Quelles ressources mondiales pour quelles consommations ?
Le monde dispose de ressources énergétiques abondantes. Les
ressources fossiles – gaz, charbon, pétrole – pourraient permettre
plusieurs siècles de consommation au rythme actuel, et les flux annuels
d’énergies renouvelables – solaire, biomasse, éolien... – sont
incommensurablement plus élevés que tous les besoins annuels réunis. Il
n’y a donc pas menace de pénurie, du moins au sens physique du terme, ni
aujourd’hui, ni demain, ni dans les siècles à venir.
Pour autant, des soubresauts et des interrogations agitent périodiquement le monde de l’énergie. Car ce n’est pas tant l’existence des ressources qui pose problème, que le rythme auquel ces ressources peuvent être mobilisées par rapport au rythme d’évolution des besoins. C’est un problème d’investissement et de financement, mais aussi un problème géopolitique. D’un côté, une activité industrielle avec des besoins en capitaux énormes, de l’autre, de fortes inégalités dans la localisation des ressources et dans les besoins.
Plus fondamentalement, se pose la question de la compatibilité des ressources mobilisées avec ce que peut supporter notre environnement naturel : pluies acides hier, effet de serre aujourd’hui, jusqu’où peut-on exploiter les ressources fossiles sans opérer de dégradations irréversibles de la planète ?
Précisons d’abord de quoi on parle. Les ressources d’énergies fossiles, c’est ce qui est en terre. Une partie seulement de ces ressources est connue grâce aux sondages et aux forages. Une autre partie est estimée par les géologues sur la base de leur connaissance des structures géologiques, et assortie de probabilités : plus la probabilité est forte, plus les ressources additionnelles estimées sont faibles. La somme des deux formes constitue ce que l’on appelle les ressources probables. à cela, les géologues ajoutent généralement une estimation hautement spéculative des ressources ultimes.
Les réserves correspondent à la partie des ressources que l’on sait pouvoir extraire de terre compte tenu de la technologie et des coûts d’extraction, et des possibilités de valorisation sur le marché.
C’est une réalité fluctuante : les estimations des réserves sont régulièrement actualisées pour tenir compte de l’évolution des prix sur les marchés internationaux, mais aussi de la baisse des coûts d’extraction et de l’augmentation du taux de récupération des ressources grâceà la technologie. Ainsi, la plus grosse partie de l’augmentation des réserves de pétrole constatée ces dernières années est à mettre au compte du progrès des techniques d’extraction, et non à des découvertes nouvelles de gisements pétroliers.
Le pétrole, une énergie mature
Le pétrole est la première énergie fossile consommée dans le monde. énergie quasi exclusive des transports et de la chimie organique, le pétrole est hautement stratégique. C’est aussi une énergie dont les ressources sont très inégalement réparties : 67 % des réserves prouvées et 24 % de la production mondiale sont dans le golfe Persique, zone de faible consommation et fort troublée par les temps qui courent, alors que plus de la moitié de la consommation est en Amérique du Nord, en Europe de l’Ouest et au Japon.
Les réserves prouvées de pétrole conventionnel sont estimées fin 2003 à 170 milliards de tonnes, pour des réserves totales de 280 Gt avec une probabilité de 50 %1, et des réserves ultimes de 470 Gt. Il faut ajouter à cela les ressources de pétrole non-conventionnel – pétroles extra-lourds, sables asphaltiques, schistes bitumineux – dont les réserves ultimes sont évaluées à 260 Gt.
On a extrait en 2003 près de 3,7 Gt de pétrole dans le monde, l’Opep assurant près de 40 % de cette production.
Le gaz naturel en plein essor
Le gaz naturel est une énergie moins utilisée que le pétrole, mais en plein développement. Les ressources gazières sont distribuées de façon un peu plus équitable que celles de pétrole, la Russie et le golfe Persique détenant quand même à deux 70 % des 180 000 milliards de m3 de réserves prouvées.
La géologie veut que plus on s’enfonce dans la terre, plus on a de chance de trouver du gaz. Cette observation, jointe au fait qu’il existe aussi des ressources colossales de gaz naturel non-conventionnel sous forme d’hydrates au fond des océans, rend l’estimation des réserves ultimes très incertaine. Ceci étant, l’utilisation du gaz naturel pose des problèmes particuliers qui limitent l’intérêt économique de son extraction : sa faible densité énergétique (en MJ/m3) rend son transport très coûteux, et les possibilités de le stocker sont limitées.
