Président de la Fédération Française du Bâtiment
Les défis du "construire plus et mieux"
Christian Baffy estime que, confrontées à la montée en régime attendue de la production de logements, les entreprises de Bâtiment sauront s'adapter, au prix d'importants efforts de formation et de promotion de l'image de leurs métiers. Il met toutefois en garde les décideurs contre une trop grande " contrainte temps " qui risquerait de conduire à un arbitrage " subi " entre quantité et qualité...
Résoudre la crise du logement est aujourd'hui une cause nationale consensuelle. Les discours volontaristes se développent ainsi que les annonces plus ou moins spectaculaires, la dernière en date fixant comme objectif annuel 500 000 logements, dont 120 000 locatifs sociaux. Une telle importance dans le débat public, confirmée à l'occasion des débats de la dernière élection présidentielle, tient à la place essentielle du logement dans la vie de nos concitoyens.
Deux raisons fondent cet intérêt : d'une part, l'impossibilité, sans un logement, d'avoir une vie sociale sécurisée et de tisser des relations sociales ; d'autre part, l'augmentation sans précédent des dépenses pour l'achat et l'entretien du logement1.
Dans ces conditions, les risques de perdre son logement pour des raisons familiales ou financières, de ne pouvoir accéder à un logement pour des questions de ressources et/ou de discrimination, se vivent comme des calamités insupportables.
Une telle situation suscite deux grandes interrogations :
- la première tient à la persistance de la situation de crise. Les références à l'hiver 1954 se multiplient, alors même que les conditions de logement des Français se sont améliorées dans de larges proportions. Pour infondées en grande partie qu'elles soient, ces références soulignent la longévité du phénomène et surtout la persistance, pour nombre de nos concitoyens, de situations inacceptables au regard du logement (insalubrité, surpeuplement, exclusion). L'analyse des causes en ce domaine n'est pas mon propos, abordée par nombre d'autres contributions contenues dans ce même numéro de Constructif ;
- la seconde tient à la capacité des uns et des autres à relever les défis du court terme pour, si ce n'est résoudre en totalité, du moins gommer les effets les plus manifestes et les plus insupportables de cette crise. Pour les entreprises du Bâtiment, l'enjeu recouvre deux grands chantiers de natures étroitement imbriquées2 : d'une part, la quantité ou le développement de l'offre nouvelle ; d'autre part, la qualité de cette offre, tant en neuf que dans l'existant.
Les inconnues du " construire plus "
Construire plus, dans un pays où les besoins annuels liés à la démographie dépassent les 350 000, voire les 400 000 unités3, où le retard de construction dépasse largement une année de production avec 500 000 logements, s'impose comme une nécessité pour espérer un jour voir l'ensemble de nos concitoyens logés. Derrière l'apparente simplicité de l'objectif se cachent toutefois de redoutables interrogations sur, notamment, le foncier disponible, la capacité de l'appareil de production à répondre, mais aussi la localisation de ces logements ou l'évolution des coûts.
Force est de constater que la difficulté majeure réside dans le volet localisation. Construire beaucoup ne sera une réponse totalement adaptée que si la part réalisée en zones tendues se renforce. De fait, l'Ile-de-France, avec un peu plus de 30 000 logements construits par an, voit croître son retard aux dépens de ses habitants les plus fragiles. Rapporté à la population, le rythme de construction est de 2/1000 pour l'Ile-de-France et 11/1000 en Bretagne4. Nombre d'experts et d'acteurs estiment à 90 000 le nombre de logements à construire sur plusieurs années afin de pouvoir espérer un desserrement durable du marché. Le chiffre correspond presque au différentiel d'objectif de production. L'un des enjeux majeurs de la politique du gouvernement se situe donc bien dans l'accroissement de l'offre foncière en marchés tendus5. J'y vois non une difficulté physique, mais un défi du même ordre que celui de la mixité, et bien plus ardu à relever que celui de la solvabilisation qui concentre trop souvent les intentions et les actions.
Une autre interrogation majeure porte sur la nature des logements à construire : après le " où ", le " quoi ". La réponse découle pour partie des contraintes liées à la solvabilité des ménages mais aussi de choix de société. Pour les plus modestes, le développement du parc locatif HLM constitue une solution, au moins pour une fraction des ménages cibles, au même titre que l'accession aidée, surtout si l'on se fixe comme objectif 70 % de propriétaires occupants. Mais cela signifie que les autres statuts (HLM, locatif privé, logement à titre gratuit), qui jouent pourtant un rôle primordial dans la décohabitation des jeunes en particulier, ne pèsent plus ensemble que 30 %. Le développement de l'accession, aidée ou non, doit donc nous inciter à réfléchir sur les rôles et la place dévolus aux autres statuts. Les réponses diffèrent à l'évidence, selon les catégories de ménages. Le cas des jeunes et le lien très fort entre décohabitation-mobilité et parc locatif souligne l'importance d'une offre diversifiée, tenant compte des étapes incontournables, ou presque, du parcours résidentiel.
