Loïc AUBRÉE

Directeur du Cresge, Université catholique de Lille.

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Commerces et services : les acquis de Roubaix

Après plus de trente ans de politique de la ville et de volonté municipale forte, la situation s'est améliorée à Roubaix en termes de commerces et de services. Mais il demeure difficile de considérer deux enjeux parfois contradictoires : satisfaire les besoins d'une frange importante de la population ayant de faibles revenus et attirer une clientèle extérieure au pouvoir d'achat plus élevé.

Roubaix est une ville de près de 100 000 habitants située dans une agglomération (la Métropole européenne de Lille) qui compte un million d'habitants. Elle s'est développée au XIXe siècle autour de l'activité textile, puis au XXe avec la vente par correspondance. Elle connaît aujourd'hui des difficultés importantes à la suite de la désindustrialisation des années 1970-1980 et de la crise de la vente par correspondance. Une part élevée de la population est affectée par le chômage et dispose de revenus faibles.

Néanmoins, Roubaix compte des atouts : un patrimoine architectural hérité de la période d'essor économique, une vie associative dense (comités de quartier...) et une tradition de dialogue social. On peut citer la création, en 1943, du 1 % logement, avec une organisation paritaire associant patronat et syndicats.

Sur le plan commercial, Roubaix a également connu son heure de gloire jusqu'à la fin des années 1960. Plusieurs artères commerciales comportant une offre diverse et de qualité drainaient la population de Roubaix et des communes voisines. Des magasins d'usine liés à la vocation textile de la ville attiraient, et c'est encore vrai aujourd'hui, une clientèle de l'ensemble de l'agglomération lilloise, voire au-delà.

Au cours des années 1980, la situation de la ville s'est fortement détériorée avec des conséquences de plusieurs natures : augmentation du chômage, diminution des revenus et du pouvoir d'achat, recul de l'attractivité commerciale, dégradation de l'habitat, en particulier du parc privé 1, augmentation de l'insécurité, départ des classes moyennes.

Cinq quartiers prioritaires dès 1982

Dans ce contexte, dès l'émergence des dispositifs relevant de la politique de la ville, la ville de Roubaix a constitué un terrain d'expérimentation. Dès 1982, cinq quartiers étaient concernés par la nouvelle procédure de développement social des quartiers (DSQ). Ainsi, depuis plus de trente ans, la politique de la ville et de renouvellement urbain structure l'intervention publique avec des formes et des modalités d'action qui ont varié au cours du temps, en fonction des orientations des politiques nationales et des volontés locales.

Les principales étapes ont été : la période expérimentale du DSQ, puis la mise en place, en 1994, du grand projet urbain (GPU) de Roubaix-Tourcoing, la création en 1997 d'une zone franche urbaine, le lancement, en 2001, du grand projet de ville Lille Métropole, et enfin la conduite, à partir de 2004, d'opérations de renouvellement urbain.

Roubaix a été une ville-laboratoire, suscitant l'intérêt de militants, de professionnels, de chercheurs... En 1982, le quartier de l'Alma-Gare, à Roubaix, constituait un terrain d'innovation depuis déjà une dizaine d'années : création d'un atelier populaire d'urbanisme afin de contribuer de façon significative à la définition du projet architectural et urbain de ce nouveau quartier, émergence de l'idée de régie de quartier... La politique de la ville s'est traduite à Roubaix par des orientations et des modalités d'action qui la distinguent des autres sites. Le caractère massif des difficultés affecte tous les quartiers, y compris le centre-ville. Les enjeux de rénovation et d'aménagement concernent tout autant les quartiers d'habitat privé ancien que les immeubles collectifs d'habitat social. Il est alors nécessaire de développer des projets importants en matière d'habitat, d'aménagement urbain et aussi de développement économique et de création de grands équipements, afin d'inverser la tendance et de permettre à Roubaix de retrouver une attractivité, au sein de l'agglomération lilloise et au-delà.