On a extrait en 2003 l’équivalent de 2,2 milliards de tonnes de pétrole (2,2 Gtep) de gaz naturel dans le monde. L’Amérique du Nord et la CEI2 sont en 2003 les deux premières régions de production de gaz, avec chacune 28 % de la production mondiale.
Le charbon, une ressource fossile pléthorique
Le charbon est la deuxième énergie consommée dans le monde après le pétrole. Ses ressources sont considérables (15 000 milliards de tonnes en ressources ultimes), et les réserves prouvées (800 milliards de tonnes) équivalentes à deux siècles de consommation au rythme actuel. Le charbon est présent un peu partout sur la Terre, mais dans des configurations géologiques très diverses, avec des qualités énergétiques et des coûts d’extraction très inégaux : très faibles dans les mines à ciel ouvert d’Australie ou des états-Unis, très élevés dans les mines profondes d’Europe de l’Ouest. La Chine tient une place à part sur la scène charbonnière : elle produit et consomme 32 % du charbon mondial (2003) et détient 12 % des réserves prouvées.
On a extrait en 2003 2,6 Gtep de charbon dans le monde, dont 920 Mtep en Chine, 540 Mtep aux états-Unis, 190 Mtep en Australie, 190 Mtep en Russie et 175 Mtep en Inde.
Les renouvelables : un potentiel considérable où tout est à faire
Parmi les énergies renouvelables, la biomasse tient une place particulière. C’est une énergie encore très largement utilisée dans le monde (1,1 Gtep en 2003), surtout dans les pays du tiers-monde où c’est souvent l’énergie principale. Le rythme de renouvellement est inégal selon les types de biomasse. Il est assez long, au minimum une dizaine d’années, souvent beaucoup plus, pour la biomasse forestière, ce qui conduit à des phénomènes de déboisement et d’érosion des sols dans les régions où les besoins sont trop élevés.
L’énergie solaire est certainement l’énergie la plus utilisée « naturellement » à la surface du globe. Toutefois, sa transformation en électricité ou en chaleur stockable reste marginale, quand bien même les apports énergétiques du rayonnement solaire sont considérablement plus élevés que tous les besoins de la planète. C’est là essentiellement un problème d’adéquation géographique et temporelle du rayonnement solaire et des besoins, et un problème de coût.
L’énergie éolienne, utilisée depuis l’Antiquité, retrouve aujourd’hui un fort regain d’intérêt grâce à la maîtrise des grandes éoliennes pour la production d’électricité à des conditions compétitives. Forme dérivée de l’énergie solaire, elle n’en a toutefois pas l’abondance, et son intérêt est assez localisé géographiquement.
Autre forme dérivée du solaire, l’énergie hydraulique est également abondante dans certaines parties du monde (2 630 TWh de production en 2003 pour une production mondiale d’électricité de 16 000 TWh, 7 000 TWh de réserves prouvées, 33 000 TWh de réserves théoriques), mais quasiment inexistante dans beaucoup d’autres. Son potentiel est très largement exploité dans les pays industriels.
Un monde assoiffé d’énergie, où l’excès côtoie l’indigence
Le monde a consommé 10,5 Gtep en 2003. Les énergies fossiles contribuent pour 80% à cette consommation totale, et les énergies renouvelables pour 20 %. Près d’un tiers de l’énergie fossile consommée sert à produire de l’électricité, le reste allant aux transports (22 %), au système productif (39 %) et à l’habitat (9 %).
La consommation d’énergie fait l’objet de disparités considérables dans le monde. Les pays industriels (OCDE et CEI), qui ne représentent que 23 % de la population mondiale, consomment 61 % de toute l’énergie disponible, et 65 % de l’énergie fossile. Un citoyen nord-américain consomme en moyenne l’équivalent de 7,8 tonnes de pétrole par an (tep/an), contre 0,23 pour un habitant d’Afrique sub-saharienne. Ces disparités proviennent en partie des différences dans les niveaux de production et de richesse, mais reflètent aussi des différences importantes dans les modes de vie et les comportements.
L’électricité, fer de lance de la croissance des consommations
L’électricité est un vecteur énergétique à part. Au cœur de nos sociétés électroniques modernes, elle est aujourd’hui quasiment irremplaçable dans de nombreux usages comme l’éclairage, la force motrice fixe ou la production de froid. Elle s’impose également de façon croissante dans des usages thermiques, où pourtant la concurrence est rude : eau chaude sanitaire, cuisson, fours industriels à haute température, etc.