Le débat sur les prix
Le débat du " construire plus " ne peut escamoter la croissance soutenue des prix de la construction, qui suscite chez les donneurs d'ordres et certains décideurs politiques polémiques et fantasmes. Il est vrai que les prix des travaux en neuf ont, sur dix ans, progressé de 33,1 % ; quant à ceux portant sur l'existant, la progression est de 37,6 %. Or, cette évolution des prix reflète d'abord celle des facteurs de production, les matériaux et la main-d'œuvre. Toujours sur dix ans, ces postes ont cru progressivement de 50 % et de 35 %. Personne ne se plaindra, en particulier, d'une telle revalorisation des salaires dans un secteur à forte intensité de main-d'œuvre et qui contribue de manière essentielle à l'insertion sociale. La hausse du coût de la construction s'explique aussi par la superposition des exigences réglementaires. Si l'on peut comprendre le bien-fondé des textes sur l'accessibilité, la sécurité et autres, il serait bon que ceux qui les votent n'en ignorent pas les conséquences en termes de coût !
Autre composante principale de nos prix : les marges. L'excédent brut d'exploitation (EBE), part du chiffre d'affaires qui reste lorsqu'on a payé les salaires et les matériaux, est passé de moins de 1 % en 1998 à 5 % aujourd'hui, ce qui n'a rien d'exorbitant. Il y a donc quelque chose de choquant dans les discours qui voudraient faire des entreprises les boucs émissaires de l'envol du prix du foncier et des matières premières.
Dernière interrogation de taille face à une telle situation : le Bâtiment est-il à même de faire face à ce nouvel afflux de la demande ? Certes, le secteur éprouve des difficultés depuis quelques années en matière de recrutement et l'appareil de production s'en trouve en tension. Mais le nombre de logements mis en chantier a été multiplié par 1,6 en dix ans, alors même que le non-résidentiel et le marché de l'amélioration-entretien progressaient vivement. L'appareil de production a donc su s'adapter et continuera à s'adapter, ce qui exigera des efforts de formation mais aussi du travail sur l'image de nos métiers.
Arbitrer entre quantité et qualité ?
Construire plus, mais aussi et surtout, construire mieux. Une telle affirmation ne vaut pas condamnation des pratiques et produits antérieurs. Mais on n'arrête ni le progrès, ni la modification des attentes (fort heureusement), ni l'engrenage des enjeux nouveaux liés, pour ce qui concerne l'actualité, à l'environnement. Les débats récents sur le " Grenelle de l'environnement " soulignent la complexité du sujet. Notre niveau de développement et une concurrence mondiale exacerbée font trop souvent croire que les défis se situent davantage au niveau du marketing et de la vente que dans la production des biens elle-même. Dans notre secteur, l'appareil de production peut produire plus avec des délais, mais il est aujourd'hui dans l'incapacité de produire immédiatement et massivement des logements à énergie positive, voire même des " bâtiments basse consommation énergétique " (BBC)6. Notre pays, nos décideurs devront donc arbitrer sous la contrainte du temps entre quantité et qualité, ce qui ne signifie pas qu'il ne faille pas favoriser le progrès, bien au contraire.
Ce qui est vrai pour le neuf s'applique avec plus d'acuité encore dans le parc existant. Les logements construits avant 1973 représentent les deux tiers du parc et sont pour une part considérable d'entre eux, des passoires thermiques et, pour une minorité, des épaves thermiques dont la destruction s'impose7 si l'on veut mettre l'ensemble du parc en conformité avec le " facteur 4 "8. Dans le même temps, pour une large fraction des logements existants anciens et neufs, le vieillissement imposera de lourds travaux d'aménagement pour permettre de satisfaire l'attente des ménages de se maintenir le plus longtemps possible dans leur logement. L'intérêt individuel rencontre ici l'intérêt collectif. Mais ne nous cachons pas derrière les mots : offrir des appartements après réhabilitation sans aucune marche intérieure ou dénivelé, y compris pour les bacs à douche, constitue un défi technique lourd !
En résumé, les défis quantitatifs et qualitatifs des dix à quinze ans à venir soulignent vraiment le décalage entre les réalisations actuelles et les exigences, les attentes et l'offre disponible. Le Bâtiment, pour relever les défis, doit se transformer, mieux former ses personnels, bref, entamer une révolution interne dont l'ampleur se compare historiquement à l'époque de la Reconstruction. Nous savons quels sont les défis immédiats, il faut dès maintenant commencer à en mettre en œuvre les solutions. Cette énième révolution de l'offre terminée, il nous faudra préparer la suivante afin de devenir un secteur plus respectueux encore d'un monde aux ressources limitées.
- Les dépenses de logement en 2005 et 2006 : des rythmes de croissance jamais atteints. Virginie Christel, Karl Even, SESP En bref. n° 19 juillet 2007. Ministère de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables.
- Nombre de défis, en termes de qualité et de mise à niveau du parc, s'énoncent en des termes assez semblables dans le parc résidentiel comme dans le parc non-résidentiel.
- La demande potentielle de logement : un chiffrage à l'horizon 2020. Alain Jacquot, SESP. Note de synthèse n° 165. Avril-mai 2007. Voir également l'article de Michel Mouillart dans le présent numéro et les données chiffrées.
- Cela ne signifie pas qu'il faille construire moins en Bretagne, mais que l'effort de construction à réaliser doit porter sur l'Ile-de-France et les autres zones tendues.
- On laisse ici de côté les aspects gouvernance, non parce qu'ils s'avèrent mineurs, mais parce que l'on fonde peu d'espoirs quant à la mise en œuvre d'une réforme de l'organisation territoriale pour plus de cohérence.
- Cette évidence reconnue dans le non-résidentiel ne l'est pas dans le logement.
- 50 KWh/m2 par an.
- Division par quatre des émissions de gaz à effet de serre de la France, à l'horizon 2050.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2007-11/les-defis-du-construire-plus-et-mieux.html?item_id=2819
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