© Aurélien Gaudet

Pierre DELVAL

est criminologue et criminaliste. Président de la Fondation WAITO (World Anti-Illicit Trafic Organization), il est conseiller pour la lutte contre la contrefaçon auprès de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et expert auprès des Nations unies sur le crime-contrefaçon.

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Contrefaçon : mieux armer les PME

Le fléau de la contrefaçon touche les entreprises de toutes tailles. Si les pouvoirs publics français semblent désormais mobilisés dans la lutte contre la contrefaçon, les PME doit être vigilantes et dénoncer les pratiques illicites dont elles sont victimes.

Le 10 décembre 2013, les ministères français chargés du commerce extérieur et des PME ont signé la charte « PME sans contrefaçons » à l'occasion de l'assemblée générale du Comité national anti-contrefaçon (Cnac). Créée à l'initiative du comité régional Lorraine et du Comité national des conseillers du commerce extérieur de la France (CNCCEF), cette charte a pour objectif de mobiliser tous les acteurs de la lutte contre la contrefaçon afin de soutenir les PME victimes de ce fléau ou susceptibles de l'être dans leur stratégie à l'export.
Pour les ministères signataires, la mise en place de cette plate-forme répond à un véritable besoin de la part des PME qui, bien que maillons essentiels de l'économie française, ne recourent selon eux que trop peu aux outils de la propriété intellectuelle, faute d'informations. Mais le dépôt de titres de propriété intellectuelle fortement suggéré par le CNCCEF suffit-il à se protéger des contrefaçons ? Ne faut-il pas étendre ce risque à d'autres infractions, tout aussi préjudiciables, voire dangereuses pour la survie des petites et moyennes entreprises et que l'on nomme « contrefaçons élargies » ?

Près d'une PME sur deux

Selon une enquête réalisée par la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), fin 2011, les entreprises étaient régulièrement confrontées à la contrefaçon. Parmi elles, 43 % avaient déclaré avoir subi la contrefaçon d'un de leurs produits et 36 % s'étaient vu proposer des produits contrefaisants. Parmi les canaux privilégiés de vente des contrefacteurs, Internet devenait leur meilleur support puisque 46 % des entreprises interrogées reconnaissaient avoir découvert la contrefaçon d'un de leurs produits sur la Toile et que 32 % d'entre elles avaient été également la cible, par ce canal, de propositions commerciales de marchandises illégales. Les marchés forains étaient aussi dénoncés par 33 % de ces petites et moyennes entreprises. Mais c'est surtout au niveau des salons professionnels que se profilait la menace de vente en masse de produits contrefaisants. C'est ainsi que 21 % des PME s'étaient aperçues qu'un de leurs produits avait été contrefait.
Depuis cette enquête, la tendance ne s'est pas inversée. Bien au contraire. Et les chefs d'entreprise interrogés soulignent toujours le manque de sanctions envers les contrefacteurs, leurs difficultés à mener une action au niveau international pour poursuivre le fraudeur, le manque d'informations sur les produits contrefaisants, la nécessité de renforcer la mutualisation des connaissances en matière de propriété intellectuelle ainsi que la mise en place d'un service de veille approprié, et ils souhaiteraient une meilleure prise en compte du coût de la protection (brevet, marque, etc.), notamment au niveau international. De même, pour les dirigeants interrogés, le « brevet unitaire » reste un enjeu crucial. Dans ce domaine, la CGPME n'a cessé de réaffirmer sa demande de « création d'un brevet "unitaire, économique et compétitif" permettant aux PME de valoriser leurs innovations avec, en parallèle, la création d'un système juridictionnel clair, rapide, efficace, accessible et à un coût raisonnable ».

