Pour une politique globale cohérente
L'ancienne ministre socialiste estime que l'ampleur de la crise du logement rend nécessaire une loi de programmation à l'initiative de l'Etat, visant à une relance du locatif comme de l'accession dans le secteur social
et passant par un vigoureux effort de construction.
Notre pays vit une grave crise du logement qui se prolonge et peut-être s'amplifie en dépit des secousses qui saisissent régulièrement l'opinion, généralement en hiver, au moment où la situation des sans-abri paraît intolérable. Emotion, parfois des annonces et des initiatives, mais la situation demeure. On pouvait espérer que la loi sur le droit au logement opposable allait changer la donne et sortir le pays de cette schizophrénie chronique où l'indignation est vite oubliée au profit d'une inertie considérable et d'une sous-estimation permanente des efforts nécessaires.
Ni le vote de cette loi, ni les sondages montrant l'importance que les Français attachent à la question du logement lors des élections présidentielles, n'ont enclenché l'indispensable mobilisation des politiques, de l'Etat et des collectivités locales. Force est de constater qu'il y a encore beaucoup à faire pour que la Nation prenne la mesure du problème et s'engage avec volonté à le résoudre. Pour cela, il ne faut pas se tromper de diagnostic et ne pas réduire la crise à la situation des SDF qui n'en est que la partie la plus visible et la plus scandaleuse. Les problèmes concernent un grand nombre de nos concitoyens, prennent des formes variées, et c'est en fédérant autour d'une politique globale cohérente y répondant de façon complémentaire et solidaire autour d'un projet commun que nous pouvons espérer, enfin, les résoudre. Pour ma part, je qualifierai ce projet, ce fil rouge de l'action publique, par le terme " l'Urbanité républicaine ".
Le logement trop cher
Quand les Français sont interrogés sur la crise du logement, près de 80 % d'entre eux disent que le logement est devenu trop cher. En moins de six ans, la part des dépenses de logement dans le budget des ménages est passée, en moyenne, de 18 % à 24 %. Pour un smicard cette part atteint jusqu'à 40 % de ses revenus ! Ces hausses concernent les locataires comme les accédants à la propriété. L'augmentation des loyers a totalement décroché de l'évolution des prix et des salaires : on annonce une certaine limitation de la hausse, mais elle demeure supérieure à l'évolution des salaires. L'écart continue de se creuser. Il faut urgemment prendre des mesures comme un moratoire sur les hausses pour restaurer un niveau raisonnable et des loyers plus conformes à la solvabilité des ménages. Certains plaideront pour laisser faire le marché. En l'occurrence, l'histoire prouve que si l'éclatement des bulles immobilières peut créer des baisses, celles-ci ne durent pas. Et très vite, les prix retrouvent leur niveau initial et leur progression. C'est pourquoi il faut une régulation publique (indice des loyers, plafonnement des hausses en cas de changement de bail, etc.), tout à la fois volontariste et permanente, mais aussi garantissant que les bailleurs toucheront effectivement chaque mois leurs loyers.
Une hémorragie de l'accession sociale
Du côté de l'accession à la propriété, les prix du foncier et de l'immobilier ont presque doublé en six ans. Du coup, les classes moyennes les plus aisées n'ont pu devenir propriétaires qu'au prix d'un allongement et d'un accroissement de leur endettement, non sans risque pour l'avenir et non sans conséquence sur la consommation et la croissance à venir ! Mais, et on le dit moins, l'accession sociale à la propriété a connu une véritable hémorragie, en particulier pour les familles gagnant moins de trois Smic. Elles étaient 330 000 chaque année dans les années 2000-2002 à accéder à la propriété et ne sont plus que 256 0000 depuis quatre ans. Ainsi, tous les ans, 70 000 familles populaires qui quittaient le locatif pour accéder à la propriété ne le peuvent plus. On voit le décalage entre cette réalité et la proclamation présidentielle du " tous propriétaires " !
