Directeur général du Groupe 3F.
« Nous devrons diversifier nos modes de production »
Développer une offre locative à des prix abordables pour répondre à une forte demande de logements tout en construisant des bâtiments aux coûts de production élevés en raison de multiples facteurs : cette équation oblige un maître d'ouvrage comme le Groupe 3F à réexaminer certains « fondamentaux ».
Comment appréciez-vous la situation du logement ?
Yves Laffoucrière. Depuis bientôt deux décennies, les besoins en logements ne cessent d'augmenter en France. Pour répondre à la demande, les experts économiques estiment qu'il faudrait construire entre 450 000 et 500 000 logements par an pendant cinq à dix ans !
En période de récession de l'activité économique et de chômage continu, le déséquilibre persistant entre l'offre et la demande de logements entraîne des mécanismes d'exclusion des ménages à revenus modestes. Dans ce contexte, il nous faut loger à des prix abordables des ménages de plus en plus nombreux et répondre aux phénomènes grandissants de décohabitation, à l'accroissement de la population française, tout en accompagnant les mobilités professionnelles et les évolutions sociétales (familles reconstituées...) 1. À ces phénomènes s'ajoute la paupérisation d'un nombre croissant de personnes qui ont de plus en plus de difficultés à boucler leurs fins de mois.
Quelles solutions préconisez-vous ?
Y. L. Le Groupe 3F - qui appartient à Solendi-Action Logement - gère aujourd'hui un patrimoine de 195 000 logements sociaux. Il est engagé depuis six ans dans une forte dynamique de croissance de sa production. Notre politique est d'adapter notre offre aux besoins des territoires, particulièrement en zones tendues. Depuis 2006, nous avons construit 20 000 logements, soit un rythme annuel moyen de 4 000 mises en chantier. En 2009, les livraisons ont représenté 4 450 logements contre 1 800 en 2005. Ces efforts sont encore insuffisants au regard de la problématique du logement en France, mais ils ne sont pas négligeables.
En période de restriction budgétaire, il nous faut trouver d'autres ressources si nous voulons maintenir ce rythme de construction. En proposant une partie de notre patrimoine à la vente aux locataires, nous répondons à leur souhait de devenir propriétaires à des conditions intéressantes et les produits de la vente sont réinvestis dans la construction neuve. Cela permet de maintenir durablement un niveau de production très élevé. Mais, au-delà de cette politique de vente, il faudra imaginer de nouveaux modes de financement venant compléter, voire se substituer aux financements publics (État et collectivités locales).
Comment faire baisser les coûts de production ?
Y. L. Nous devrons diversifier nos modes de production en associant plus en amont nos partenaires, et obtenir des pouvoirs publics les conditions de production de terrains à bâtir plus efficaces. La question du coût du foncier est le sujet majeur, en sachant que, sur les marchés tendus, il peut représenter plus de 50 % du prix de revient d'un logement. Mais, contrairement à certaines idées reçues, il n'y a pas en France, y compris en région parisienne, de pénurie de foncier, seulement un manque de terrains à bâtir aménagés. La solution est affaire de volonté politique et de gouvernance locale. Le Groupe 3F sera toujours disposé à investir dans des opérations même complexes, dès lors que le foncier sera mobilisable après valorisation par les aménageurs.
Dans le cadre du Grand Paris, un apport massif de foncier sur une période de cinq à dix ans contribuera à une baisse des coûts de production, à condition que des équipes professionnelles fassent rapidement le travail très complexe d'aménagement indispensable.
Les coûts de construction de logements sociaux restent également élevés. Les raisons de cette situation sont bien connues : hausse du coût des matières premières et architecture insuffisamment maîtrisée. Aujourd'hui, les exigences sont multiples : construire plus et moins cher des bâtiments durables, respectueux de l'environnement, comme le préconisent les lois sur le Grenelle 1 et 2 de l'environnement. La diminution des aides publiques nous invite à repenser notre modèle et il nous faut parvenir à une plus grande maîtrise des coûts de construction. Aujourd'hui, nous constatons une certaine stabilisation des prix, voire une diminution. Il y a deux ans, le coût de construction d'un logement collectif en région parisienne était de l'ordre de 1 600 à 1 700 euros du mètre carré, contre 1 500 à 1 600 euros actuellement.
Quels peuvent être les moyens à mettre en œuvre pour aller plus loin ?
Y. L. Nous pourrions recourir à des modes de production plus industriels des logements, sans tomber dans les travers des années 1950-1960 avec la construction des grandes barres. Le recours à des composants (ossatures, salles de bain, panneaux préfabriqués) ou à des modes de production à forte valeur ajoutée hors site est un axe de progrès incontestable. La simplification et la rationalisation des plans d'architecte, tout en privilégiant une architecture pérenne et non cosmétique, permettent également des gains économiques.
Un autre moyen consiste à diversifier les procédures de marché de travaux. À côté des appels d'offres traditionnels organisés avec un concours d'architecture et un appel d'offres auprès d'entreprises, nous mettons en place des consultations pour des marchés de conception-réalisation. Nous avons lancé plusieurs opérations de ce type et les résultats sont très encourageants. Ainsi, nous produisons des logements collectifs BBC en région parisienne à 1 450 euros/m² utile. Et, dans le cadre d'une forte production nationale de produits identiques (maisons individuelles), 3F réfléchit au lancement de consultations permettant d'obtenir des marchés à commande, sur la base d'un engagement d'achat pluriannuel global. Nous définirons les bases de cette consultation après avoir mené quelques expérimentations sur des opérations en cours.
Comment intégrer le développement durable ?
Y. L. Notre objectif est de garantir une qualité durable de nos constructions et de maîtriser les coûts. L'un ne doit pas se faire au détriment de l'autre. Tous nos bâtiments neufs sont des bâtiments basse consommation (BBC), offrant ainsi des performances énergétiques sans équivalent. Le Groupe 3F a livré son premier bâtiment basse consommation à Garges-lès-Gonesse (95) en 2009. Voilà un pari réussi : proposer à nos locataires des bâtiments économes et performants avec trois ans d'avance sur la réglementation, sans nécessairement de surcoût lorsque la conception architecturale intègre cet objectif dès les premières études. Au travers de cette démarche, tous les acteurs - maîtrise d'ouvrage, maîtrise d'œuvre, entreprises - ont optimisé leur manière de travailler et professionnalisé leurs approches. Cela a porté ses fruits et personne ne remet aujourd'hui ces bonnes pratiques en question. Le prochain enjeu portera sur les bâtiments à énergie zéro. Nous conduisons actuellement un très beau projet de ce type avec la ville de Brétigny-sur-Orge (91). D'un point de vue architectural, la simplicité est un facteur de qualité et de modération des coûts. Des plans simples permettent de dégager des marges pour faire du beau. Rappelons que la valeur d'usage est essentielle : la qualité des matériaux, des prestations et des plans est prioritaire. De plus, nos bâtiments doivent venir s'inscrire dans un quartier et dans une ville. L'insertion dans le tissu urbain est une des clés de la politique architecturale et environnementale du Groupe 3F.
- Selon la dernière enquête d'occupation sociale du Groupe 3F, plus de 10 % des ménages sont des familles monoparentales et 54 % des locataires sont âgés de 40 à 64 ans. Le revenu moyen mensuel est de 2 300 euros.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2011-2/«-nous-devrons-diversifier-nos-modes-de-production-».html?item_id=3086
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