Des menaces internationales

Bien qu'inquiétant, ce constat semblerait surmontable s'il ne se plaçait qu'à ce niveau. Or, c'est compter sans l'évolution internationale des trafics illicites, qui fait du droit de la propriété intellectuelle un outil de moins en moins adapté aux réalités criminelles du moment. De fait, la France et plus généralement l'Europe éprouvent les plus grandes difficultés à appréhender correctement les nouveaux enjeux et en particulier les nouvelles menaces. Pour le criminologue Xavier Raufer, la situation est claire : « Par convenance, paresse ou facilité, on se contente trop souvent de préparer non pas la guerre qui vient, mais celle que l'on a connue et dont on pense qu'elle va se reproduire sous la même forme. Ce qui constitue une erreur majeure. » C'est ainsi que les PME font partie de ces victimes qui espèrent, selon l'Union des fabricants (Unifab), que le renforcement tout récent de la loi sur la lutte contre la contrefaçon promulguée le 11 mars 2014 1 va pouvoir enfin contrer les organisations criminelles. Quelle méprise !
Alors que les opérations coup de poing coordonnées par les organisations internationales se multiplient, le trafic de la contrefaçon progresse inexorablement, dans une conjoncture économique favorable aux réseaux mafieux.
Comment peut-on concilier le développement d'un commerce mondial et les modalités de lutte contre un trafic illicite comme la contrefaçon ? L'exemple de l'Union européenne montre la complexité d'un trafic qui dépend grandement de la volonté politique des États. L'aspect supranational du trafic impose la coopération des États membres à l'échelle de l'Union européenne. Le fait que, récemment, la contrefaçon soit devenue une des priorités de l'Europe des 28 prouve la prise de conscience et l'implication grandissante des autorités publiques sur le sujet. Disposant de conventions, de traités et d'outils de coopération variés, les services de sécurité ont des moyens multiples au niveau opérationnel et dans l'échange d'informations. Néanmoins, du fait des difficultés engendrées par l'inexistence d'une harmonisation pénale, la coopération entre les services répressifs est déterminée par la volonté politique des États membres. Et c'est là que le problème se pose. Ces États semblent être coopératifs uniquement s'ils y trouvent un intérêt. C'est encore plus flagrant dans la lutte contre la contrefaçon, tant les intérêts sont divergents en la matière. Il s'agit pour certains d'harmoniser les législations pénales pour lutter efficacement contre la contrefaçon dite « élargie » tandis que d'autres estiment que les législations sont suffisantes mais malheureusement pas appliquées. Si l'UE maintient une certaine pression sur ses 28 membres par les directives qu'elle incite à appliquer, les États à l'échelle du monde ont peu de contraintes vis-à-vis du droit de la propriété intellectuelle ou de la contrefaçon en général. Les accords internationaux sur la protection des droits intellectuels, conclus sous la tutelle de l'Organisation mondiale du commerce, ne sont guère coercitifs, et les organismes chargés de la contrefaçon n'ont que peu de force de dissuasion. Pour les pays en voie de développement, la contrefaçon contribue à leur croissance et la perception de cette infraction y est évidemment différente. Dans un tel contexte, les organisations criminelles ont pris leur envol puisque, avec un maximum de profits et un minimum de risques, elles spolient les PME par une concurrence déloyale sans vergogne et développent leurs réseaux de vente vers professionnels et consommateurs.

Les risques des produits non conformes

À la contrefaçon s'ajoutent dorénavant les produits techniquement non conformes, souvent dangereux, mais aussi les utilisations abusives de marquages de conformité et les faux certificats d'origine, d'où la notion de « contrefaçon élargie ». La responsabilité pénale, faute de démonstration du contraire, est dorénavant engagée pour les chefs d'entreprise. Ces dernières années, les industries mécaniques, les industries électriques et électroniques et les industries du travail des métaux en ont fait la douloureuse expérience et réclament plus de contrôles sur les droits de propriété intellectuelle, plus d'usage de technologies anticontrefaçons, plus de sécurité au niveau des achats de pièces détachées, plus d'opérations de surveillance et de sensibilisation durant les foires-expositions.
À l'inverse, de nombreuses sociétés de la filière des constructeurs d'équipements pour l'industrie ignorent la contrefaçon ou ne la considèrent pas comme une menace sérieuse pour leurs affaires, préférant croire que c'est un problème dont souffrent les autres mais qui ne les touche pas personnellement. De nombreuses raisons sont invoquées pour justifier une telle attitude, telles que « nous sommes trop petits », ou « nous ne vendons que sur des marchés que nous connaissons bien et avec l'aide d'agents en qui nous avons confiance ». De tels arguments sont souvent utilisés comme excuses pour éviter d'affronter le fait que si vous mettez sur le marché un produit qui remporte du succès et que vous avez développé une réputation, même sur un petit commerce de niche, vous êtes susceptible, soit par votre marque, soit par le dessin et le modèle de votre produit, d'être la victime d'un contrefacteur.
Bien qu'il soit décisif pour un fabricant de ne choisir que des agents honnêtes et sérieux, une minorité de distributeurs déloyaux vendent des faux ou des équipements contenant des pièces non conformes à l'insu de leurs fournisseurs. Cette minorité gangrène sérieusement le marché. Ainsi, il faut rappeler que, dans le domaine électronique, les cas de contrefaçon de circuits et de systèmes électroniques sont passés, au niveau mondial, de 324 en 2009 à 1 363 en 2011, et atteindraient plus de 6 000 cas en 2013.
Dans le domaine des abrasifs, sur quinze stands de disques diamants (abrasifs) contrôlés à l'avant-dernière édition du salon Batimat, en 2011, onze exposaient des produits non conformes selon les constats d'huissier dressés à la demande du Syndicat national des abrasifs et super abrasifs (SNAS) et du Syndicat des équipements pour construction, infrastructures, sidérurgie et manutention (Cisma). Des chiffres qui font froid dans le dos, le disque diamant pour le bâtiment étant un produit complexe qui peut se révéler dangereux s'il est défectueux ou mal utilisé et qu'il éclate. Au salon Batimat 2013, des produits exposés se sont révélés à nouveau non conformes pour défaut de marquage, ce qui peut paraître anodin, mais faute d'information l'utilisateur peut se servir de son disque pour un usage non prévu et dangereux pour sa sécurité.
Si la non-conformité des produits pose souvent un problème de sécurité, elle devient également une question économique de distorsion de concurrence. Par exemple, la directive « équipements sous pression », qui impose un marquage CE, ne s'applique pas aux produits utilisés sur les réseaux d'eau, qui n'ont donc pas besoin du marquage pour être commercialisés. Non seulement les fabricants se trouvent démunis face aux non-conformités, mais ils peuvent être victimes de « petit malins » qui apposent sur leurs produits un faux marquage CE, considéré par les clients comme un gage de qualité. Avec la crise et la recherche systématique du prix le plus bas, le phénomène ne fait que s'amplifier.

