est criminologue et criminaliste. Président de la Fondation WAITO (World Anti-Illicit Trafic Organization), il est conseiller pour la lutte contre la contrefaçon auprès de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et expert auprès des Nations unies sur le crime-contrefaçon.
Crime-contrefaçon : les dangers des produits « bon marché »
Les marchés licites, l'équilibre économique, l'équité sociale sont minés par les multiples délits que sont les contrefaçons dangereuses et les fraudes alimentaires, touchant tout particulièrement les consommateurs en quête de produits « bon marché ». Une stratégie globale s'impose.
Jusqu'à présent, aucun dispositif censé lutter contre la contrefaçon, la fraude ou la contrebande n'est réellement parvenu - à quelques exceptions près - à remplir son objectif majeur : assurer l'accès de tous à des produits économiquement acceptables, tout en garantissant leur intégrité et leur conformité d'origine ainsi que technique. Ce sont plus de 2 milliards de consommateurs de par le monde qui souffriraient de troubles liés à des produits « non sûrs », « fraudés » ou contrefaits, source de profits considérables pour les organisations criminelles internationales et les mafias locales. Pour la seule activité de contrefaçon des produits de grande consommation et de contrebande du tabac, le chiffre d'affaires total de ces trafics illicites potentiellement dangereux atteindrait 300 milliards d'euros en 2010. Quant au marché pharmaceutique, des centaines de milliers de patients meurent chaque année des suites de traitements pratiqués avec de faux médicaments vendus à bas prix, sous ou surdosés, ou tout simplement placebos.
La sûreté des produits de consommation courante représente un enjeu économique considérable. Or, le problème est que, depuis quelques années, de multiples incidents (fraude alimentaire, contrefaçon de jouets, accidents dus à des pièces détachées ou à des équipements électriques non conformes ou contrefaits, faux médicaments et cosmétiques) ont éveillé les doutes des consommateurs. Pour comprendre de tels phénomènes, il convient d'expliquer les fondements des politiques de sécurité en matière de lutte contre la contrefaçon, la contrebande et la fraude des produits de grande consommation. Mais également d'en évaluer l'impact sur les acteurs des filières agroalimentaires, pharmaceutiques, cosmétiques et industrielles (équipements électriques, pièces détachées et jouets).
Des risques grandissants
« La globalisation du crime est et sera probablement un sujet transversal majeur du XXIe siècle 1. » Si les trafics illicites ont toujours existé, ils ont développé une dimension transnationale dans le sillage de la mondialisation et à la faveur de la fin du rideau de fer. Dans ce contexte, du simple citoyen aux autorités gouvernantes, tout le monde est concerné par les risques du développement des flux illicites. Les risques de contrefaçon résultent de la capacité à tromper le consommateur en copiant à l'identique la partie visible d'un produit et sa marque. Passée à un stade industriel, cette contrefaçon est massive et difficilement contrôlable. De nombreux décès de par le monde rappellent l'évidence de cette menace en termes de sécurité et de santé publiques : en 2005, selon la Commission américaine de sécurité des produits à la consommation (CPSC), quelque 73 000 enfants de moins de 5 ans ont été hospitalisés en urgence en Amérique du Nord après avoir manipulé des jouets contrefaits « bon marché ». En 2007, la Russie détenait le record du nombre d'accidents d'avion causés essentiellement par des défaillances de pièces détachées contrefaites à moindre coût avec 8,6 crashs par million de vols, soit treize fois la moyenne mondiale. Toujours pour 2007, l'Organisation mondiale de la santé confirme le décès en Russie de 40 000 personnes intoxiquées par de la vodka frelatée bon marché, dont une partie était vendue sous des marques de renom. Quant aux équipements électriques, les 12 millions de pièces saisies par les douanes de l'Union européenne en 2006 présentent des anomalies techniques contraires à toute norme de sécurité en vigueur.
