est directeur de l’Institut national de physique nucléaire (IN2P3) au CNRS.
est responsable du Programme sur l’aval du cycle électronucléaire au CNRS (PACE).
Les avancées de la recherche sur les déchets nucléaires
Le talon d’Achille de la production d’électricité en France par un
parc très (trop ?) important de réacteurs nucléaires est l’accumulation
de déchets radioactifs toxiques pendant des centaines de milliers
d’années et la gestion des combustibles déchargés de ces réacteurs.
Depuis quinze ans, des recherches approfondies sont menées sur ces
questions.
En 1991, devant l’opposition qui s’était manifestée lors de la recherche d’un site d’enfouissement pour les déchets nucléaires, le Premier ministre a décrété un moratoire sur cette recherche. Le Parlement a alors voté, le 30 décembre 1991, une loi (appelée loi Bataille, du nom de son rapporteur) particulièrement originale : son objet était d’organiser les recherches qui permettront, lors d’un nouveau rendez-vous parlementaire fixé à 2006, d’instruire la question : que faire des déchets du parc électronucléaire français ?
Ce temps consacré à la recherche pourrait être considéré comme le délai qu’on s’octroie avant une décision politique difficile. Mais il faut garder à l’esprit que dans le domaine du nucléaire, les échelles de temps sont longues : la durée de vie d’un réacteur nucléaire est de l’ordre de quarante ans, comme celle des usines de traitement et la conception d’un nouveau parc, ou l’ouverture d’un centre de stockage souterrain, demanderont des durées de cet ordre.
Des objectifs fixés par la loi
Quel est le chemin proposé ? Réduire la nocivité et le volume du déchet ultime, pouvoir en disposer et s’en protéger, enfin évaluer (et minimiser) les obligations ou charges transmises aux générations futures. La loi l’a énoncé suivant trois axes :
- l’axe I envisage la séparation des radioéléments les plus radiotoxiques contenus dans les déchets et leur transformation, dans des réacteurs appropriés, en éléments de période bien plus courte ou stables. Un de ces objectifs peut d’ailleurs être considéré comme atteint : une large proportion du plutonium formé au cours du fonctionnement des réacteurs et source de 90 % de la radiotoxicité produite, est extraite à La Hague des combustibles nucléaires usés et recyclée sous forme de combustible MOX (mélange d’oxydes d’uranium et de plutonium). Les volumes de déchets à entreposer en sont réduits, au prix d’une opération chimique particulièrement lourde et de la production de nouveaux déchets
- l’axe II propose d’étudier les conditions de leur stockage, réversible ou non, dans des formations géologiques profondes, à l’aide de laboratoires souterrains creusés à cet effet
- l’axe III porte sur les conditions de réalisation et les performances d’un entreposage de longue durée.
Premiers bilans
En France, où existe un seul organisme pour chaque tâche, les acteurs1 de cette recherche sont peu nombreux et leur contribution doit évidemment rester compatible avec leur stratégie d’entreprise.
Que signifie, en termes de recherche, chacun de ces énoncés et où est-on arrivé ?
Le premier objectif (axe I) fait d’abord appel à la chimie : il s’agit de séparer certains éléments chimiques des déchets du combustible usé (au lieu de les confiner dans un verre), puis de rechercher comment les rendre moins dangereux, ce qui n’est possible qu’en réacteur. La faisabilité scientifique de cette séparation chimique est établie il faut encore en faire un processus industriel. Il faut aussi concevoir des réacteurs nouveaux, auxquels on demandera non seulement de produire l’électricité mais aussi d’éliminer ces éléments. L’importance devant être attribuée à l’une et à l’autre de ces tâches dépendra des options choisies...
Le deuxième objectif (axe II) pose d’abord un problème de géologie : quelles formations géologiques sont, après examen physique-chimique approfondi (pour lequel on creuse un laboratoire qui ne recevra pas de déchets), aptes à abriter un centre de stockage souterrain ? Et après quel délai les radio-éléments que l’on souhaite y enfouir pourront-ils retourner vers la biosphère ? L’idéal serait de comparer les observations faites en laboratoire dans des géologies-hôtes différentes. Pour diverses raisons, une seule a été retenue à ce jour : c’est, à une profondeur de 500 m, l’argile du Bassin parisien, aux frontières de la Meuse et de la Haute-Marne.
