vient de rejoindre Ecofys, aux Pays-Bas, comme senior consultant après avoir été chercheur pendant six ans au Lawrence Berkeley National Laboratory, aux états-Unis.
Etats-Unis : des «pionniers» montrent l’exemple
Face à une politique fédérale qui se satisfait largement de
l’importante consommation d’énergie du pays, des états, des entreprises,
des villes ou des universités prennent des initiatives de réduction de
cette consommation.
Vus de l’extérieur, les États-Unis comptent 6 % de la population, mais consomment un quart de l’énergie mondiale, et sont responsables de 25 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Même après des années de débats nationaux sur le contrôle de la pollution de l’air et le débat international sur la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre, la tendance à la « démesure » se poursuit outre-Atlantique et va bien au-delà de la taille des repas !
Des « maisons gigantesques » se développent à travers le pays, entraînant un accroissement spectaculaire de la consommation d’énergie. Sur les routes, cette mode de la « démesure » incite les Américains à conduire des voitures de plus en plus grandes – des véhicules appelés « véhicules utilitaires de sport », construits sur le châssis d’un véhicule utilitaire léger pour contourner les normes sur la consommation d’essence –, renversant ainsi la tendance à la baisse de la consommation du parc automobile.
La consommation d’énergie, miroir de la performance économique
Aujourd’hui, les États-Unis sont plus dépendants des importations de pétrole du Moyen-Orient qu’avant le choc pétrolier de 1970. Sous l’administration Bush, la politique énergétique semble être revenue aux années d’avant la flambée des prix du pétrole, comme l’a bien signalé Ari Fleischer, le porte-parole de la Maison Blanche, en déclarant le 7 mai 2001 : « Le Président pense que c’est un mode de vie américain, et que l’objectif des décideurs politiques devrait être de protéger le mode de vie américain qui est un mode béni... Le Président considère l’importante consommation d’énergie comme un miroir de la performance de notre économie et du mode de vie dont les Américains jouissent aujourd’hui.»
Le vice-président Cheney a déclaré que l’économie d’énergie et l’amélioration de l’efficacité énergétique étaient une « vertu personnelle » et non la base d’une politique énergétique saine. Ce n’est donc pas une surprise si l’administration Bush a rejeté le protocole de Kyoto et n’a pas entrepris d’action sérieuse pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.
à travers l’histoire, les États-Unis ont été très efficaces dans la réduction de l’intensité énergétique grâce à des changements structurels dans l’économie, entraînant d’importantes économies pour les consommateurs et les entreprises. C’est pourquoi nous devons mieux comprendre le passé afin d’évaluer la situation actuelle aux États-Unis et le potentiel de changement.
Des efforts passés
Comme le montre le schéma ci-dessous, l’intensité énergétique (exprimée en consommation d’énergie par dollar du PIB) a baissé depuis les années 70, et ce, très rapidement de 1973 au milieu des années 80. Les États-Unis ont été frappés par la flambée des prix du pétrole au début des années 70 et 80 en raison d’un embargo sur le pétrole provenant de fournisseurs arabes. Cela a conduit à de fortes augmentations de prix et – en réaction – à de nouvelles politiques visant à améliorer l’efficacité énergétique des voitures et autres usages du pétrole.
Les effets des prix élevés à la pompe se sont moins fait sentir dans la seconde moitié des années 80, occasionnant la baisse du taux de réduction d’intensité énergétique annuel. Déjà, la tendance à la baisse démontre la forte dissociation entre la croissance économique et la consommation d’énergie. Cette dissociation semble donc être contraire aux convictions de l’administration actuelle. En utilisant un indicateur différent, il apparaît que la consommation d’énergie primaire annuelle par habitant aux États-Unis s’est plus ou moins stabilisée depuis la moitié des années 70, bien qu’au très haut niveau de 350 GJ/personne.
