes, c’est aussi le lieu où le milieu des enseignants exerce une forte pression corporatiste. La réforme anglaise a permis d’assurer le financement de l’enseignement supérieur par ceux qui en bénéficient et non plus seulement par la collectivité. Les universités ne sont pas seulement des lieux d’excellence, ce sont des pôles de compétitivité, et en ce sens elles représentent des investissements sur l’avenir. Or chaque étudiant américain bénéficie de trois fois plus de ressources que les mieux lotis des étudiants européens. Il y a donc un retard que l’Europe se doit de rattraper, à la fois nationalement et collectivement.
Le retard français
Face à ce mouvement de modernisation en Europe, la France est restée à l’écart. Sa fonction publique n’a pas significativement bougé ; ses déficits ne se sont que peu réduits et sa dette augmente. Des débuts de réforme ont été entrepris en matière de retraite et de santé, mais en deçà des besoins, le consensus politique a été inexistant et l’éducation reste un lieu de blocage. Pourtant, les performances économiques du pays sont honorables, ses facteurs d’attractivité restent forts pour les investisseurs étrangers, sa croissance est l’une des meilleures en Europe.
S’il y a urgence, c’est que le fonctionnement de notre État-providence ne répond plus aux nécessités du temps. Qu’il dépense mal, qu’il gâche des ressources, qu’il entretient des sinécures et qu’à l’arrivée nous en souffrons collectivement et individuellement. Collectivement parce que l’État se clochardise, mettant en péril notre contrat social, endettant nos enfants et ruinant notre compétitivité par rapport à nos partenaires et concurrents ; individuellement parce que nous sommes conscients de la dégradation de certains services publics.
3/4 terme, ce sont les plus démunis qui seront les victimes d’un système à deux vitesses, si l’État n’évolue pas.
Pour sauver les principes et les valeurs de l’État-providence, il faut le réformer. Pour cela, il faut des outils et nous commençons à en disposer : grâce à la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) notamment, mais aussi forts de l’expérience de tous les pays qui nous entourent. Mais ces outils doivent être utilisés. Pour cela, l’enjeu est politique : il nous faut inventer les règles d’une démocratie réconciliée dans toutes ses générations et ses classes sociales, avec la politique contractuelle dans la gestion du marché du travail, avec une mondialisation économique dont les émules sont en Chine, en Inde ou au Brésil, avec la dynamique d’une société ouverte s’appuyant sur les leviers des nouveaux savoirs et des nouvelles technologies et avec une Europe qui complète et soutient l’action individuelle des pays membres. C’est du reste la conclusion du rapport Sapir de 2003 qui souligne la trop grande faiblesse du budget communautaire, soit le vingtième du budget fédéral américain.
Lénine demandait « Que faire ? » Nous en sommes plutôt au stade du « Comment ? » Tout Premier ministre pourrait commencer ses entretiens avec un panneau accroché au-dessus de son bureau où serait écrit : « Ne me dites pas ce que je dois faire. Je le sais déjà. Dites-moi plutôt comment. » Il y a en effet aujourd’hui peu de réformes à entreprendre qui soient en panne par ignorance. Ce qui fait défaut, c’est la volonté et la méthode.
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