Lars NORDGREN

Professeur associé à l'université de Lund (Suède).

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Santé publique : la Suède fixe les délais

Le modèle suédois de soins de santé repose sur une organisation largement décentralisée des soins, mais aussi sur une garantie nationale des délais d'attente dans les établissements publics qui donne des résultats en amélioration.

La loi suédoise relative aux services de santé et de médecine prévoit que les soins médicaux doivent être dispensés équitablement à la population 1 et selon ses besoins. Ils doivent également être accessibles à tous les citoyens. Ces soins doivent être contrôlés de manière démocratique et financés par la solidarité, c'est-à-dire par l'impôt, avec un coût limité pour les patients (en moyenne, en 2013, entre 14 et 28 euros pour une consultation de généraliste et entre 25 et 40 euros pour un spécialiste). Si l'État s'est davantage impliqué récemment dans la réglementation et le contrôle des soins de santé au moyen de politiques et de planifications nationales, l'organisation suédoise des soins de santé est encore considérée comme décentralisée, et les vingt conseils de comté (comprenant trois régions et une municipalité) s'autogouvernent 2. Les arrangements ou concessions consentis aux conseils de comtés contribuent à maintenir l'autonomie locale 3.

Décentralisation et regroupements

La responsabilité des soins de santé est partagée entre le gouvernement national, les conseils de comté et les 290 municipalités. Les conseils de comté sont responsables des soins de santé dits primaires et des soins spécialisés (soins aux patients hospitalisés et en consultation externe), et leur action est coordonnée avec celles des autres conseils de comté au sein de régions sanitaires pour les soins dits régionaux. Les municipalités ont la charge des soins de longue durée pour les personnes âgées et les personnes handicapées, ainsi que des soins psychiatriques de longue durée. Au total, on dénombre 8 hôpitaux régionaux, 65 hôpitaux généraux et plus de 1 000 centres de soins de santé primaire. On observe en Suède une tendance à la fusion des hôpitaux, qui se regroupent en centres médicaux structurés et efficaces. Trois fusions d'hôpitaux universitaires (Sahlgrenska, Karolinska et Skane) ont été menées à bien entre 1996 et 2011 et ont permis de renforcer leur spécialisation. Des fusions ont également été entreprises au niveau des hôpitaux généraux.

La qualité des soins de santé est mesurée par un compte rendu national de la qualité et des résultats, qui est transparent et doit être disponible pour tous les citoyens. Un système de « registres de qualité » nationaux a été mis en place au cours des dernières décennies. On dénombre environ 70 registres et quatre centres de compétence, qui bénéficient d'un financement central. Ces registres de qualité ajoutés aux études scientifiques ont constitué la base de la bonne qualité des soins de santé en Suède. Il existe deux registres en orthopédie qui ont été constitués, comme les autres registres de qualité, en coopération avec les structures universitaires de soins de santé. La Suède dispose de très bons résultats médicaux en termes de chirurgie de la hanche et du genou, grâce aux travaux scientifiques effectués dans les structures universitaires de soins de santé.

La question des délais

Dans le débat sur la santé publique en Suède, la question de la qualité du service et de la disponibilité des soins, qui n'ont pas été suffisamment développés en regard de l'augmentation des coûts, est fréquemment soulevée. Les politiciens et la presse généraliste considèrent que les délais d'attente pour les soins et les traitements sont trop longs et que les choix des patients sont limités. Les études internationales comparant les délais d'attente et apportant des preuves de la performance de la Suède sont peu nombreuses : seule une poignée d'études basées sur des enquêtes auprès de patients, d'hôpitaux ou du public en général ont inclus la Suède. Si elles ont trouvé globalement que les délais d'attente y sont relativement longs, elles concluent que les résultats médicaux sont bons. Quant à la compilation de données sélectionnées présentées dans un rapport récent de l'Association suédoise des collectivités locales et régionales (Salar) 4, elle ne suggère pas, comme il a été précédemment allégué, que le système suédois de soins de santé offre une disponibilité beaucoup plus limitée que dans d'autres pays.