Mais la grande évolution de la criminalité contemporaine est sans nul doute la convergence des délits. Ainsi, il n'est plus rare de constater des recoupements entre fraude et contrefaçon ou entre contrefaçon et contrebande. C'est le cas du tabac. L'explosion durant ces dernières années des risques majeurs pour le consommateur liée directement à la convergence des délits entre fraude alimentaire, détournement de conformité technique, contrefaçon et contrebande est souvent niée. L'insécurité relative aux produits de grande consommation est généralement qualifiée de « fantasme ». Le criminel est excusé et le discours de négation du crime-contrefaçon s'accompagne des sempiternelles accusations de « stigmatisation du chaos social ». La France, comme beaucoup d'autres États membres de l'Union européenne, en est malheureusement la démonstration flagrante, avec une volonté farouche de refuser l'évidence, « dans l'intérêt de la nation », et surtout pour une protection sans cesse rehaussée d'un droit de la propriété industrielle trop souvent inadapté face au risque consommateur.
Risque perçu et risque réel
Dans les États de l'hémisphère Nord, il persiste un décalage certain entre la réalité scientifique des risques et la mesure qu'en font les consommateurs. Il existe en fait une double nature du risque. Le risque réel, tel que défini par les statisticiens, est la probabilité d'un effet inverse pour la santé et la sécurité d'un produit de grande consommation. Ce risque peut être calculé à partir d'un environnement social, structuré administrativement, juridique ou calculé à partir de critères scientifiques de santé publique.
La seconde définition du risque est liée à la subjectivité : le risque est apprécié, non pas en fonction des tables statistiques, mais selon une probabilité estimée par le sujet, en fonction de ses propres critères. Il s'agit dans ce contexte des « risques perçus ». C'est ce type de risque qui est déterminant dans le comportement du consommateur. L'écart entre risque réel et risque perçu est tel aujourd'hui qu'aucun sujet de fond sur les risques cités précédemment ne peut être traité avec sérénité et surtout avec le recul nécessaire pour prendre les décisions qui s'imposent. Ainsi, les facteurs psychologiques jouent un rôle majeur dans les prises de position. Avec la montée des doutes et des incertitudes sur le droit et son arsenal répressif supposé capable de résoudre tous les problèmes, mais qui ne parvient pas à éviter la croissance de la contrefaçon « dangereuse », les consommateurs rejettent en bloc l'argumentaire préventif de lutte contre la contrefaçon des gouvernements et des associations de titulaires de droits.
Dans les États de l'hémisphère Sud, le processus est différent. Le décalage entre la réalité du terrain et les mesures prises par les gouvernements est abyssal. Dans le domaine du faux, les marchés de l'alimentaire et des médicaments sont les axes prioritaires des organisations criminelles internationales et des mafias locales. La loi cardinale de l'offre et de la demande (à moindre coût) fait disparaître la notion de risque perçu au profit du risque réel. Les consommateurs, le plus souvent démunis, n'ont aucune perception du risque, étant déjà en situation de survie. Et les criminels, conscients de cette opportunité, prennent moins de risques à vendre des faux médicaments que des stupéfiants, le vide juridique étant en matière de crime-contrefaçon une triste réalité. Selon les affirmations d'un ancien inspecteur de Scotland Yard, désormais employé par Pfizer, un kilo d'héroïne rapporte 200 % de profit, alors qu'un kilo de placebo ou d'un surdosé d'un principe actif de Viagra acheté en Inde rapporte plus de 2 000 % de profit. Évidemment, les risques sont considérables pour les patients. Ainsi, l'OMS estime que, sur le million de personnes décédant chaque année du paludisme, 200 000 pourraient être sauvées si des médicaments authentiques étaient distribués.
Quel rôle pour l'État ?
