est avocat conseil en droit social honoraire et ancien professeur associé à la faculté de droit de Montpellier.
Des cadres juridiques nouveaux pour les TPE
Conseils aux chefs d’entreprise afin qu’ils portent un nouveau regard
sur le droit des sociétés et l’organisation de leur structure.
Quel que puisse être l’intérêt d’une réflexion sur la forme juridique de l’exploitant la mieux adaptée à un type d’activité ou, surtout, à un projet, cette analyse ne pourrait être considérée comme faisant le tour de la question. D’autres problèmes, d’une importance au moins aussi grande, sont également à traiter lorsqu’on s’intéresse au cadre juridique dans lequel prospère une entreprise. L’entreprise est avant tout une entité économique. Mais elle a besoin du droit pour fonctionner. Cela vaut bien sûr pour le droit des sociétés, mais cela vaut aussi pour chacune des disciplines qui concourent au droit de l’entreprise, y compris le droit social qui fixe le cadre juridique des rapports individuels et collectifs de travail.
Le droit comme instrument de gestion
Dès lors, ce dont il convient de se préoccuper c’est, bien plus que la règle de droit et la façon de la décliner, la capacité de l’utiliser comme instrument de gestion. En d’autres termes, l’efficacité du droit au service de l’activité économique ne peut pas naître d’une simple approche technicienne s’appuyant sur une analyse littérale des textes que l’on va ensuite dérouler par des actes et des procédures banalisés. Au demeurant, une telle approche expose à une dérive technocratique, d’autant plus prévisible que les dirigeants n’accordent pas d’importance à la technique juridique, considérant le droit comme une somme de contraintes dont on confie la responsabilité à un conseil externe et que l’on gère administrativement de manière informatique.
Le droit peut contribuer à l’efficacité économique si une approche organisationnelle s’est déployée : ce qu’il faut, c’est avoir le souci de l’optimisation des normes pour les adapter à un contexte précis et à un objectif donné ainsi que celui de la gestion prévisionnelle du risque par le contrat. Dans cette vision de la mission du droit, les procédures ne sont pas réduites à du formalisme ; elles contribuent à affiner la décision grâce à la concertation.
Un éventail de choix entre formes de société
Second constat : les dirigeants d’entreprise peuvent trouver excessif le nombre de formes juridiques d’exploitation qui leur est proposé. Entre toutes ces formes, laquelle choisir et, surtout, comment les comparer ? Il faut au contraire s’en réjouir. La multiplication des formes sociétales est facteur de choix. Les règles particulières de telle ou telle se traduisent par des modes d’organisation du pouvoir qui peuvent être plus ou moins adaptés à une situation donnée, caractérisée aussi bien par la nature de l’activité, la composition du capital, la taille de l’entreprise que par des objectifs stratégiques plus ou moins permanents.
En d’autres termes, si le droit des sociétés est d’abord celui qui régit les rapports entre actionnaires ou porteurs de parts, il gagne en pugnacité s’il est abordé comme une technique d’organisation de l’entreprise, prenant en compte son fonctionnement, donc nécessairement les intérêts autres que ceux des seuls détenteurs du capital.
A titre d’exemple, la forme juridique d’exploitation choisie peut plus ou moins faciliter la transmission de l’entreprise vingt ans plus tard. Ou encore, le choix de privilégier la SARL, la SA ou la SAS est d’abord celui de favoriser ou pas une organisation du pouvoir adaptable à une situation donnée.
L’identité de l’entreprise artisanale
Deux questions se posent. La première tourne autour de l’identité de l’activité artisanale. Elle est matérialisée par l’exercice d’un métier, lequel nécessite une compétence technique. Elle est, à cet égard, proche de l’activité libérale, matérialisée par l’exercice d’une profession souvent réglementée. Quelle que soit la forme juridique d’exploitation, métier ou profession se traduisent par un fort intuitus personae. Au contraire, l’activité commerciale ou de services se traduit par des attitudes qui peuvent être centrées sur la gestion économique et financière : non seulement cela induit une organisation du pouvoir qui peut être plus diffuse, mais encore la technicité requise, même si elle n’est pas à négliger, ne revêt pas la même importance.
L’artisanat évolue inévitablement par les effets des progrès des NTIC. Cela se traduit à la fois par la sophistication des métiers classiques et par l’émergence de nouveaux métiers. Cela rend encore plus indispensable de se préoccuper des modes d’organisation du pouvoir dans l’entreprise, donc des modalités de sa diffusion.
Ceci concerne bien sûr les limites de la délégation de pouvoir de l’employeur à l’égard des salariés, dès lors que l’efficacité de la prestation dépend non seulement de la maîtrise des techniques mais aussi du savoir-faire dans leur utilisation ; il y a de ce fait une dimension éthique à respecter qui se traduit inévitablement dans le degré d’autonomie du salarié.
Mais ceci concerne aussi les formes juridiques d’exploitation : la diffusion du pouvoir ne saurait être conditionnée que par la seule possession du capital social. à cet égard, le retour à la conception contractuelle de la société que matérialise la SAS est une bonne chose, c’est du seul pacte statutaire que vient l’organisation du pouvoir et non, comme dans une SARL, du poids du capital possédé. Même si de multiples raisons incitent à la constitution d’une personne morale, il faut d’autant plus explorer les mérites de l’exploitation en nom personnel, adaptée à la TPE, que le fonctionnement d’une société a un coût.