Une garantie nationale de délai d'attente

De manière à développer le service aux patients et la disponibilité des soins, le libre choix des soins de santé fondé sur un système de récépissés et la garantie nationale d'une durée d'attente limitée ont été mis en oeuvre, et leurs objectifs ont été atteints ces dernières années. La Suède a fait d'importantes réformes du marché des soins de santé et de privatisation des pharmacies, en particulier les réformes de libre choix. Elles ont, entre autres effets, augmenté le nombre de pharmacies et de centres de soins de santé primaires situés à proximité de la population, ce qui ne veut pas dire pour autant que cette augmentation soit une garantie de meilleure qualité.

Depuis l'adoption en 1992 de la première garantie sur le délai d'attente des soins, un certain nombre de tentatives ont été menées pour réduire les délais d'attente dans le cadre de la politique nationale des soins de santé. Dans un effort pour améliorer l'accessibilité, l'Association suédoise des collectivités locales et régionales et le gouvernement ont convenu de mettre en place une garantie nationale de délai d'attente qui a pris effet le 1er novembre 2005. La garantie a été intégrée le 1er juillet 2010 à la loi sur les services de santé et de médecine. Les garanties promises sont résumées dans le slogan « 0-7-90-90 ». Les nombres représentent la quantité de jours pendant lesquels un patient doit attendre avant de bénéficier d'un soin dit « primaire » (0), d'une consultation médicale (7 jours), d'une consultation chez un spécialiste (90 jours), et enfin d'un traitement (90 jours), ce qui représente un maximum de 187 jours. On estime cependant que les patients connaissent encore mal ces règles, et il semble que les informations sur la qualité des différentes options de traitement leur soient difficilement accessibles 5.

Stimulation financière

La disponibilité des soins s'est récemment améliorée à la suite de la mise en place d'une réforme fondée sur une stimulation financière intitulée « Kömiljarden », qui prévoit que le traitement doit être administré dans les 60 jours (au lieu de 90 pour respecter la garantie des soins) et octroie en contrepartie des aides aux collectivités qui obtiennent les meilleurs résultats. Neuf patients sur dix bénéficient désormais de soins dans les limites établies par la garantie de soins, et la disponibilité approche les objectifs nationaux. Selon la dernière mesure réalisée en octobre 2012, 93 % des patients devant rencontrer un médecin généraliste ont pu être reçus dans un délai de 7 jours. Dans la plupart des conseils de comté (16 sur 20), 90 % des patients ont obtenu leur rendez-vous dans le délai prévu par la réglementation, ce qui représente une amélioration par rapport à 2006. De plus, les délais d'attente pour les soins spécialisés dans les hôpitaux ont chuté après la mise en place de la garantie sur le délai d'attente et grâce à la réforme Kömiljarden, qui a donc contribué à réduire les listes d'attente. Un résultat obtenu en s'appuyant également sur la « roue de garantie des soins », qui décrit l'interaction des mesures parallèles dans plusieurs sphères d'activité, notamment les indications médicales, le développement de procédures et le traitement des orientations. Il convient toutefois de reconnaître que, comparés à l'offre des assurances-maladie privées, les délais d'attente restent élevés et la disponibilité des soins doit encore s'améliorer pour permettre un accès équitable aux soins.

  1. La Suède compte 9,5 millions d'habitants. Plus de 70 % de la population est urbaine.
  2. Mio Fredriksson, « Between equity and local autonomy », Acta Universitatis Uppsalaiensis, Uppsala, 2012.
  3. Par « arrangements », on entend les règlements non juridiquement contraignants, tels que les recommandations, les accords et les déclarations.
  4. Sveriges Kommuner och Landsting (Salar), « Swedish waiting times for health care in an international perspective », 2011.
  5. U. Winblad, K. Vrangbaek et K. Östergren,, « Do the waiting-time guarantees in the Scandinavian countries empower patients ? », International Journal of Public Sector Management, vol. 23, no 4, 2010, p. 353-363.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2013-3/sante-publique-la-suede-fixe-les-delais.html?item_id=3307
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