L’expérience néo-zélandaise
Le gouvernement travailliste actuel entreprend une nouvelle réforme de son secteur public, en tirant
les enseignements de celle opérée à partir de 1984 avec un moindre succès qu’on l’imagine en général .
De 1984 à 1999, la Nouvelle-Zélande a traversé une période de réforme importante de son secteur public. Visant principalement à une amélioration de
l’efficacité de l’État et de la transparence, cette réforme a suscité d’importantes difficultés et eu de considérables répercussions sociales. En 1999, les fonctionnaires étaient deux fois moins nombreux que quinze ans plus tôt. Les rapports quotidiens des citoyens néo-zélandais avec
l’administration centrale s’en sont trouvés irréversiblement modifiés. Pourquoi le gouvernement s’est-il lancé dans une entreprise d’aussi vaste envergure ? Et, plus de vingt ans après, la réforme du secteur public néo-zélandais se solde-t-elle par une réussite ?
Les causes de la réforme
Divers facteurs se sont conjugués pour créer des conditions favorables à une énorme vague de réformes. Au début des années 1980, après un déclin relatif entamé dès le milieu des années 1950, la Nouvelle-Zélande est au bord de la crise économique. Les chocs pétroliers des années 1970 l’ont mise à mal, et elle ne peut plus compter sur le Royaume-Uni pour absorber la totalité de ses exportations agricoles. Le chômage, qui atteint
7 % en 1983, ne cesse de s’aggraver. La croissance du PIB en valeur constante par habitant ne s’élève qu’à 1,15 % par an entre 1976 et 1984, et la dette publique nette passe de 9 % du PIB en 1976 à 41 % au milieu des années 1980. Au début des années 1980, l’OCDE classe le pays vingtième sur ses vingt-quatre membres, pour le niveau de vie.
En 1984, confronté à une grave crise financière, le gouvernement travailliste nouvellement arrivé au pouvoir doit adopter des mesures énergiques. Il dévalue de 20 % le dollar néo-zélandais, qui flotte désormais sur le marché des changes. Il déréglemente les marchés financiers. Il supprime graduellement les subventions accordées aux producteurs, et ouvre les marchés de produits à un surcroît de concurrence interne et externe. L’État diminue les impôts sur le revenu tout en instaurant une taxe à la consommation.
Le gouvernement adopte une attitude tout aussi radicale vis-à-vis du secteur public. Celui-ci doit avoir un champ d’action mieux délimité, et reposer davantage sur les mécanismes du marché, via la sous-traitance, les privatisations et d’autres formes d’évolution vers un fonctionnement commercial.
Transparence et cohérence :
de la théorie à l’action
Les concepts de transparence et de cohérence servent de base à l’organisation de la réforme. Celle-ci consiste, d’abord, en une redéfinition du rôle de l’État, qui ne doit plus intervenir là où les collectivités locales ou le secteur privé s’avèrent plus efficaces. En second lieu, il est décidé que les entreprises nationales réalisant des ventes (fourniture de gaz ou d’électricité, par exemple) fonctionneraient mieux avec une structure alignée sur celle des entreprises privées.
En outre, la réforme clarifie les fonctions des ministères. Les conflits d’intérêts au sein d’une même administration sont identifiés et, autant que possible, éliminés. On distingue les unités chargées d’élaborer des politiques de celles qui les exécutent, ainsi que les fonctions commerciales et non commerciales. Enfin, la direction des services est désormais tenue responsable, dans une large mesure, de l’efficacité de leur fonctionnement et des résultats obtenus, l’État n’exerçant plus qu’un contrôle limité sur l’affectation des ressources. Ces quatre principes vont soutenir la réforme du secteur public néo-zélandais.
Quels ont été les moyens employés ?
La réforme menée en Nouvelle-Zélande se caractérise par son ampleur et sa rapidité. Le gouvernement s’est d’abord attaqué aux aspects structurels, selon un processus dit de corporatisation : il remplace des administrations d’envergure considérable et établies de longue date, par des state owned enterprises (SOE)1, sociétés appartenant à l’État mais poursuivant une activité commerciale sous la direction d’un conseil d’administration.