Ainsi donc, la capacité à stopper la spéculation immobilière et les hausses extravagantes des prix est une urgence absolue pour toute politique du logement. Là, les outils sont plus complexes à trouver, mais on doit envisager une réforme profonde de la fiscalité des plus-values immobilières afin d'instaurer une réelle progressivité de l'impôt, voire même instaurer un seuil confiscatoire pour les hausses les plus importantes. On peut penser aussi à un encadrement ou, au moins, à un plafonnement des prix du foncier et de l'immobilier dans les secteurs les plus tendus. Il y a quelques années, la ville de Genève avait recouru à cette mesure draconienne et un récent sondage réalisé par le promoteur Nexity montre que plus de 83 % des Français sont favorables à une intervention des pouvoirs publics pour encadrer les prix des loyers et des transactions.
Une ségrégation accrue
En tout cas, cette dérive des prix a de graves conséquences. Elle rend plus difficile l'accès de nos concitoyens à un logement, elle accroît de manière alarmante la ségrégation sociale dans les villes et sur le territoire. Les efforts réalisés par la mise en œuvre de la loi SRU ou pour le renouvellement urbain afin d'assurer un meilleur brassage social risquent d'être totalement balayés par cet écrémage social par l'argent que constitue la hausse de l'immobilier, les populations modestes et moyennes étant de plus en plus rejetées plus loin du centre. Et ce mouvement est totalement opposé aux valeurs républicaines de notre pays qui refuse le communautarisme, la ghettoïsation, et promeut le " vivre ensemble ". Enfin, le prix excessif du foncier joue en défaveur de l'investissement sur la qualité du bâti et pour l'environnement.
Ainsi, les pouvoirs publics doivent prioritairement s'attaquer à la question essentielle des prix et bannir les mesures fiscales qui ne sont pas rigoureusement limitées aux besoins prioritaires et accordées sous conditions. Car sinon, outre le fait que l'argent public ne saurait être gaspillé pour des publics et des actions qui n'en ont pas besoin, ces avantages fiscaux massifs et généraux contribuent à une hausse des prix. On l'a vu avec l'avantage " de Robien " qui a accéléré le boom des prix de l'immobilier, a conduit à des aberrations, puisque dans certaines villes, ces logements sont vides car trop chers pour les populations locales. Il est fort probable qu'il en soit de même de la déduction forfaitaire des intérêts d'emprunt accordée à des familles qui n'en ont aucun besoin réel : elle risque de s'avérer bien insuffisante pour ces foyers populaires qui, hier, pouvaient devenir propriétaires et ne le peuvent plus. Cette mesure générale va soutenir les prix, favoriser les plus aisés et non pas résoudre la crise.
Construire massivement
Car la seconde constatation qui saute aux yeux de tous, est que le pays manque de logements et surtout de logements sociaux ou abordables. Il faut donc construire massivement. Construire là où les besoins sont patents, construire prioritairement du logement social, tant en locatif qu'en accession à la propriété. Nous devons construire près de 500 000 logements par an, dont près de la moitié en logements sociaux au sens large. Nous sommes loin du compte, car dans tous les créneaux de la production, c'est la gamme supérieure qui est privilégiée.
On l'a vu pour l'accession, mais c'est vrai aussi pour le locatif, et même au sein de la production HLM où la " relance " de la construction de HLM s'opère essentiellement par celle des PLS (ce qui, pour une famille avec un enfant, correspond à des ressources autour de 3,9 Smic) tandis que stagne la production de PLAi (ressources : 1,5 Smic). Et la relance est toute relative lorsque l'on compare le chiffre réalisé aux prévisions de programmation, en général retenu pour les annonces de résultats. Le réalisé plafonne autour de 50 000 logements par an, et ce depuis plusieurs années, tandis qu'est affichée une production de 80 000 logements locatifs HLM. Pire encore, si on regarde en solde net, après avoir défalqué les démolitions et les ventes, le parc HLM ne s'est accru en 2006 que de 24 000 logements locatifs. Ce rythme ne permet pas d'offrir une solution, ne serait-ce qu'à moyen terme, aux 1 300 000 demandeurs de logements sociaux en attente. Pour construire massivement, avec qualité, par petites opérations bien insérées dans l'environnement, il faut accroître l'investissement du pays pour le logement (2 % du PIB) et surtout l'aide à la pierre.