Le cadre juridique n’est pas seulement constitué des normes organisant le fonctionnement interne de l’entreprise. Les règles fixant les relations avec les clients et (ou) les donneurs d’ordres sont tout aussi essentielles. La sophistication de la vie économique, conséquence à la fois de la mondialisation des échanges et des progrès des techniques de l’information et de la communication, a pour effet la constitution d’ensembles économiques dont les composantes sont plus ou moins intégrées, de surcroît pour des durées variables.
Mieux utiliser la négociation collective
De ce fait, tandis que, dans la sphère du salariat, se développe l’autonomie du travailleur, la dépendance se développe dans celle du contrat d’entreprise. Nombre de PME sont sous-traitantes de grandes firmes industrielles tandis que d’autres sont inféodées économiquement à la grande distribution.
Si le droit du travail a été élevé au rang de discipline autonome, c’est en raison de l’état de subordination du salarié qu’il faut protéger. Si ces PME ne sont pas en état de subordination juridique qui caractérise le contrat de travail, elles sont en état de dépendance économique qui nécessite une protection, même si ce n’est pas celle du droit du travail.
Les circulaires de la Direction de la concurrence et des prix ont montré leurs limites. Il faut construire un arsenal juridique, grâce à la pratique de la technique contractuelle, visant à utiliser la négociation collective comme instrument d’équilibre des pouvoirs entre les parties et il faut que quelques principes soient imposés dans ces relations pour assurer la protection de ces dépendants économiques par des règles d’ordre public, spécialement intéressant la santé et la sécurité, d’un côté, les droits et libertés fondamentales, de l’autre. Il est temps de montrer que l’opposition contrat de travail-contrat d’entreprise, fille de la civilisation industrielle, n’est plus adaptée à une économie imprégnée des mutations de travail induites des NTIC. Il faut créer un droit de l’activité professionnelle regroupant tous les travailleurs, du plus subordonné au réellement indépendant, dans lequel, grâce à la parasubordination, l’indépendance dans l’interdépendance sera un moyen de promouvoir à la fois l’homme et l’entreprise.
Distinguer l’entreprise et l’entrepreneur
Dans cette perspective, il est indispensable de bien distinguer l’entreprise et l’entrepreneur. C’est chose difficile pour un artisan dont l’activité, centrée sur le métier, incite à l’intuitus personae et ce, qu’il exploite en nom personnel ou en société. Au demeurant, la taille modeste de ces entreprises contribue elle aussi à la personnalisation de l’entreprise. Dès lors, la société est vécue comme un simple instrument d’optimisation fiscale et sociale, et ses règles de fonctionnement comme du formalisme dont on se décharge.
La mise en société de l’entreprise a longtemps eu pour cause un important différentiel en matière fiscale et sociale. Aujourd’hui, l’harmonisation du statut social est effective, non seulement s’agissant des régimes de base et complémentaires obligatoires mais aussi pour la prévoyance collective : la loi Madelin a étendu aux non-salariés le bénéfice de la neutralité fiscale des contributions nécessaires à la constitution de garantie de retraite et de prévoyance. Par ailleurs, la loi Fabius sur l’épargne salariale permet d’étendre aux dirigeants non-salariés des PME la neutralité fiscale et sociale des sommes versées dans un plan d’épargne.
Le recours à la forme sociétale doit être justifié par des considérations autres que fiscales et sociales, qu’il s’agisse de la pluralité des détenteurs de moyens de production, de la nature de l’activité ou de l’importance des investissements nécessaires, par exemple. Le dirigeant doit prendre conscience que, si l’entreprise est un bien, elle est aussi une activité. Dès lors, l’entreprise ne saurait se résumer à la société. Spécialement, le personnel, par sa compétence et son travail, est une composante de sa valeur. Dès lors, l’intérêt de l’entreprise ne peut se résumer à l’intérêt des détenteurs du capital. L’intérêt de la collectivité du personnel est aussi à prendre en considération dans la définition de l’intérêt de l’entreprise. Ceci doit conduire, quelle que soit la taille de l’entreprise et quelle que soit la forme juridique d’exploitation, à donner, par les règles de fonctionnement mises en place, une certaine consistance juridique à l’entreprise. Cette exigence est encore plus nécessaire lorsque l’activité repose massivement sur les techniques de la communication et de l’information qui exigent esprit d’indépendance, créativité, autonomie et pour lesquelles la valeur ajoutée résultant du travail des hommes vient de l’initiative dans la relation avec le client et non de l’exécution des tâches sur ordre de l’employeur.
Les instruments de la « consistance juridique »
Plusieurs instruments combinés peuvent contribuer à apporter à l’entreprise cette nécessaire consistance juridique. D’abord, elle peut naître des règles de fonctionnement interne à la société ; à cet égard, la SAS a d’immenses mérites en ce sens que l’organisation du pouvoir y résulte du pacte statutaire et non du seul degré de possession du capital ; ainsi, des attributions précises pourraient y être prévues au profit de la collectivité du personnel. Ensuite, elle peut émerger de la manière dont on utilise des instruments juridiques intéressant le droit des salariés ; par exemple, l’accord de participation est d’autant plus un outil à explorer par les TPE que, étant hors du champ de l’obligation légale, elles bénéficieront d’une provision pour investissement liée au montant de la réserve, laquelle ne pourra qu’améliorer le haut de bilan.
Ce qui compte, en définitive, c’est la capacité à utiliser l’arsenal juridique comme moyen d’optimiser le fonctionnement de l’entreprise. C’est cela que l’on appelle l’ingénierie juridique. Cela nécessite le sens de la créativité et cela exclut que l’on se contente de dérouler des règles. Même si le recours à expert s’impose, le dirigeant doit être partie prenante dans la manière de se servir du droit pour fixer le cadre juridique adapté à une situation et à un objectif.
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