Bien que le changement dans l’intensité énergétique soit dû en partie à un mouvement au sein de l’économie vers des activités moins consommatrices d’énergie, le succès des anciennes politiques d’efficacité énergétique en est aussi responsable. Dans le passé, les politiques les plus efficaces outre-Atlantique dans ce domaine ont été la mise en place de normes d’efficacité énergétique pour les automobiles (les normes Cafe ou Corporate automotive fuel efficiency, introduites en 1975), pour les appareils électroménagers ainsi que les moteurs électriques (industriels).
Une étude de 2001 sur les politiques énergétiques commandée par l’Académie nationale des sciences attribue aux normes Cafe une réduction de 14 % de la consommation générale de carburant dans les transports. Les bénéfices cumulés des normes d’efficacité énergétique des produits de consommation pour la période 1990-2015 sont estimés à 54 milliards de dollars pour des appareils, 56 milliards pour des lampes et 66 milliards pour de nouvelles normes qui viennent d’être mises en place ou sont en cours de mise au point.
Les bénéfices des normes sont trois fois plus importants que les coûts imposés au consommateur. Ces économies à grande échelle démontrent le succès de la politique des normes d’efficacité aux États-Unis et sont un modèle pour les programmes de normes d’efficacité des appareils pour le monde entier.
Une politique de l’offre
La réduction des prix de l’énergie a coïncidé avec l’administration Reagan à Washington. Cette administration a remplacé la stratégie d’ « indépendance énergétique » visant à réduire la dépendance à l’égard de pétrole importé par une stratégie de « pétrole bon marché », en adoptant l’approche (qui a échoué) de «l’économie de l’offre» pour la politique énergétique. La stratégie du « pétrole bon marché » a été conçue et mise en place par le premier directeur de l’Office of Management and Budget (Conseil du Trésor) de Reagan, David Stockman. Sa stratégie a consisté à s’appuyer autant que possible sur le pétrole du Moyen-Orient et, pour assurer une offre ininterrompue, à utiliser « les réserves stratégiques (de pétrole) et les forces stratégiques ». David Stockman considérait que les réserves stratégiques (dont les États-Unis possèdent les plus grandes quantités au monde) peuvent compenser les risques de rupture à court terme, et que la tâche de faire face à une éventuelle rupture à long terme «incombait au département de la Défense seul».
L’administration Clinton n’a pas offert d’alternative à cette politique axée sur l’offre, et l’administration Bush actuelle recycle non seulement les personnes clés des administrations Reagan et Bush père, mais également la stratégie de « pétrole bon marché ». Les figures de proue de l’administration actuelle sont souvent des anciens des industries d’approvisionnement énergétique ou des industries dépendant du marché énergétique (Bush, Cheney, Rice, Snow, par exemple). Sous l’administration actuelle, la politique énergétique américaine a été définie et conditionnée par l’action sur l’offre de la gamme énergétique : pétrole, charbon, et des sociétés de production d’énergie. Ces sociétés influencent les politiques, comme le plan national de politique énergétique du vice-président Cheney l’a montré, en mettant l’accent sur un accroissement de l’offre d’énergie tout en rendant respectueusement hommage à l’amélioration de l’efficacité énergétique. Aujourd’hui les sociétés pétrolières prospèrent plus que jamais, et exercent une influence sans précédent sur la politique énergétique (et climatique) aux États-Unis.
Lueurs d’espoir
à travers l’histoire, les politiques d’efficacité énergétique aux États-Unis ne sont pas forcément nées à Washington D.C., mais ont plutôt grandi à partir des efforts « faits maison » déployés dans les États. La Californie fut le premier État à mettre en place des normes d’efficacité énergétique des appareils, puis fut rapidement suivie par les États du Nord-Est des États-Unis. Aujourd’hui, en l’absence d’une approche politique climatique au niveau fédéral, les États déploient des efforts pour développer des programmes d’atténuation du changement climatique, et certaines entreprises, parmi lesquelles des multinationales telles que DuPont et 3M, des villes et universités participent à ces efforts, comme le montre le tableau ci-dessous.