C’est toutefois une énergie qui apparaît mineure si l’on s’en tient au volume total de consommation (23 % des besoins du système productif, 17 % des besoins des ménages), mais qui pèse lourdement sur les énergies fossiles. La production thermique d’électricité, qui représente 67 % de la production totale d’électricité dans le monde, absorbe en effet 44 % du charbon, 32 % du gaz et 8 % du pétrole consommés. L’électricité est, enfin, l’énergie qui connaît la croissance la plus rapide (+ 33 % de 1993 à 2003).
Le transport, prisonnier du pétrole
Il y a très peu d’électricité dans le transport, limitée pour l’essentiel à la traction ferroviaire. La quasi-totalité de l’énergie consommée par ce secteur (98 %) est en fait du pétrole sous différentes formes : essence, gazole, carburéacteur, fioul lourd. Le transport absorbe à lui tout seul 55 % du pétrole consommé dans le monde. Sa part dans la consommation finale d’énergie du monde avoisine 27 % ; elle monte à 33 % dans les pays industriels de l’OCDE. Le rythme de croissance de sa consommation d’énergie est partout élevé.
L’énergie consommée par le système productif est par essence celle qui accompagne le plus directement le développement économique et industriel. D’un faible volume en termes relatifs avant le décollage industriel, elle peut prendre des proportions considérables avec la pleine expansion des industries lourdes – acier, ciment, pétrochimie, etc. – elle est ensuite relayée par des industries de transformation fine et par le secteur tertiaire, mais dans des proportions beaucoup plus restreintes, et son poids relatif diminue. Globalement, le système productif compte pour 70 % de l’électricité consommée dans le monde en 2003, et 48 % de toute l’énergie finale consommée dans le monde et dans l’OCDE pour la même année. Ce pourcentage atteint 66 % en Corée du Sud, et 57 % au Brésil et en Chine.
L’habitat : un énorme potentiel de croissance pour l’énergie
La consommation d’énergie des ménages est très fortement liée à l’environnement climatique et au niveau de richesse. Faible et presque entièrement basée sur la biomasse dans les pays les plus pauvres (0,2 tep/hab), elle peut atteindre 1 tep/hab dans les pays industriels du Nord, où les besoins de chauffage et de climatisation représentent jusqu’à 70 % des besoins totaux de l’habitat. Globalement, l’habitat absorbe 27 % de l’énergie consommée dans le monde en 2003, la quasi-totalité de la biomasse et 29 % de l’électricité. La consommation de l’habitat est appelée à se développer partout, à des rythmes plus ou moins forts selon les rythmes de croissance économique. Les besoins aujourd’hui non satisfaits liés à la climatisation et à l’hygiène demeurent considérables et concernent près des deux tiers de la planète. Dans les pays industriels, où les usages de base sont satisfaits, ce sont les nouveaux usages de l’électricité, liés aux nouveaux équipements électriques et électroniques, qui progressent le plus rapidement.
Comment éviter le « clash » ?
D’un côté, des besoins immenses non encore satisfaits pour les deux tiers de la planète et une gloutonnerie énergétique débridée dans les pays industriels ; de l’autre, un rythme de développement des ressources qui a du mal à suivre et le caractère « fini » du pétrole : tous les ingrédients sont réunis pour un « clash » majeur dans les années qui viennent.
« Clash » économique sûrement, « clash » environnemental aussi probablement : le surplus d’effet de serre produit par les rejets de CO2 des combustibles fossiles laisse d’ores et déjà présager des catastrophes climatiques.
Peut-on éviter ce « clash » et répondre durablement à la montée des besoins ? Oui, mais à deux conditions :
- faire entrer massivement l’efficacité énergétique dans les comportements et les modes de pensée quotidiens, de façon à dissocier durablement la montée des besoins et la croissance des consommations ;
- basculer progressivement des énergies fossiles aux énergies renouvelables comme énergies de base du système énergétique mondial, pour dissocier les émissions de CO2 de la croissance des consommations d’énergie et relâcher les pressions sur la mobilisation des ressources fossiles.
Dans un cas comme dans l’autre, le libéralisme économique et le marché ne suffiront pas. Seules des politiques volontaristes, coordonnées au niveau international et impliquant tous les acteurs industriels et financiers concernés permettront de relever les défis. Sinon, il y a fort à parier que seuls les plus riches et les plus puissants pourront tirer leur épingle du jeu, confinant une grande partie de l’humanité dans une pauvreté sans issue, et exposant l’ensemble de la planète aux risques du changement climatique.
- Source : United State Geological Services (USGS).
- Communauté d'Etats indépendants, rassemblant douze rpubliques de l'ancienne URSS.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2004-11/quelles-ressources-mondiales-pour-quelles-consommations.html?item_id=2573
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