Ensuite, la fonction et la forme des structures centrales du gouvernement ont été remodelées. On a séparé l’élaboration des politiques de la prestation de services. Ainsi, le ministère du Logement devient distinct de l’entreprise nouvellement créée pour gérer le parc d’habitations publiques. Après soixante-quinze ans d’administration centrale, les cadres supérieurs du secteur public sont désormais individuellement responsables auprès de leur ministre de tutelle.
L’impact des réformes de 1984
Les réformes dans lesquelles la Nouvelle-Zélande s’est lancée en 1984 ont eu un profond impact. Le gouvernement travailliste actuellement en place admet que ses prédécesseurs en ont sous-estimé les répercussions sociales. Le dégraissage soudain de la fonction publique a entraîné une brutale (quoique brève) montée du chômage. Ses prestations se sont, elles aussi, radicalement transformées. Les petites collectivités rurales ont subi de plein fouet les conséquences de la création des sociétés nationales, accentuées par un facteur extérieur, l’effondrement du cours des matières premières en 1991. Les bourgs de campagne ont vu disparaître les services financiers de la Poste, par exemple. Cela s’est souvent accompagné d’une montée disproportionnée du chômage, les principaux employeurs en zone rurale, chemin de fer et secteur forestier notamment, faisant eux aussi l’objet de restructurations.
En raison de son envergure et de sa rapidité, le programme de réformes ne pouvait susciter qu’une adhésion limitée de la part de l’opinion publique. Selon certains commentateurs, le sentiment d’aliénation et d’impuissance éprouvé par une vaste partie de l’électorat a contribué à ce qu’il se prononce en faveur de la représentation proportionnelle du gouvernement, pour limiter son aptitude à s’engager dans des réformes d’un pragmatisme draconien sans le consulter au préalable.
Le processus de réforme néo-zélandais a engendré une baisse de confiance de l’opinion publique envers le gouvernement, la fonction publique et les partis politiques, alors que les élites politiques et les observateurs internationaux le considèrent comme une réussite.
Des regrets ?
Le gouvernement travailliste actuel, au pouvoir depuis 1999, a identifié et cherché à résoudre les conséquences involontaires des rapides réformes lancées par la précédente équipe travailliste en 1984, et poursuivies par les administrations successives. En 2003, un rapport de l’OCDE indiquait que les réformes instrumentalistes, comme celles entreprises par la Nouvelle-Zélande, pouvaient avoir des effets imprévus sur la conduite de l’État dans son ensemble.
La décentralisation budgétaire des ministères et administrations a permis des gains en efficacité et en productivité. Mais elle s’est aussi traduite par une macro-efficacité insatisfaisante et par un cloisonnement des mentalités, d’où un manque de coordination d’une administration à l’autre. Les efforts de clarification de leurs fonctions respectives ont eu pour effet
d’éliminer un bon nombre de conflits d’intérêts ; mais ils ont aussi engendré une prolifération de petites unités à vocation unique.
L’une d’elles, la Building Industry Authority (BIA), faisait à l’origine partie du ministère des Travaux publics, désormais démantelé. Précédemment destinée à faire appliquer le code de la Construction inclus dans la loi de 1991 (Building Act), elle a été réintégrée en novembre 2004 dans un nouveau ministère de la Construction et du Logement, aux attributions plus vastes. En effet, de nombreux propriétaires de maisons nouvellement construites avaient signalé de considérables problèmes : bien qu’ayant fait l’objet d’inspections par la BIA, celles-ci étaient mal isolées contre les intempéries. Un rapport, commandé par la BIA pour identifier les causes du phénomène – bientôt baptisé « Syndrôme de la maison qui prend l’eau » –, en conclut que le Bâtiment était « un domaine trop complexe pour qu’on le laisse dépendre à ce point des forces du marché » et que « l’important déséquilibre consommateur/fournisseur justifiait et rendait nécessaire un surcroît de contrôle réglementaire ». Dans cette réintégration de la Building Industry Authority au sein d’un ministère, certains commentateurs virent l’aveu tacite que la décentralisation ne tient pas toujours ses promesses.