Bien entendu, il existe également des programmes fédéraux d’efficacité énergétique efficaces et visibles. Parmi les plus visibles, il y a le programme Energy Star de l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis qui inclut appareils, éclairage et équipement de bureau. Il s’avère extrêmement efficace et est reconnu internationalement. Son champ vient tout juste d’être étendu à la gestion d’énergie en entreprise. Les normes d’efficacité énergétique (gérées par le département de l’Énergie des États-Unis) sont toujours en vigueur aux États-Unis, malgré les tentatives de l’administration Bush pour atténuer la norme récemment proposée pour des appareils de climatisation.
Une opposition à la lutte contre le changement climatique
Traditionnellement, les États-Unis ne sont pas enclins à reprendre des initiatives politiques développées hors des ÉtatsUnis. Ce syndrome du « pas inventé ici » s’applique également à la politique climatique et au protocole de Kyoto. Bien que les États-Unis aient exercé une influence considérable sur la forme et le contenu du dernier protocole de Kyoto, même l’administration Clinton ne l’a pas soumis au Congrès (républicain) pour ratification.
Aux États-Unis, les forces opposées aux politiques climatiques significatives ont été très efficaces dans l’obstruction au débat public sur le changement climatique et sont parvenues à rabaisser le niveau du débat à celui qui existait dix ans auparavant en Europe. Ces forces, nourries par les larges budgets des groupes d’intérêt spéciaux à Washington DC, se sont montrées très persuasives en présentant le protocole de Kyoto comme un élément nocif pour l’économie américaine, et comme un document imposé aux États-Unis par les Nations unies et la communauté internationale alors que de grands pans du monde n’y participent pas, rendant pratiquement impossible la ratification du protocole dans l’environnement politique de Washington.
En 2003, une législation bipartisane pour plafonner les émissions de gaz à effet de serre a été présentée pour la première fois au Congrès, et à nouveau en 2004. Bien que la proposition n’ait pas remporté la majorité, elle a tout de même recueilli un assez grand nombre de votes favorables.
En développant des politiques alternatives aux politiques énergétiques axées sur l’offre, il est important de comprendre le syndrome du « pas inventé ici ». Il est également important de comprendre le pouvoir actuel exercé par les groupes d’intérêt spéciaux dans l’élaboration de la politique. Alors que les élections présidentielles de novembre sont importantes dans la définition de la future politique énergétique et climatique des États-Unis, seuls des efforts « faits maison » et la peur d’un contrecoup de l’opinion publique (qui, par exemple, a conduit l’administration républicaine de Nixon à mettre en application la loi sur l’air pur) peut faire pencher la balance des pouvoirs à Washington. Notons toutefois que certains des états les plus actifs dans le développement des politiques climatiques, comme la Californie ou New York, ont des gouverneurs républicains.
Par conséquent, pour développer un cadre post-Kyoto réussi de collaboration internationale afin de limiter le changement climatique qui inclurait les États-Unis, il est important de soutenir les initiatives entreprises par divers groupes aux États-Unis, y compris les états, les villes, les universités et les entreprises. Une politique plus efficace pour limiter le changement climatique fournira une impulsion positive à la politique d’efficacité énergétique...
Bibliographie
- Blanchard, O. an J.F Perkaus. Does the Bush administration’s climate policy mean climate protection?, Energy Policy, 32 pp., 1993-1998 ( 2004)
- Interlaboratory working group on energy-efficient and clean-energy technologies
- Scenarios for a clean energy future, Oak Ridige National Laboratory/Lawrence Berkeley National Laboratory, Oak Ridge, TN/Berkeley
- Pew Center on global climate change. Climate change activites in the U.S, 2004, Update Washington, DC. Mach 2004
- Transportation Research Board. Effectiveness and impact of corporate average fuel economy (Café) Standards, Washington, D.C, 2002
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2004-11/etats-unis-des-«pionniers»-montrent-l-exemple.html?item_id=2587
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