Le dernier objectif (axe III) pose la question de la définition des colis de déchets qu’il faut stocker et des capacités d’un entreposage de longue durée, et soulève donc des problèmes surtout technologiques.
En revanche, les recherches sur les axes I et II posent des problèmes de recherche fondamentale. C’est la raison pour laquelle le CNRS s’est mobilisé pour s’associer à ces travaux, et a introduit sur ces sujets controversés des points de vue strictement scientifiques.
La piste des réacteurs à sels fondus
On peut se demander si la première priorité ne serait pas de réduire la radiotoxicité et le volume des déchets produits, premier pas vers un nucléaire durable, plutôt que de les transmuter, bien que la loi nous interroge sur la gestion des déchets et non pas sur la politique énergétique à suivre.
à côté de choix effectués par EDF et Framatome en faveur de réacteurs rapides fonctionnant à des températures de 800 à 1000 °C, le CNRS souhaite voir étudiés les réacteurs à sels fondus fondés sur la filière à thorium, un élément plus abondant que l’uranium, dont les propriétés conduisent à des inventaires en matière fissile dix fois moins importants que la filière à uranium et dont la radiotoxicité des déchets produits serait 100 fois plus faible. Un domaine d’intérêt très important et urgent est celui des matériaux : ceux-ci seront soumis, dans les réacteurs auxquels il vient d’être fait allusion, à des conditions de température, d’agressivité chimique et de rayonnement particulièrement sévères.
Sur l’axe II, les travaux de reconnaissance du site et de mise en place du laboratoire souterrain, objet d’une collaboration étroite entre l’Andra et le CNRS (et de collaborations à l’échelle européenne), portent sur son équipement, l’impact du fonçage sur les propriétés de confinement cherchées, le comportement de la zone endommagée (circulation et datation des eaux souterraines, perméabilité des formations...). Le développement d’appareils de mesure adaptés, de méthodes d’imagerie tridimensionnelle, de la datation d’eaux à des échelles de temps atteignant la centaine de milliers d’années sont de véritables défis pluridisciplinaires dans lesquels sont mis des forces et des moyens considérables.
Les bénéfices de la pluridisciplinarité
Quelles conclusions tirer de cet investissement ? Il s’agit de domaines où le CNRS a eu à diversifier ses méthodes scientifiques d’acquisition de données, à inventer des techniques expérimentales nouvelles. Le premier bénéfice aura certainement été la mise en place d’une véritable pluridisciplinarité : la technologie des réacteurs fait appel à la physique nucléaire, à la physique des matériaux, à la chimie, à la thermodynamique... La mise en place du laboratoire souterrain sollicite également un grand nombre de disciplines. Le CNRS a pu montrer qu’au-delà de la recherche fondamentale, il peut s’atteler à des problèmes de technologie bien définis, et a retrouvé un domaine de recherche dont il avait été exclu depuis de longues années : la physique des réacteurs et les technologies de l’énergie...
- Ce sont les organismes de R&D, Agence nationale chargée des déchets radioactifs (Andra), commissariat à l’énergie atomique (CEA), et Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et universités.
Ceux-ci sont assistés par le producteur d’électricité (EDF), le fabricant de réacteurs nucléaires (Framatome-ANP/Areva), l’industriel chargé du traitement des déchets (Cogema/Areva) assistés d’un établissement d’expertise : la Direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection (DGSNR) à laquelle appartient l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Leurs travaux sont appréciés par les ministères concernés (Industrie, Recherche, Environnement), la DGSNR et le haut-commissariat à l’Energie atomique. Enfin, pour juger de l’avancement de travaux, la loi a mis en place une Commission nationale d’évaluation (CNE) composée d’experts indépendants.
Bibliographie
- Hervé Nifenecker, L’énergie nucléaire a-t-elle un avenir ?, Coll. Les petites pommes du savoir, Ed. Le Pommier
- Les déchets nucléaires, dossier scientifique édité par R.Tulay, Ed. de physique
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2004-11/les-avancees-de-la-recherche-sur-les-dechets-nucleaires.html?item_id=2595
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