Robin RIVATON

Consultant en stratégie, auteur pour la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol).

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Encourager le financement des entreprises

Les entreprises françaises n'attirent qu'une partie restreinte de l'abondante épargne des ménages. Il est donc important de favoriser l'allocation des ressources à destination d'investissements productifs, source de richesse future. Pour cela, il faut d'urgence lancer une concertation nationale autour du financement des investissements industriels et promulguer les décrets d'application du livret d'épargne industrie.

Alors que les débats sur la compétitivité de l'économie française se suivent et se répètent, les solutions conjoncturelles qui en ressortent se limitent souvent à explorer la seule facette du coût du travail. Pourtant, la création de richesse résulte de la rencontre du travail et du capital.

Bien que la fourniture du capital pour les activités d'investissement, communément désignée sous le terme de « financement de l'économie », soit entrée dans le dictionnaire des acteurs politiques, les mesures proposées actuellement ne s'avèrent pas à la hauteur des enjeux qui devraient bouleverser l'épargne et l'investissement dans les années à venir.

Un retard majeur d'investissement

Au regard d'une comparaison internationale et européenne, il apparaît que la France souffre d'un retard majeur en termes d'investissement des entreprises. Si le niveau de formation brute de capital fixe (FBCF) reste dans la moyenne des autres pays de l'OCDE, il reste trop dépendant du niveau d'investissement des administrations et des ménages. L'investissement des entreprises qui correspond à la valeur des biens durables utilisés pendant au moins un an à travers le processus de production est trop faible. Dans un contexte de réduction des dépenses publiques conjuguée à une hausse des prélèvements obligatoires, l'investissement des entreprises doit être considéré comme un axe central de la stratégie de croissance de l'économie nationale. Ce retard d'investissement se traduit plus particulièrement dans le secteur manufacturier. Or, la compétitivité de l'industrie française passe au moins autant par la qualité des outils de production, leur modernité, leur degré d'automatisation que par la réduction du coût du travail.

L'investissement des entreprises peut prendre plusieurs destinations : actifs incorporels comme les brevets ou les marques ; actifs corporels comme les terrains, les bâtiments et les machines. Le taux en machines et équipements est particulièrement intéressant, car il reflète mieux les décisions d'investissement des entreprises manufacturières, celles-ci y jouant un rôle plus important que dans le taux d'investissement global qui est, lui, principalement tiré par les services marchands et le commerce. La France accumule un retard au long cours depuis plusieurs décennies. En effet, notre taux d'investissement en machines et équipements est l'un des plus faibles de l'OCDE, représentant 6,1 % du PIB. Dans une comparaison entre la France et l'Allemagne, le taux d'investissement en machines et équipements rapporté au PIB accuse un écart de 2 %, celui-ci ayant été très régulier au cours de la dernière décennie.

Il n'est donc pas étonnant que le retard d'investissement soit si fort dans le secteur industriel. Si aucune statistique ne permet de connaître l'obsolescence réelle de l'appareil de production français, les professionnels du secteur font souvent état d'un parc de machines très vétuste, largement amorti et qui s'est peu à peu coupé des canaux d'exportation pour se replier sur le marché national. D'après le rapport final des États généraux de l'industrie, le déficit d'investissement dans l'industrie en France est estimé à 100 milliards d'euros. Il s'agit notamment des industries lourdes où les investissements en capital matériel fixe sont à long terme. Ainsi, alors qu'il a été le lieu principal des gains de productivité au cours des décennies 1990 et 2000, le secteur industriel ne représente que 20 % du volume de l'investissement en France pour l'année 2011, à l'intérieur duquel les secteurs des biens d'équipement et du matériel de transport comptent respectivement pour 38 % et 29 %.

Une politique d'investissement conservatrice

L'investissement se décline aussi sous une facette qualitative : renouveler, moderniser ou accroître sa production. L'impact sur la croissance de l'activité économique dépend également de la nature des décisions qui ont conduit le chef d'entreprise à investir. Alors que la compétition internationale s'accroît et réclame un investissement de plus en plus important dans des équipements plus performants, l'industrie française a tendance à adopter un comportement conservateur en déclassant de moins en moins d'équipements et en essayant de prolonger la durée de vie des machines existantes. Ainsi, le nombre d'entreprises ne déclassant aucun équipement dans l'année, qui était de 18 % sur la période 1991-1996 et de 19 % sur la période 1996-2001, est passé à 25 % entre 2001 et 2006 et même à 30 % entre 2006 et 2011. Si la crise de 2009 a sans doute eu un impact, les autres périodes ne sont pas non plus exemptes de cycles de récession ou de ralentissement (1993, 1996, 2002, 2003). Les raisons mêmes du déclassement témoignent de ce comportement très prudent, puisque le déclassement d'un équipement ancien à la suite de l'acquisition d'un nouvel équipement plus performant représentait 38 % des causes de déclassement sur la période 1996-2001, contre seulement 28 % sur la période 2006-2011, soit une baisse de plus de dix points.

L'équipement en robots industriels permet d'illustrer ce phénomène. Au début de l'année 2012, la France ne comptait que 34 500 robots en activité, contre 62 300 en Italie, 157 200 en Allemagne et 29 900 en Espagne. L'écart avec nos concurrents européens s'accroît, seulement 3 050 robots ont été installés en France en 2011 quand l'Allemagne en ajoutait six fois plus (19 500) et l'Italie 5 100. Même l'Espagne, en crise, a installé plus de robots (3 091) que la France. Cette robotisation, véritable révolution industrielle en puissance, ne concerne d'ailleurs pas que les pays riches, puisqu'en 2012 la Thaïlande devrait installer 25 % de plus de robots industriels que la France, alors que la production manufacturière y est deux fois et demie plus faible.