Restaurer l'attractivité commerciale

René Vandierendonck, maire de Roubaix de 1994 à 2012, a voulu un projet ambitieux pour sa ville et a plaidé pour que la politique de la ville inclue une intervention forte sur le centre-ville, considérant que cela était nécessaire pour améliorer la situation des quartiers. Il a souhaité restaurer l'attractivité commerciale en faisant venir une « locomotive » (les magasins d'usine McArthurGlen), un hypermarché et en réaménageant deux places ainsi que la rue commerçante les reliant (Espace Grand'Rue). L'arrivée, à cette époque, du métro (aménagement d'une deuxième ligne desservant le versant nord-est de l'agglomération) a également changé le paysage, tant en matière d'aménagement que d'accessibilité.

Pour restaurer l'attractivité, l'ambition du maire était de faire de Roubaix une ville créative, numérique et culturelle, prolongeant ainsi un mouvement impulsé par son prédécesseur, André Diligent. En 1993, les Archives nationales du monde du travail ont emménagé dans une ancienne filature, suivies, en 2001, par le musée d'art et d'industrie la Piscine et, en 2004, par la Condition publique. Dans un lieu emblématique du patrimoine industriel roubaisien a été créé, à l'occasion de Lille 2004 Capitale européenne de la culture, ce nouvel équipement où se rencontrent habitants et artistes en résidence.

Si le musée la Piscine constitue un levier important de communication et d'attractivité pour la ville et si le centre MacArthurGlen a trouvé sa clientèle au-delà des limites de celle-ci, le bilan est plus réservé pour l'hypermarché et l'Espace Grand'Rue. Ces derniers, ayant une zone de chalandise moins étendue, ne trouvent pas avec la population roubaisienne un réservoir suffisant en nombre d'acheteurs et en montant d'achats.

Les exemples de la rue de l'Épeule et du quartier des Trois-Ponts

En plus de cette intervention forte en faveur du réaménagement du centre-ville et de la création de nouveaux équipements culturels, la politique de la ville s'est traduite, dans le champ des commerces et des services, par une série d'interventions qui ont concerné bon nombre de quartiers. Deux exemples paraissent intéressants : l'appui à la redynamisation des commerces de la rue de l'Épeule et la création d'une maison des services, puis d'une première mairie de quartier, aux Trois-Ponts.

La rue de l'Épeule est une des grandes rues commerçantes de la ville. Elle a été affectée, comme d'autres rues de Roubaix, par la récession industrielle (diminution du pouvoir d'achat) et des mutations importantes de l'activité commerciale (développement de la grande distribution et de pôles commerciaux en périphérie). On a ainsi recensé 29 friches sur 116 commerces que comptait cette rue. La Ville de Roubaix, la société d'économie mixte (SEM) Ville renouvelée et le GPU Lille Métropole ont mobilisé des moyens importants pour la redynamiser.

Cette action a été intégrée dans le dispositif européen Urban, déployé, à partir de 1996, dans plusieurs quartiers de Roubaix et de Tourcoing. La SEM est intervenue pour la rénovation des cellules commerciales, des façades, des trottoirs et des espaces publics. Dans le même temps, des actions de formation ont ciblé les commerçants. Cet épisode a donné lieu à un débat sur l'identité de la ville et son implication dans le positionnement commercial.

Deux points de vue étaient défendus : permettre à Roubaix d'assumer sa dimension multiculturelle et son caractère de « ville monde » ; ou bien restaurer les commerces de qualité des années 1960 gérés généralement par des Roubaisiens « de souche ». La deuxième option a été privilégiée à l'époque et s'est traduite par un investissement plus important dans la partie de la rue proche du centre et du Colisée, les commerces arabes ou asiatiques étant implantés dans la partie plus excentrée de la rue.

Aujourd'hui, toujours pour des raisons de faible pouvoir d'achat 2, tous les commerces redynamisés avec l'appui de l'intervention publique n'ont pu se maintenir, laissant généralement la place à des commerces « ethniques » offrant des produits africains, asiatiques ou antillais à la population habitant dans le quartier ou plus éloignée.

