Un secteur à part entière en France
Le poids de l’artisanat reste encore souvent mal connu, et ses
entreprises se heurtent à des difficultés récurrentes, pour leur
développement et leur transmission notamment. D’où des propositions
faites à l’état de mesures de soutien et de règlement spécifiques...
Pour parler valablement d’artisanat, il convient préalablement de s’entendre sur les mots, car l’idée que l’on s’en fait habituellement est très réductrice. Pour le grand public, l’artisan est celui qui pratique un « vieux métier » ou un métier d’art. Aussi faut-il lever ce malentendu. L’artisanat d’art ne représente qu’environ 20 000 entreprises, soit 3,5 % du secteur. Il n’en est qu’un élément peu représentatif, même si ce secteur a su attirer l’attention des pouvoirs publics et du grand public. Renaud Dutreil, lorsqu’il était en charge de l’artisanat, s’est attaché à finaliser l’inventaire des métiers d’art par une liste de plus de deux cents métiers. C’est une méthode efficace pour connaître les forces et les faiblesses du secteur et agir en conséquence.
L’artisanat, dans sa globalité, compte aujourd’hui 860 000 entreprises qui se répartissent en quatre secteurs pratiquement équivalents : l’alimentaire, le bâtiment, les services et la fabrication. Les entreprises artisanales métropolitaines ont réalisé en 2001 un chiffre d’affaires de 237 milliards d’euros et dégagé une valeur ajoutée de 84 milliards d’euros, soit 6 % de l’économie ou encore quatre fois la valeur ajoutée produite par l’industrie automobile.
Pour en terminer avec l’image assez confuse que l’on se fait habituellement de l’artisanat en France, il faut, en outre, se référer aux critères communs à tous les artisans qui fondent l’homogénéité du secteur. Ces entreprises ont en effet de fortes cohérences. Ce sont toutes des entreprises de proximité dont les chefs d’entreprise ont un lien direct avec le client et les employés. Elles sont identifiables par leur métier. Cette relation directe avec le client est gage de qualité. De plus, l’entreprise artisanale joue un rôle de lien social essentiel dans le village ou le quartier.
Les quatre secteurs de l’artisanat
L’alimentation est le secteur qui connaît actuellement le plus de difficultés, à cause de la concurrence des grandes surfaces
et de sa difficulté à recruter. Paradoxe
de notre société, il offre pourtant de nombreux emplois pour une main-d’œuvre qualifiée. Il compte 103 141 entreprises artisanales, 348 000 salariés dont 50 000 apprentis et réalise 20,8 milliards d’euros de chiffre d’affaires, soit 15 % du chiffre d’affaires global de l’artisanat.
Les métiers de l’alimentation se répartissent ainsi : boulanger, boucher, charcutier-traiteur, pâtissier, poissonnier, chocolatier, confiseur, glacier, crêpier, fabrication et cuisson de produits alimentaires.
Des perspectives intéressantes s’ouvrent aux jeunes formés à ces métiers ; huit chefs d’entreprise sur dix sont d’anciens salariés.
Secteur le plus important de l’artisanat, le Bâtiment compte, selon nos estimations, 340 000 entreprises qui emploient 780 000 salariés (dont 60 000 apprentis). Ces entreprises réalisent 50 % de la valeur ajoutée du BTP, soit 55,80 milliards d’euros (366 milliards de francs).
Aux métiers classiques (maçon, charpentier, couvreur, serrurier, chauffagiste, carreleur, vitrier...) s’ajoutent les métiers issus des nouveaux matériaux ou des nouvelles technologies. Depuis deux ans, le BTP bénéficie d’une conjoncture particulièrement favorable : l’embellie économique, la baisse de
la TVA sur les travaux dans les logements, « l’effet tempête » ont relancé l’activité du secteur.
La production est certainement peu connue pour appartenir à l’artisanat. Le secteur compte 152 000 entreprises et 595 000 salariés. Il est représenté par quatre familles de métiers : le travail des métaux, le textile (habillement, cuir), le bois et l’ameublement, les autres fabrications (matériaux de construction, papier, imprimerie, reproduction, arts graphiques...).
Entre 1999 et 2000, on a enregistré une forte diminution des métiers du textile
(- 2,4 %). En revanche, la fabrication de motocycles, bicyclettes et autres véhicules (+ 7 %), la fabrication navale, ferroviaire et aéronautique (+ 3,7 %), la fabrication d’instruments de musique, etc. sont des activités en fort développement. Les artisans de ce secteur interviennent également pour des programmes que caractérise la mise en œuvre d’une technologie très avancée.
Le quatrième secteur est celui des services qui représente 260 000 entreprises artisanales employant 625 000 salariés. Il regroupe essentiellement les activités de transport (taxis, déménagement, ambulances), les activités de réparation, blanchisserie, teinturerie, soins de la personne (coiffeur, esthéticienne), fleuriste, photographie, nettoyage... Il connaît une progression constante depuis 1994, grâce au fort développement de certaines activités comme fleuriste, soins de la personne, toilettage canin, etc. En revanche, la photographie, les ambulances et surtout la blanchisserie enregistrent une baisse sensible d’activité.
Les conditions du progrès
Pour réussir à se développer, l’entreprise artisanale doit surmonter des faiblesses intrinsèques qui sont parfaitement identifiées. On en dénombre quatre principales. D’abord, la difficulté d’acquérir à la fois la connaissance d’un métier et les compétences pour diriger une entreprise. Les deux suivantes sont les conséquences directes de l’isolement de l’artisan : au cours de sa vie professionnelle, il doit, d’une part, conserver et exercer sa capacité de création et, d’autre part, faire face aux problèmes du développement de son entreprise. Enfin, l’entreprise artisanale étant le plus souvent une entreprise personnelle ou celle d’un couple, elle a beaucoup de mal à se transmettre et à survivre à cette transmission.
