Socio-démographe à l’Ined (Institut national d’études démographiques) où il dirige l’unité de recherche « Migrations internationales et minorités ».
Immigration et besoins de logements : une équation inconnue
Quelque 220 000 personnes arrivent chaque année en France
en provenance de pays tiers. Ce chiffre ne donne qu'une idée imprécise
du nombre des logements qui leur sont nécessaires et de leurs caractéristiques. Traditionnellement, les immigrés se dirigent vers des segments spécifiques du parc, mais les données récentes manquent,
souligne Patrick Simon, pour bien appréhender l'évolution de leurs modes
de logement et les besoins qui en résultent.
On peut aborder les relations entre immigration et logement selon deux angles différents. Du point de vue du fonctionnement du marché du logement, la venue d'immigrés joue un rôle comparable à celui de nouveaux ménages cherchant à se loger. Les immigrés arrivés dans l'année s'ajoutent aux jeunes décohabitants ou aux nouveaux ménages constitués après séparations pour former la demande supplémentaire. Cependant, les ménages immigrés présentent des caractéristiques spécifiques qui les distinguent des nouveaux ménages de jeunes décohabitants. Selon qu'ils viennent rejoindre un membre de la famille, sont travailleurs isolés ou demandeurs d'asile, les modalités d'accès au logement diffèrent singulièrement, de telle sorte que le nombre total d'immigrés arrivés dans l'année ne se convertit pas intégralement en besoin de logements.
En inversant la focale, on s'intéresse aux caractéristiques de logement des populations immigrées, ce qui constitue le second axe. Il s'agit cette fois de considérer le rôle intégrateur du logement, et plus généralement de l'habitat et de l'environnement urbain, dans les trajectoires suivies par les immigrés. On sait que les immigrés sont confrontés à une dynamique de ségrégation dans des quartiers mal situés, à
l'urbanisme obsolescent et cumulant la concentration de populations en précarité sociale et une mauvaise réputation. Pendant longtemps, ils ont aussi expérimenté les marges du logement ordinaire, enchaînant bidonvilles et habitat de fortune, habitat insalubre en attente de démolition dans les centres-villes en voie de rénovation, avant d'accéder pour certains à la propriété, et pour d'autres au parc social. Dans ce second cas, ils tendent néanmoins à résider dans les fractions les moins attractives du parc, subissant une relégation qui ne semble pas s'atténuer avec le temps.
Dans des quartiers défavorisés
La plupart des travaux consacrés aux relations entre immigration et logement ont porté sur le second axe. Bien que les données fines concernant la localisation des immigrés à l'échelle du quartier, voire même de l'immeuble, ne soient pas facilement accessibles pour des raisons de confidentialité, les analyses de la ségrégation urbaine ont fourni des résultats relativement solides ces dernières années. Le rapport annuel de l'Observatoire des zones urbaines sensibles (ZUS) établit ainsi un bilan sans ambiguïté de
la forte concentration des populations immigrées dans les quartiers relevant de la politique de la ville, constat répété depuis le début des
années 80.
En revanche, les implications de l'immigration sur les besoins en matière de logement n'ont que rarement été étudiées. Les projections et modèles de microsimulation sophistiqués qui tentent de fournir des prévisions sur les besoins à venir n'incorporent pas souvent les flux migratoires internationaux dans leur jeu de variables.
Et ceci pour une bonne raison : on ne dispose pas d'estimation solide du solde migratoire annuel à l'échelle nationale. Inutile de préciser qu'obtenir un tel solde à l'échelle d'un bassin d'habitat (département, commune ou quartier) relève de la pure illusion. Il est possible néanmoins de préciser les termes de la question en fournissant quelques données du problème.
Politique d'immigration, maîtrise des flux et conditions de logement
Les politiques d'immigration se préoccupent plus des questions d'emploi que des conséquences en matière de logement. Souvent évoquées dans les débats à propos de l'intégration des immigrés, les conditions de logement n'ont jamais fait l'objet d'une action publique à la hauteur des besoins. Pour l'essentiel, les immigrés se sont débrouillés seuls pour se loger1. En offrant au plus haut de sa jauge 170 000 places, le parc de foyers pour travailleurs migrants n'a pu jouer qu'un rôle d'accompagnement. Les logements dégradés, appelés à raison " logements sociaux de faitnbsp;", ont servi jusque dans les années 90 de parc d'accueil pour les familles immigrées, tandis que les meublés et autres garnis hébergeaient les isolés.
Les lois portant sur la maîtrise des flux migratoires évoquent la question du logement, mais uniquement comme un critère de sélection des candidats au regroupement familial. Les capacités d'hébergement doivent être en concordance avec la taille de la famille. La même disposition vaut pour l'établissement des certificats d'hébergement. En quelque sorte, le logement est une variable de contrôle laissée à la discrétion des maires qui ont la charge de valider les attestations d'accueil et peuvent, pour ce faire, effectuer des inspections dans le logement du demandeur. A l'inverse, ces lois ne prévoient pas de dispositif d'accueil et d'intégration qui garantirait aux immigrés un accès à des conditions de logement dignes ou décentes, selon les terminologies employées dans les textes législatifs relatifs à l'habitat.