Le deuxième exemple est emblématique de ce qu'a pu faire Roubaix en matière de développement des services susceptibles d'améliorer la vie quotidienne de la population de l'ensemble des quartiers de la ville. Le quartier des Trois-Ponts est un ensemble HLM situé dans l'est de la ville. En 1994, a été mis en place un groupe d'amélioration des services publics qui a rassemblé de nombreux organismes proposant des services et a débouché sur un projet de création d'un équipement commun. Un immeuble de logements a été transformé en maison des services afin de regrouper dans un même lieu, à partir de 1998, un certain nombre de services et de les rendre plus accessibles pour les habitants du quartier. Ont été ainsi regroupés de manière permanente ou dans le cadre de créneaux horaires délimités, des antennes du CCAS, de la CAF, de la CPAM, de Pôle emploi, de La Poste...

Cette opération a été considérée comme exemplaire ; elle a pu être conduite à une période où les différents services publics, fortement sollicités par la Ville, avaient la capacité de s'engager dans ce type d'opérations. Étant donné le coût et la complexité de celle-ci, il n'a pas été possible de la reproduire, avec la même ampleur, dans d'autres quartiers de la ville de Roubaix. Néanmoins, la politique d'implantation des services dans les différents secteurs de la ville s'est poursuivie avec la création de mairies de quartier et le développement d'agences postales. Il existe aujourd'hui cinq mairies de quartier accueillant différents services de la ville (état civil...), ainsi que des permanences de la CAF, de la CPAM, du département...

Au cours de la dernière décennie, le quartier des Trois-Ponts a fait l'objet de nouvelles interventions dans le cadre du projet de rénovation urbaine (PRU). Plusieurs opérations de démolition-reconstruction ont été réalisées. Elles ont été accompagnées d'actions relatives aux commerces et aux services. Un centre commercial comportant une dizaine de cellules a été démoli et remplacé par un nouvel ensemble en pied d'immeuble. Un magasin discount s'est installé, encouragé par la Ville. Celle-ci a répondu favorablement à une demande des habitants de création d'un marché hebdomadaire. Des interventions ont concerné également des équipements de service : création d'un pôle multiaccueil petite enfance, rénovation d'une salle polyvalente, amélioration des locaux de la maison des services...

Quel bilan ?

Après trente années d'intervention publique à Roubaix, on peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. Beaucoup de moyens humains et financiers ont été mobilisés pour des effets qui ne sont pas toujours à la hauteur des résultats escomptés, mais qui ont permis d'améliorer la vie quotidienne de nombreux Roubaisiens. Les efforts qui se poursuivent en matière de développement économique et de cadre de vie ne parviennent pas, pour l'instant, à faire revenir les classes moyennes à Roubaix. Réunir les conditions pour préserver les commerces de proximité constitue, dans cette optique, un enjeu important. La création d'une fonction de city manager permettrait d'accompagner les commerçants pour le développement ou le maintien des activités, avec des actions relevant à la fois de l'animation et de la réflexion stratégique. L'existence de l'association Commerces et quartiers - qui fédère les unions commerciales de la ville - constitue un point d'appui possible. Pour cela, il apparaît important d'intégrer une vision large du territoire et de considérer le rôle social joué par les commerçants.

La dynamique des villes en transition trouve des échos à Roubaix avec des projets et des réalisations en matière de citoyenneté, d'agriculture urbaine, de monnaie locale, de gestion des déchets. Si les interventions lourdes en matière d'aménagement d'équipements, de voiries et d'espaces publics contribuent à améliorer l'image de la ville, les habitants de Roubaix ont aussi besoin d'actions plus légères, parfois informelles, susceptibles de maintenir le lien social.

  1. La ville de Roubaix compte, comme bon nombre de communes de l'agglomération lilloise, des formes d'habitat spécifiques héritées de la période industrielle : maisons ouvrières étroites, sur deux niveaux, alignées en front de rue ou formant des courées en cœur d'îlot ; mais également des maisons bourgeoises spacieuses.
  2. On a observé au cours de la dernière décennie un maillage de la ville par des enseignes discount dont l'installation était parfois facilitée par la municipalité, qui voyait là une opportunité de réinvestir certaines emprises de petite taille peu adaptées pour des opérations immobilières plus ambitieuses.
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