Confronté à cette perception exacerbée du risque, l'État est obligé d'intervenir. En effet, le recours à l'État répond à une perte de confiance des consommateurs à l'égard des produits de marque mis sur le marché. La crise économique aidant, le citoyen met de plus en plus en doute le bon fonctionnement des mécanismes du marché pour assurer la conformité des produits. De plus, les populations en souffrance (chômeurs, étudiants, SDF) et la baisse du pouvoir d'achat amènent les consommateurs à rechercher des produits au plus bas prix, sans moyen de vérifier leur qualité et leur intégrité. Dans ce contexte, l'interventionnisme de l'ordre public devient vital. Mais sous quelle forme ?
Ainsi, au-delà du principe de précaution, peu enclin au courage politique, l'État sera obligé d'intervenir à terme directement sur les biens de grande consommation, les produits de première nécessité et de santé publique, ainsi que sur l'impact des produits bon marché dans cet environnement. Pour éviter des situations ambiguës, mal comprises par les consommateurs et les producteurs, et parfois suspectes, l'État n'aura pas d'autre choix que de procéder à l'application d'une politique de prévention et de dissuasion technique anticontrefaçon, antifraude et anticontrebande, basée sur la mise en place d'outils d'authentification et de traçabilité sécurisée.
Pour les opérateurs (industriels, titulaires de droits, commerçants, institutionnels), la sécurité des produits de grande consommation dépasse largement la notion de protection du droit de propriété intellectuelle. Son impact sur les consommateurs obligera progressivement les producteurs et leurs mandants à assurer plus qu'un niveau de qualité. L'intégrité des produits, leur garantie d'origine et de conformité ainsi que leur traçabilité sécurisée permettront de constituer les preuves corroboratives indispensables à l'application pénale en matière de tromperie, de faux et usage de faux, et d'atteinte à la sécurité des consommateurs. Beaucoup plus efficace que le droit de propriété intellectuelle (non couvert dans plus de 60 pays dans le monde et limité par les accords ADPIC 2 pour les pays émergents) l'application pénale au travers de l'atteinte au marquage d'autorité, existant sous différentes formes et à différents niveaux partout dans le monde, apportera un obstacle efficace face aux mafias locales et aux organisations internationales du crime.
En conséquence, on peut faire l'hypothèse à court terme que le consommateur augmentera ses exigences en termes d'information, même pour les produits bon marché, notamment sur l'appréciation des protections mises en oeuvre, et prendra conscience de la dissonance entre les messages émis par les firmes à travers la marque et les caractéristiques attendues des produits. On peut s'attendre également à une réaction forte des TPE-PME, au travers de leurs fédérations professionnelles, pour mutualiser les moyens nécessaires à la protection de leurs produits contre la fraude et la contrefaçon, ainsi qu'à une action des pouvoirs publics.
Dans cette perspective, l'un des points fondamentaux est celui de la gouvernance anticontrefaçon et antifraude, c'est-à-dire du partage des pouvoirs au sein du système de protection des consommateurs et du mode de contrôle de ces pouvoirs. En effet, pour concevoir et appliquer des politiques de prévention et de dissuasion anticontrefaçon et antifraude équitables et opérationnelles, quatre conditions sont nécessaires. D'abord, que l'ensemble des acteurs, y compris les représentants des consommateurs, soit organisé par secteur au travers de centres techniques opérationnels ou d'observatoires et dispose d'informations fiables. Ensuite, que ces centres soient des lieux de concertation rassemblant acteurs publics et privés. De même, que cette concertation débouche sur la production de règles et législations appropriables par les opérateurs de toutes tailles. Enfin, qu'il existe un dispositif de contrôle interopérable et indépendant. C'est à ce prix que la lutte contre le crime-contrefaçon apportera de vraies réponses face au crime organisé et donnera aux consommateurs le libre choix de ses achats, en toute transparence.
- Mickaël R. Roudaut, « Crime organisé : un acteur global », Sécurité globale, n° 5, automne 2008.
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TRIPS en anglais (Trade-Related aspects of Intellectual Property Rights) ou ADPIC en français (Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle touchant au commerce). C'est un accord signé en 1994 dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
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