Les structures d’accompagnement des artisans, qu’elles soient consulaires, professionnelles, administratives ou associatives y
puisent leur raison d’être. Les exemples pratiques sont nombreux. L’artisan est tributaire des structures d’accompagnement ou de formation quand il s’agit d’appliquer de nouvelles règles administratives : elles sont, de surcroît, le plus souvent inadaptées à son mode de faire-valoir. Et c’est encore plus compliqué pour lui quand elles sont inadaptées à son mode de production. En effet, la relation à l’acte de production de biens ou de services peut être inadaptée aux contraintes marchandes de la société actuelle. La relation à l’acte de gestion peut également être difficilement conciliable avec une présence importante exigée par l’acte de production.
Créer un environnement favorable
Toutes ces observations permettent de mieux apprécier ce qui fait l’homogénéité de l’artisanat : il est intimement lié aux évolutions de notre société et, à l’inverse, notre société ne peut évoluer sans que son artisanat évolue. Prenons l’exemple de la technique comme facteur de changement. De nombreux métiers d’art ont évolué en intégrant des matériaux nouveaux. L’artisan s’est adapté aux nouvelles techniques. La plasturgie a trouvé, par exemple, un développement
inattendu et important en réponse aux besoins de nouveaux marchés comme celui d’Arianespace ou du TGV. La boulangerie a complètement changé son processus de fabrication, permettant à des femmes de l’exercer. Il en est de même de la construction où les artisans du Bâtiment utilisent des nouveaux matériaux et peuvent bénéficier de la numérisation pour la fabrication des charpentes.
Le rythme de création d’entreprises artisanales s’est accéléré au cours de l’année 2003 – 66 000 créations, soit une augmentation de 14 % par rapport à l’année précédente –, et la tendance s’est accentuée au printemps 2004. Cette évolution traduit une évolution profonde de notre société en faveur de « l’initiative économique », évolution dans laquelle l’artisanat et les métiers prennent toute leur part. Pour continuer de bénéficier de cette dynamique, il convient de pérenniser les conditions favorables à l’entreprise.
Consolider les entreprises
Dans le cadre de la préparation de la loi « Entreprise » qui sera proposée par Christian Jacob, l’APCM a fait des propositions destinées à consolider la situation des petites entreprises, notamment lorsqu’elles choisissent la forme personnelle, ce qui est encore le cas de la majorité d’entre elles. La demande générale de notre secteur pousse dans le sens d’une réponse juridique et fiscale qui trancherait entre le formalisme excessif de la forme sociétale et les incertitudes de l’entreprise individuelle. Le choix obligatoire d’un statut pour le conjoint collaborateur règlerait un problème social qui n’a que trop duré et qui se trouve juridiquement assimilé à une situation de « travail clandestin ».
En matière fiscale et financière, l’extension à l’épargne de proximité des incitations fiscales jusqu’ici réservées aux prises de participation dans les petites sociétés encouragerait le financement familial des créateurs d’entreprise. La création d’un « fonds national d’avances remboursables aux entreprises artisanales », améliorerait leurs conditions d’accès au crédit. Enfin, l’institution d’un crédit d’impôt favorisant la formation des artisans et leur recours aux conseils externes serait un argument pour que les artisans trouvent le temps de leur formation.
Aujourd’hui l’artisan bute sur trois difficultés. L’une des plus préoccupantes est la transmission de son savoir-faire. Depuis dix ans, le niveau des formations n’est plus en phase avec la capacité d’acquérir les nouveaux métiers de l’artisanat. Et cela se vérifie aussi pour les approches plus traditionnelles des métiers.
La deuxième concerne le développement de l’entreprise artisanale, qui est actuellement bloqué par l’effet de seuil qui n’est pas seulement administratif, mais plus profondément lié aux limites de l’artisan
dans ses fonctions de chef d’entreprise pour gérer des équipes et des métiers plus
nombreux et plus diversifiés. Enfin, le« coût du temps » devient de plus en plus important par rapport aux actes de production et le temps artisanal est souvent plus élastique que le temps industriel.
Accompagner l’évolution
des métiers
Ces observations sont autant d’arguments en faveur de mesures de soutien et de règlements spécifiques à l’entreprise artisanale. Il est grand temps de le comprendre, sans quoi l’artisanat ne connaîtra
pas le développement qui lui permettra
d’accompagner et d’infléchir positivement l’évolution de la société.
La formation des chefs d’entreprises artisanales et de leurs collaborateurs nécessite une refondation complète de l’apprentissage qui représente pour nous la méthode pédagogique incontournable d’accès aux savoir-faire et savoir gérer artisanaux.
Il faut impérativement faire de l’apprentissage une voie en tant que telle pour acquérir ces deux capacités complémentaires et qu’elle ne soit plus seulement considérée comme une voie de rattrapage des échecs de l’enseignement général.
Les chefs d’entreprises artisanales doivent pouvoir bénéficier d’appuis extérieurs pour leur gestion dans tous les domaines financiers, administratifs, TIC, e-développement, et disposer ainsi d’un véritable « back-office » collégial.
Encore une fois, il est grand temps que la société comprenne que pour garder et développer ce fondement du lien économique, il lui faut accepter parfois de prendre en compte d’autres critères que le moins-disant, porte ouverte aux délocalisations suicidaires et génératrices de dissolution sociale.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2004-11/un-secteur-a-part-entiere-en-france.html?item_id=2576
© Constructif
Imprimer
Envoyer par mail
Réagir à l'article