© Sébastien Loiseau

Bernard SPITZ

Président de la Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA).

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L'assurance-vie doit rester un moteur de l'économie

Il est essentiel d'encourager l'investissement à long terme pour assurer le bon développement des entreprises et de l'économie. Produit d'épargne préféré des Français, l'assurance-vie doit être stabilisée.

L'équation économique que la France et la zone euro doivent résoudre est redoutablement complexe : comment désendetter les agents économiques - collectivités publiques comprises - sans enclencher une spirale récessive infernale ? Les difficultés actuelles des pays du sud de l'Europe nous montrent que le chemin est étroit.

La pire des erreurs serait d'obérer l'avenir en sacrifiant l'investissement. La France a longtemps délaissé l'épargne et l'investissement au profit de la consommation. Cette « politique de la demande » a montré ses limites et elle contribue à expliquer le retard d'investissement accumulé en France au cours des années 2000 ; retard qui pèse aujourd'hui sur notre compétitivité.

La priorité doit aujourd'hui aller à l'investissement, et tout spécialement à l'investissement long. C'est la condition nécessaire de l'emploi et de la croissance de demain, et c'est également la condition d'une sortie de crise.

L'horizon du long terme

Il y a donc tout lieu de se réjouir de la volonté du président de la République et du gouvernement de placer le long terme en tête des priorités de la politique de l'épargne et de l'investissement.

D'abord, parce que tout le monde y gagne et, au premier chef, les entreprises : une politique de l'épargne et du patrimoine favorisant l'épargne longue signifie la mise à disposition, essentiellement par le biais des investisseurs de long terme, de ressources stables, propices à leur développement et permettant de conduire des projets nécessitant la prise en compte d'horizons de longue durée (innovation).

Ensuite, parce que les modalités de financement de l'économie française évoluent à marche forcée. Les banques sont contraintes de réduire la taille de leurs bilans. Lorsque la croissance repartira, les entreprises pourront-elles trouver les ressources nécessaires ? Comment éviter de tuer dans l'oeuf la reprise ? Dès aujourd'hui, les modalités de financement des entreprises doivent évoluer et se diversifier. L'endettement doit aussi passer par le marché : c'est l'obligataire. L'assise financière des entreprises doit également être renforcée : ce sont les fonds propres.

Le soutien de l'assurance aux entreprises

Nous connaissons le modèle de transformation bancaire (utiliser des dépôts courts pour offrir des crédits longs), mais nous sommes moins familiers avec celui de l'assurance, alors qu'il participe tout autant à l'irrigation financière du tissu économique français.

La logique assurantielle est assez simple : c'est grâce à l'épargne de long terme que les investisseurs institutionnels - que sont les assureurs - peuvent investir à horizon long. Le métier de l'assureur est avant tout de protéger. Cette capacité colossale de financement de l'économie en est l'heureuse conséquence. Le modèle économique de l'assurance repose en effet sur le « cycle de production inversé » : l'assureur recueille d'abord des primes et indemnise ensuite des sinistres ou verse des prestations. Dans l'intervalle, des montants considérables sont confiés aux assureurs et sont placés dans l'intérêt de l'assuré, pour une durée moyenne supérieure à dix ans. L'assuré perçoit l'essentiel des produits financiers dégagés. 1 881 milliards d'euros : tel est le montant des placements des assureurs dans l'économie. Plus de la moitié de ces sommes (56 %) est constituée d'investissements dans les entreprises : principalement des obligations (38 points), mais aussi des actions (16 points). Au total, ce sont donc 1 053 milliards d'euros de financements obligataires ou en fonds propres que les assureurs mettent à disposition des entreprises. Cette part consacrée à l'économie productive a d'ailleurs crû depuis une décennie, passant de 50 % en 2003 à 56 % aujourd'hui.