La réorientation des crédits existants est un préalable, la règle d'or doit être : pas d'aides fiscales systématiques et sans conditions de ressources ou d'usage social. Il est essentiel d'améliorer le financement des opérations, pour que les prix de sortie des loyers soient plus bas qu'aujourd'hui et que certaines opérations qui n'apparaîssent pas réalisables actuellement le soient désormais. Il conviendrait aussi d'imposer sur tout le territoire national, à l'exception des zones urbaines sensibles (ZUS) et des communes très dotées en logements sociaux, l'obligation de consacrer au moins 20 ou 30 % des opérations immobilières aux HLM. Certaines communes ont déjà pris cette mesure dans leurs documents d'urbanisme, il faudrait la systématiser.
Créer de nouveaux outils fonciers
La question foncière est essentielle, elle est rendue plus complexe avec l'explosion des prix mais aussi avec l'indispensable lutte contre l'effet de serre qui condamne l'étalement urbain. Les outils fonciers, hier pensés pour des réserves à long terme dans des secteurs vierges, doivent muter. Il faut aussi généraliser les établissements publics fonciers qui doivent être dotés de ressources plus importantes. Les droits de mutation ont constitué une manne substantielle, ces dernières années, pour les collectivités locales qui n'ont pas toutes fait des efforts en faveur du logement social. Ces droits pourraient être affectés aux établissements publics fonciers ou attribués aux HLM pour reconstituer des réserves foncières en leur assurant une grande réactivité quand un terrain se libère. Je suggère la création d'un prêt à taux zéro foncier qui serait automatiquement concédé par la Caisse des dépôts aux organismes pour la constitution de patrimoine foncier préopérationnel. Le temps est venu d'établir une grande loi foncière qui dote notre pays d'outils efficients. Les documents d'urbanisme ne peuvent plus être malthusiens et l'Etat doit imposer une absolue cohérence de leurs plans locaux d'urbanisme (PLU) et de leurs schémas de cohérence territoriale (Scot) avec la politique locale de l'habitat.
On peut aussi penser que l'urgence de la situation plaide pour une loi de programmation qui impose un objectif chiffré de logements sociaux (mais aussi de solutions d'hébergement) dans chaque communauté d'agglomération ou de communes afin d'assurer, enfin, à tout foyer vivant sur le territoire national, un logement décent. Cette loi de programmation devrait doter l'Etat de moyens nouveaux de sanction et l'obligation de faire (c'est-à-dire retrouver les compétences du permis de construire, du droit de préemption et de modification des documents d'urbanisme) en cas de défaillance des collectivités.
Améliorer le parcours résidentiel
Parallèlement à la relance du locatif, il faut assurer celle de l'accession sociale. L'idée de vendre massivement le parc HLM est une grave erreur. D'abord parce que les besoins locatifs sont immenses, ensuite parce que ce qui sera vendu sera nécessairement dans des secteurs de qualité, où la production de nouveaux locatifs sociaux est difficile et coûteuse. Or, ce parc bien situé est essentiel pour la mixité sociale. S'ajoute à cela l'idée que les sommes ainsi dégagées permettront de financer l'offre nouvelle. Il est loin d'être établi que sans apport financier nouveau ce type de reconstitution du parc puisse fonctionner, sauf à vendre à un prix du marché les logements, ce qui exclura un nombre considérable de locataires. D'ailleurs, la plupart des locataires HLM, lorsqu'ils veulent et peuvent accéder à la propriété, souhaitent plutôt le faire dans un cadre différent. Enfin, il faut en la matière se garder des positions purement idéologiques. Les pays où les gens sont massivement propriétaires sont souvent ceux où les problèmes de mal-logement s'accumulent. Le " tous propriétaires " est acquis en Albanie, en Bulgarie et plutôt dans les pays pauvres, tandis que les pays du Nord de l'Europe recherchent un équilibre entre les statuts, d'autant que chacun au cours de sa vie peut souhaiter ou devoir passer de locataire à propriétaire et réciproquement. On sait, par exemple, que les divorces modifient considérablement les conditions et les attentes de logement, le vieillissement aussi.