Les dernières statistiques disponibles sur les flux migratoires en France portent sur l'année 2005. Plusieurs sources différentes publient des bilans annuels des entrées d'étrangers, et elles ne sont pas concordantes. On s'appuie ici sur les chiffres publiés par la Direction des populations et des migrations2, auxquels il faut ajouter les étudiants. Enfin, les statistiques de la DPM n'incluent pas les ressortissants de l'Union européenne qui disposent de la libre circulation 3. Ceci étant précisé, les migrations de ressortissants de pays tiers se montent à 184 000 personnes en 2005, dont 52 %
sont entrées au titre des migrations familiales,
25 % pour faire des études et moins de
5 % avec un contrat de travail. On rappellera que la France a reçu 78 millions de touristes étrangers en 2006, et que 2 millions de visas, essentiellement de court séjour, ont été délivrés en 2005. La place occupée par les migrations dites permanentes dans l'ensemble des circulations internationales en France est donc relativement réduite. Cependant, ces
184 000 nouvelles entrées, augmentées des ressortissants de l'UE (reportons un effectif de 40 000 personnes comparable à ce qui était observé en 2004), se portent sur le marché du logement. Sur cinq ans, ce sont quand même plus d'un million de nouveaux entrants qui s'inscrivent dans les filières de l'habitat. Dans un contexte tendu, le paramètre des migrations n'est donc pas à négliger.
Evaluations prospectives
Une estimation des besoins doit cependant tenir compte de plusieurs correctifs. Tout d'abord, les 224 000 nouveaux entrants (184 000 + 40 000) sont compensés par des sorties (émigration) dont on ne connaît pas le nombre avec précision. Les estimations ne peuvent se fonder que sur des comparatifs entre recensements, avec les imprécisions dues aux erreurs de collecte et de déclaration. L'Insee a fixé un solde de 100 000 personnes sur la base de l'intervalle censitaire 1990-1999, mais les premiers résultats du recensement rénové ont montré que ce solde était sous-évalué.
Même si l'on s'en tient aux entrées connues, nous ne pouvons considérer qu'elles forment toutes de nouveaux ménages. On a vu en effet que 52 % d'entre eux relèvent des migrations familiales, c'est-à-dire soit du regroupement familial à proprement parler (14 000 familles, soit 23 000 personnes) ou des conjoints de Français (44 573, soit 24 % de l'ensemble des flux). Dans ce dernier cas, le migrant (qui est une migrante dans 52,5 % des cas) rejoint son conjoint dans le même logement. De même, les critères imposés pour le regroupement déterminent le fait que les immigrés introduits sous cette procédure disposent déjà d'un logement à leur arrivée.
Par ailleurs, les immigrés se dirigent dans un nombre limité de départements. Leur répartition géographique fait apparaître une concentration dans les grandes aires urbaines, notamment en Ile-de-France, Rhône-Alpes et Paca. La plupart du temps, ils se portent sur les secteurs les plus tendus du marché. On sait également que les immigrés résident dans des segments spécifiques du parc de logements. Les demandeurs d'asile peuvent accéder aux CADA4 et les réfugiés statutaires aux CPH5 ; les étudiants étrangers se logent en partie dans les cités universitaires.
Une faible proportion de propriétaires
Le statut d'occupation des immigrés en logement ordinaire est marqué par une plus faible proportion de propriétaires. En 2002, l'enquête logement montrait ainsi que si 56 % des ménages en France étaient propriétaires de leur logement, ce n'était le cas que de 35 % des ménages immigrés. Cette plus faible orientation vers la propriété s'observe principalement chez les immigrés d'origine maghrébine ou d'originaires d'Afrique sub-saharienne, tandis que les immigrés d'Europe du Sud (Espagne, Italie, Portugal) sont un peu plus que la moyenne propriétaires de leur logement. Fait nouveau, les originaires de Turquie, qui s'inscrivaient fortement dans le logement social, tendent à en sortir pour accéder à la propriété. Cette trajectoire résidentielle les amène néanmoins dans les copropriétés dégradées qui connaissent des conditions urbaines et sociales difficiles. On observe depuis une vingtaine d'année une bascule du segment locatif privé dégradé à bas prix vers le logement social. La disparition progressive du " logement social de fait " à la suite des opérations de rénovation urbaine a reporté les ménages modestes, et singulièrement les ménages immigrés, vers le parc social. Ce dernier a d'ailleurs accompli une forte recomposition interne entre un parc requalifié bien situé qui accueille peu d'immigrés et une autre partie du parc en obsolescence, partiellement rénovée par les Palulos6, et qui reçoit une grande proportion des entrants immigrés.
Il est difficile de dire aujourd'hui dans quelle mesure ces mobilités différenciées dans le parc de logements vont se reproduire ou, au contraire, se diversifier avec l'ouverture de nouveaux segments aux ménages immigrés en voie d'ascension sociale. Les résultats de l'enquête logement de 2006 permettront d'en savoir plus et de faire le point sur les tendances esquissées au début des années 2000. Il faudra en particulier se pencher sur les conditions de logement des immigrés nouvellement arrivés pour affiner les projections de besoins prospectifs. Dans le logement comme pour l'emploi, l'immigration est une équation pleine d'inconnues qui ne se laisse pas maîtriser.
- Voir P. Simon (1998) "Le logement et l'intégration des immigrés", in Logement et Habitat : état des savoirs, M. Segaud, C. Bonvalet et J. Brun (dir.), Paris, La Découverte, p.327-335.
- C. Régnard (2006) " Immigration et présence étrangère en France en 2005 ", rapport annuel de la DPM, La Documentation française.
- En 2004, les ressortissants de l'UE représentaient 40 000 entrées. Voir sur le site de l'Ined : http://www.ined.fr/fr/pop_chiffres/france/flux_immigration/motif_admission_2003
- Centre d'accueil pour les demandeurs d'asile. En 2005, 17 000 places étaient disponibles en CADA.
- Centre provisoire d'hébergement.
- Subvention à l'amélioration de logements locatifs sociaux.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2007-11/immigration-et-besoins-de-logements-une-equation-inconnue.html?item_id=2810
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