Malgré la crise, la part des actions dans les placements reste substantielle, avec 16 % des placements des assureurs, soit 300 milliards d'euros. Et là encore, malgré la crise, les assureurs ne se sont pas désengagés du financement des PME et entreprises de taille intermédiaire (ETI). Les engagements des assureurs à leur égard s'élevaient à environ 42 milliards d'euros en 2012, soit le double des financements offerts par Oséo. L'essentiel de ces financements étaient réalisés sous la forme d'investissement en capital dans le non-coté (24 milliards d'euros), ces placements étant trois fois plus importants qu'en 2003. Aujourd'hui, la stratégie de financement des PME et ETI par les assureurs se diversifie : développement du financement obligataire, dynamisation de la cotation des PME et ETI. En 2012, plusieurs initiatives ont déjà abouti, comme les fonds Nova 1 et Nova 2. L'année 2013 verra la naissance d'un grand fonds obligataire soutenu par la Caisse des dépôts et consignations et les assureurs. En outre, près d'un tiers des placements des assureurs (31 %) soutient la dette publique. Les assureurs sont ainsi les premiers détenteurs domestiques de la dette publique, avec près de la moitié des obligations de l'État détenues par les résidents (41 %).

Tous placements confondus, les assureurs consacrent 42 % de leurs investissements à l'économie française et plus de 90 % à la zone euro, dans un marché financier européen très ouvert. Ils jouent donc pleinement leur rôle de soutien à l'économie française.

L'économie française a la chance de pouvoir compter sur un secteur de l'assurance solide, dont les placements représentent des montants proches de ceux des encours de crédits bancaires. Cette chance repose à la fois sur un modèle économique orienté vers le long terme et sur un support d'épargne lui aussi à horizon long : l'assurance-vie.

Et c'est à l'assurance-vie, principalement, que nous devons cette capacité massive de financement des entreprises et des collectivités publiques. Avec 1 391 milliards d'euros d'encours, elle est le produit d'épargne préféré des Français.

Elle joue en France le rôle économique que jouent les fonds de pension dans d'autres pays. Pilier de l'épargne de long terme des ménages, elle immobilise une épargne constituée principalement pour la préparation financière de la retraite. Elle donne ainsi aux assureurs la possibilité d'investir massivement et durablement dans les entreprises, y compris sous forme de participations au capital. L'assurance-vie est le deuxième mode de détention d'actions par les ménages, devant les actions détenues avec les organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) et les actions cotées directement détenues. Contrairement aux idées reçues, une grande partie des placements en actions de l'assurance-vie sont permis par le « fonds euros » : par son biais, les assureurs détiennent 138 milliards d'euros de titres en fonds propres (soit plus que le PEA).

Éviter un krach réglementaire et fiscal

Formidable atout au bénéfice des entreprises et plus largement du financement de l'économie, l'assurance-vie est fragilisée. Pour la première fois, en 2012, la collecte nette annuelle a été négative (moins 3,4 milliards d'euros). En comparaison des encours, c'est certes très faible, et la collecte annuelle reste substantielle. Mais le contexte financier incertain et la crise économique modifient les comportements des ménages et font peser des interrogations sur la capacité de la France à renforcer son potentiel d'investissement et de croissance.

Dans le débat permanent sur la fiscalité de l'épargne, la priorité doit donc aller à la stabilité. C'est la stabilité qui crée la confiance, et c'est la confiance qui permet de s'engager dans la durée. L'assurance-vie et l'économie française n'ont pas besoin d'un choc fiscal qui affaiblirait la capacité des assureurs à financer le long terme. Le bien commun que constitue l'assurance-vie doit être préservé : car ce qui est en jeu, c'est notre capacité collective à financer les entreprises, y compris les PME et les entreprises de taille intermédiaire, et à préparer la croissance de demain. Bien sûr, on peut faire mieux pour renforcer la capacité de financement de l'économie productive par l'assurance. Des évolutions réglementaires sont ainsi possibles, et ce, sans novation fiscale, sans grand bouleversement.

Veillons aussi à préserver le modèle d'investisseur de long terme des assureurs. C'est tout l'enjeu de Solvabilité 2, pilier de la régulation européenne de l'assurance dans les prochaines années. Ce nouveau cadre de régulation ne doit pas handicaper la capacité de l'assurance française et européenne à financer l'économie, sauf à accepter que l'Europe et la France provoquent le premier krach réglementaire de l'Histoire et, ce faisant, qu'elles se privent d'un levier indispensable à la croissance et à l'emploi dont elles ont tant besoin.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2013-3/l-assurance-vie-doit-rester-un-moteur-de-l-economie.html?item_id=3315
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