Recherchons l'équilibre, en améliorant la réalisation d'un véritable parcours résidentiel. Cela suppose des nouveaux financements pour l'accession des familles modestes dont les ressources sont inférieures à trois Smic, aujourd'hui bloquée par les hausses des prix. Une telle mesure aurait un effet booster immédiat : la mise en œuvre d'une TVA réduite (5,5 %) sur l'accession sociale, sous condition de ressources (c'est d'ailleurs la seule solution pour être euro-compatible) et sans doute uniquement dans les secteurs urbains pour éviter le mitage. Les coopératives HLM ont inventé une sécurisation mutualisée des accédants qui les prémunit des aléas de la conjoncture et de la vie. Le mouvement HLM prévoit la mise en place progressive d'un carnet de mobilité pour ses habitants, permettant au bailleur social d'accompagner son locataire dans la recherche de solutions logement mieux adaptées à ses besoins et ses souhaits. On pourrait attendre des pouvoirs publics des mesures de soutien comme la bonification d'un plan épargne logement pour les locataires HLM qui pourraient accéder à la propriété en libérant un logement locatif.
C'est bien en développant toutes les formes de la production de nouveaux logements abordables que nous pourrons garantir tout à la fois un véritable droit au logement pour tous et des possibilités de promotion sociale pour le plus grand nombre.
La révolution du développement durable
Nous devons par ailleurs engager une sorte de révolution dans notre habitat pour relever l'enjeu du développement durable et singulièrement celui de la lutte contre le changement climatique. La première urgence est de revoir les normes et pratiques dans la conception et l'isolation thermique de nos logements : l'intérêt de cette mesure est aussi social car les charges sont de plus en plus élevées. Au-delà de leur nécessaire renforcement, les normes thermiques ne doivent plus s'en tenir à une performance globale – d'ailleurs, peu mesurable par l'utilisateur – mais être déclinées par secteurs (huisserie, verre, aération, etc.) afin de soutenir des filières de production française et l'innovation. Cette normalisation doit associer toutes les branches d'activité et, en anticipant, assurer des gaps technologiques porteurs d'avenir et de capacité exportatrice. Il en va de même pour les énergies renouvelables, matériaux nouveaux ou naturels.
En lançant immédiatement dans chaque région des projets de maisons passives ou à énergie positive, avec un nombre d'expérimentations significatif, nous pourrions combler notre retard avec nos voisins allemands ou nord-européens. Les plus grandes difficultés se rencontrent dans l'existant et les réhabilitations. Les Suisses ont engagé un plan très ambitieux, Minergie, qui a réussi à mobiliser tous les citoyens et, en particulier les propriétaires occupants. Des spécialistes thermiques qui ont visité toutes les maisons et ont conseillé gratuitement les propriétaires sur les travaux d'économie d'énergie, les ont aidé à arbitrer, en fonction de leurs moyens, sur les investissements les plus efficients. 800 000 logements sociaux pourraient aussi retrouver une bonne performance thermique si l'Etat restaurait des crédits " Palulos " (prêts aidés aux logements à usage locatif et occupation sociale) à cet effet. Il faut de la volonté et éviter la dispersion sans perspectives communes.
Au fond, le développement durable redonne du sens au " plan " qui, selon Jean Monnet, était une ardente obligation. Nos concitoyens, les professionnels sont prêts à s'engager dans cette voie du changement. L'Etat doit le présenter comme un grand défi que notre pays est prêt à relever puis fixer le cap, fédérer les énergies, s'assurer que les objectifs sont atteints. La France a besoin de se mobiliser autour de grandes causes – le droit au logement pour tous et l'excellence dans la qualité environnementale du logement – pour que nos concitoyens retrouvent confiance en eux et dans l'avenir de notre modèle républicain.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2007-11/pour-une-politique-globale-coherente.html?item_id=2809
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