Une prise de conscience

Les pouvoirs publics ont-ils conscience des enjeux de la « contrefaçon élargie »? On pourrait le croire si l'on en juge par de multiples actions de l'État menées en 2013. En effet, nous observons avec satisfaction, depuis quelques mois, une relance des évaluations et des études relatives à la propriété industrielle, à la non-conformité des produits importés et à la lutte contre la contrefaçon.
Un signe d'espoir pour tous ceux qui considèrent qu'il est urgent de dépasser les blocages et les insuffisances des systèmes de protection et de surveillance actuels afin de mieux répondre aux attentes des entreprises et des titulaires de droits. Dans cette optique, une analyse de la politique publique de lutte contre la contrefaçon a été confiée à l'été 2013 à la Cour des comptes, en traitant notamment de la pertinence des dispositifs législatifs et réglementaires français et des moyens mis en oeuvre pour la faire respecter. À cette occasion, les rapporteurs ont consulté nombre d'organisations professionnelles et en particulier la Fédération Française du Bâtiment (FFB) ainsi que son Observatoire contre les trafics illicites des matériaux et des équipements, l'Octime 2. Leur rapport a été adopté par la deuxième chambre de la Cour des comptes le 26 mars 2014. Les recommandations remises aux ministres compétents seront rendues publiques et mises en ligne prochainement sur le site de la Cour des comptes.
De même, le ministère du Redressement productif a lancé, au printemps 2013, un appel d'offres pour une étude intitulée « Produits français concernés par la concurrence déloyale de produits non conformes ». Il s'agit d'identifier les produits importés non conformes à la réglementation qui concurrencent directement les produits industriels français. Cette cartographie va permettre de mesurer l'impact économique de cette concurrence déloyale et de mieux cibler les programmes de surveillance du marché.
Enfin, le cabinet Fidal Innovation mène actuellement une étude comparée, pour le compte de la Direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services, des montants des dommages et intérêts accordés par les juridictions françaises, allemandes et anglaises lors de procès pour contrefaçon, ainsi que des politiques publiques menées par les trois États dans ce domaine. Les informations obtenues permettront d'évaluer les déficits du système actuel et de formuler des préconisations pour améliorer l'arsenal législatif français, à la lumière des expériences étrangères. L'avis des compagnies d'assurance sera d'une importance capitale à l'issue de cette étude.
La préoccupation des pouvoirs publics est une chose, l'action en faveur d'une réelle protection des PME contre les menaces de « contrefaçons élargies » en est une autre. Or, les PME sont au contact des réalités. Elles sont directement menacées. Elles doivent donc observer et signaler. À charge ensuite pour l'appareil d'État d'agir. Mais il paraît important que les fédérations qui défendent les intérêts des PME par filières soient proactives et qu'elles s'interrogent sur les types de menaces auxquelles elles vont se trouver confrontées à l'horizon 2020. Elles doivent d'autant plus se prendre en main que l'État a de moins en moins de ressources et qu'il se désengagera à moyen terme de beaucoup de secteurs. Si l'entreprise veut perdurer face au fléau de la contrefaçon, elle doit inciter sa fédération à mobiliser ses forces vives.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2014-7/contrefacon-mieux-armer-les-pme.html?item_id=3426
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