Ainsi, le passage de la centralisation à une
gestion autonome a donné aux administrations une forme plus proche de l’entreprise, tout en les rendant plus attentives aux objectifs gouvernementaux. Mais ce modèle a également favorisé des décisions expéditives ou à courte vue.
Gestion stratégique
Pour pallier ces problèmes, le gouvernement a mis en place en 1993 une politique de « gestion stratégique » de son administration publique. S’inspirant de la méthode employée par la Commission des services de l’État pour informer ses responsables des objectifs prioritaires du gouvernement, les ministres ont défini des secteurs prioritaires pour l’ensemble de leur portefeuille. Ces « domaines de résultats stratégiques » (Strategic Result Areas, SRA) reflétaient une vision à plus long terme des efforts gouvernementaux.
En 1998, le système de gestion stratégique a été remis à plat, le cabinet établissant dix priorités, à charge pour quatre équipes de ministres d’accomplir des progrès mesurables dans chacun de ces domaines. On créa trois nouveaux « super-ministères ».
Le gouvernement travailliste actuel a adopté une vue plus globale du secteur public, une « méthode du tout ». À son accès au pouvoir, il a entamé une seconde vague de réformes, moins spectaculaires. Fondé sur les conclusions de travaux menés en 2001 par une commission consultative, ce deuxième volet place au premier plan les résultats et le citoyen ; autrement dit, il tend à une efficacité accrue, mais pas au détriment de l’intérêt général2.
La seconde vague de réformes
Le premier train de réformes s’était déroulé sans consultation du public. La population néo-zélandaise n’avait été informée qu’après-coup de la décision de transformer radicalement les rôles et fonctions des administrations. Aujourd’hui, il n’en va plus de même. Toute réforme majeure se double désormais d’une campagne d’information.
Le public (la société civile) joue aussi un rôle de plus en plus important dans l’élaboration des réglementations menant vers des réformes. Les principaux groupes d’intérêt y participent étroitement, au moyen de « documents de débat » et d’actions « sur le terrain », où les politiques viennent à la rencontre des intéressés. De plus, les citoyens prennent une part active dans le fonctionnement parlementaire, via des commissions restreintes, qui, sous leur influence, modifient souvent les propositions de loi.
La Nouvelle-Zélande avait enclenché sa première vague de réformes du secteur public en 1980 dans le cadre d’un programme de fond, destiné à extraire le pays de sa crise économique. En une période où ses exportateurs devaient faire face à la réalité d’un marché international non faussé par des aides structurelles ou par un accès préférentiel à un débouché unique, les services de l’État étaient dans l’obligation de devenir plus transparents et efficaces et d’assumer leurs responsabilités. Rétrospectivement, il est généralement admis que le rythme et l’envergure de ces bouleversements – réalisés sans consultation publique – ont miné la confiance que la société civile accordait à ses politiques. Le gouvernement travailliste en place s’est fixé pour priorité de la regagner, en faisant en sorte que l’efficacité et la productivité des services publics néo-zélandais, loin de s’y opposer, aillent de pair avec les intérêts et les attentes du contribuable.
- Le système des SOE a parfois fait l’objet de critiques, les ministres conservant un droit de décision final en matière de stratégie, de structure du capital et d’investissement ; en outre, les SOE n’ont pas accès aux marchés boursiers. Mais ce modèle est maintenant bien établi et il n’est prévu de privatiser aucune des 23 entreprises commerciales détenues à 100 % par l’État néo-zélandais.
- Au cours des cinq dernières années, le taux de croissance a été en moyenne de 3,85 % par an. La dette publique est contenue à 9,1 % du PIB. Le taux de chômage s’élève à seulement 3,6 % et l’inflation reste dans les objectifs fixés par la Banque centrale, entre 1 et 3 % chaque année.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2005-5/l-experience-neo-zelandaise.html?item_id=2633
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