Le défi : financer l'investissement

Au-delà des aspects psychologiques qui entrent en compte dans ce retard d'investissement, il s'agit de comprendre les déterminants économiques de ce blocage. Au premier chef figure la problématique du financement.

Le financement des entreprises provient soit de ressources internes, et donc du réinvestissement des profits antérieurs, soit de ressources externes par l'allocation de l'épargne des ménages et du crédit bancaire. Si l'étude de la situation financière des petites et moyennes entreprises et industries (PME-PMI) françaises, les plus concernées par les problématiques de financement, se montrait satisfaisante, le niveau de fonds propres atteignant la moyenne européenne, elle révélait un affaiblissement croissant de leur rentabilité et donc une menace directe sur l'autofinancement à moyen, voire à court terme.

En ce qui concerne l'épargne des ménages, force est de constater que celle-ci s'oriente vers un nombre assez réduit de produits et ne permet pas de répondre aux besoins d'investissement. D'abord, et de manière assez logique, l'immobilier représentait au 31 décembre 2011 plus des deux tiers du patrimoine des Français. Le reste de l'épargne constitue l'épargne financière, dont le montant a plus que doublé entre 1995 et 2010 mais dont la palette de placements s'est rétrécie. Elle est surtout marquée par une forte aversion au risque et privilégie donc les placements liquides aux rendements faibles mais certains. Ainsi, au troisième trimestre 2011, plus de 68 % de l'épargne financière des particuliers était placée en actifs non risqués, encouragés par une fiscalité quasi nulle. Les dépôts et livrets fiscalisés, et leurs homologues défiscalisés auxquels appartiennent le livret A, le livret de développement durable et le livret d'épargne populaire, représentaient un tiers de cette épargne. 65 % des sommes collectées étaient allouées au fond d'épargne de la Caisse des dépôts, qui n'en prêtait que 55 % pour le logement social et l'équipement, le reste étant placé de manière sécurisée sur les marchés, notamment en dette souveraine. Le livret A était plébiscité pour sa facilité d'utilisation, mais au final les encours restaient concentrés puisque, selon l'Observatoire de l'épargne réglementée, à la fin de l'année 2011, 9 % des livrets représentaient 43 % des encours totaux. Le principal pilier de l'épargne longue en France reste l'assurance-vie, qui représentait 1 362 milliards d'euros d'encours à la fin de 2011.

L'épargne des ménages trop peu orientée vers les entreprises

Certains de ces placements ne sont que des réceptacles avant un investissement final dans une classe d'actifs, il faut donc les rendre transparents. Cette opération révèle alors que la tendance forte des quinze dernières années a été la diminution du financement à destination des entreprises françaises, qui captaient 43 % de l'épargne des ménages en 2000 contre moins de 38 % dix ans plus tard, au profit d'une hausse des investissements en dette d'États de la zone euro essentiellement. En outre, sur ces 38 %, seulement les deux tiers environ ont la forme d'actions cotées (138 milliards, dont 126 pour les entreprises françaises) et non cotées (497 milliards), montrant ainsi la faiblesse de l'investissement en capitaux propres dans les entreprises. Au final, les entreprises françaises n'attirent qu'une partie restreinte de l'abondante épargne des ménages.

En outre, le rôle des banques est en train d'évoluer sous la contrainte des réglementations bancaires. Celles prises dans le cadre de Bâle III, dont la mise en oeuvre est - on peut le regretter - circonscrite à l'Europe pour l'instant, vont profondément remettre en question le modèle économique des banques, les contraignant à réduire le volume de crédits, en augmenter le coût et réduire l'horizon de financement. Alors que ces règles constituent un risque important de frein au crédit bancaire, l'allocation adéquate de l'épargne des ménages se révèle d'autant plus prégnante.

Repenser les canaux d'allocation de l'épargne

Les acteurs politiques doivent décider quels secteurs méritent d'être financés et en assumer les conséquences futures, car les mouvements en cours déploieront leurs effets sur des temps longs. Bien que le rapport Gallois ait préconisé que « l'épargne soit orientée vers des placements de longue durée en actions », présentant ce changement comme « le complément indispensable du choc de compétitivité », les récentes augmentations du plafond du livret A, dont la collecte est aux deux tiers destinée au logement social et à la politique de la ville, soulèvent de profondes interrogations, quand on sait qu'en janvier 2012 les ressources excédaient déjà de 75 milliards les prêts accordés. L'épargne des Français n'allant pas soudainement s'envoler, tout mouvement vers le livret A se réalise par transfert depuis d'autres produits d'épargne, notamment l'assurance-vie. Le renforcement de l'attractivité se fait donc au détriment du financement des entreprises, alors que celles-ci en ont cruellement besoin pour assurer la mise à niveau de leur appareil de production. Il semble prioritaire de favoriser l'allocation des ressources à destination d'investissements productifs, sources de richesse future.

Pour cela, il faut d'urgence lancer une concertation nationale autour du financement des investissements industriels et promulguer les décrets d'application du livret d'épargne industrie, à la seule destination des investissements industriels et notamment des décisions d'automatisation. Plutôt qu'une aide directe, sous forme de subventions, il s'agit plutôt d'offrir aux chefs d'entreprise qui auront franchi le cap de la décision d'investissement les ressources nécessaires pour la mettre en oeuvre grâce à un fonds consacré à l'automatisation. Ce fonds qui pourrait prêter sous forme de produits de dette mais aussi de produits donnant un accès conditionné au capital - et qui devrait s'incarner dans la Banque publique d'investissement - ne sera utile que s'il parvient à rétablir un circuit court de financements à long terme à destination des PME-PMI, avec des coûts d'intermédiation réduits.

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