Jean-Noël LESELLIER

est chargé de mission au comité de liaison des services du Medef et délégué général adjoint du Syndicat des services à la personne

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Des services adaptés aux besoins du quatrième âge

Les effets du vieillissement de la population sur l’économie et plus particulièrement sur les services sont difficiles à évaluer et les marges d’incertitude sont considérables. En effet, nous n’avons aucune référence historique parce que c’est la première fois que notre société est confrontée à cette question. Aucune civilisation n’a connu dans le passé une évolution aussi importante de la durée de vie sur une période aussi courte.

Or, la population senior n’est pas homogène. Il n’y a pas une population senior standard. Celle-ci se décompose en deux catégories principales : d’une part, les seniors actifs et autonomes (retraités ou non) et, d’autre part, les seniors passifs ou dépendants (quasi exclusivement retraités). Le passage d’une catégorie à l’autre se fait progressivement. Les attitudes et comportements, les besoins, notamment de consommation, sont différents selon la catégorie à laquelle on est censé appartenir.

Les deux profils du senior

Les seniors, en général, toutes catégories confondues, ont, de manière dominante, un désir de liberté et sont préoccupés par les questions de sécurité. Ils sont prudents et économes. Leur revenu est en moyenne supérieur de 10 % à celui des ménages actifs au sens économique du mot. Leur patrimoine est supérieur de 40 % à celui des actifs au sens économique du mot. Leurs habitudes de consommation, leurs systèmes de référence, de valeur, de pensée, leurs doutes, leurs certitudes sont définitivement ancrés dans leurs esprits1.

Le senior est actif et autonome, actuellement en moyenne pour les hommes jusqu’à 75 ans et pour les femmes jusqu’à 80 ans. Il voyage, bricole, fait de la musique, garde ses petits-enfants, suit des études, milite dans des associations, entretient sa maison et son jardin, conseille des entreprises ou des associations, fait du sport dans un club, reçoit et visite la famille et les amis, etc. Il a une vie très active et parfois même continue à mener une activité professionnelle, officielle ou occulte, à temps partiel voire très partiel, non pas pour des raisons financières mais parce qu’il « veut rester dans le coup ».

Ce senior a contribué dans les vingt-cinq dernières années à faire éclore un nouveau marché, et un marketing spécialisé dont Jean-Paul Treguer, créateur de Senior Agency, est un des pionniers et un fervent zélateur. Ainsi, de nouveaux produits sont apparus (assurance dépendance, complémentaire santé...) ou des produits connus sont vendus avec des argumentaires adaptés à la population des seniors : solidité, ancienneté, économie.

La croissance de cette population de seniors autonomes et solvables a contribué et va continuer à contribuer à la croissance de secteurs comme les voyages, les salles de sports, l’amélioration du confort des habitations, le bricolage, les loisirs culturels et la part prise par cette clientèle dans le chiffre d’affaires de ces secteurs va croître dans les années qui viennent.

La problématique est différente pour ceux que nous avons appelé les seniors passifs ou dépendants et qui sont classés dans une catégorie couramment dénommée : le quatrième âge ou le grand âge.

La forme physique est moins bonne, la mémoire devient capricieuse et pour nombre d’entre eux la dépendance s’installe. Il n’est plus possible de faire son jardin, ses courses, son ménage, sa toilette, préparer ou prendre ses repas, voire se déplacer seul, s’occuper de ses animaux domestiques, effectuer des petits travaux, se coiffer, etc.

Des services ouverts aux entreprises

C’est pour cette population-là et pour répondre à ses besoins qu’ont commencé à se développer et vont se développer considérablement des services adaptés2. Ces activités qui étaient, jusqu’à la loi du 29 janvier 1996, quasi exclusivement exercées par des structures associatives ou des Centres communaux d’action sociale (CCAS), sont maintenant ouvertes aux entreprises.

La présence des CCAS et des associations s’explique historiquement. Elles se situaient dans la sphère de l’entraide sociale, les personnes âgées dépendantes ne disposant pas toujours jusqu’à récemment de pensions de retraite pouvant être considérées comme décentes. En effet, du fait de la généralisation des régimes de retraite, notamment complémentaires, du développement du travail féminin et de la place prise par les pensions de réversion, le quatrième âge dispose aujourd’hui, pour une part croissante, de revenus le rendant autonome dans ses choix de vie pour rester au domicile ou s’installer dans une structure adaptée.

Mais, lorsqu’une personne n’a pas la possibilité de se payer, avec ses propres ressources, les services nécessaires pour sa vie quotidienne, n’est-il pas plus respectueux de la liberté et de la dignité d’autrui de lui donner les moyens de se procurer les services indispensables plutôt que de lui fournir ou lui imposer une assistance subventionnée ?

C’est dans ce sens que la réglementation est en train d’évoluer, en remplaçant la subvention à l’offre par la solvabilisation de la demande. La mise en place récente de l’APA (Allocation personnalisée autonomie) et la réforme du mode de financement des établissements pour personnes âgées en sont des illustrations. Mais cette évolution ne se fait pas sans heurt, car elle remet en cause une certaine conception de l’action sociale. Cette dernière est, en effet, fortement marquée par un certain paternalisme, issu lui-même des pratiques « charitables » qui trouvent leurs sources dans une interprétation étrangère aux valeurs judéo-chrétiennes sur lesquelles la société française repose pour partie et pourtant auxquelles l’action sociale se réfère implicitement.

Solvabilisation de la demande

Ainsi, le législateur a créé un outil destiné à faciliter l’utilisation de ces services en solvabilisant la demande. Cet outil, le « titre emploi service », qui sert à payer une prestation de service, fonctionne sur le même schéma que le titre restaurant. Il ne doit pas être confondu avec le chèque emploi service qui sert à payer un salarié à domicile. Cet outil pourrait être généralisé et utilisé pour solvabiliser la demande.

Depuis 1996, près de 250 entreprises se sont créées et interviennent au domicile dans ces domaines, parallèlement à 2000 CCAS et 5000 associations. Ces entreprises, qui ne couvrent pas encore tout le territoire, et ne peuvent donc répondre à la totalité de la demande qui est considérable (elle a été évaluée par le Credoc à plus de 300 000 emplois), se heurtent à deux types de problèmes : d’une part, une inégalité de traitement avec les associations et les CCAS et, d’autre part, des difficultés pour trouver et former le personnel adéquat.

On peut se demander pourquoi les entreprises ne pourraient pas faire bénéficier directement leurs clients âgés de plus de 70 ans de la réduction des charges sociales dont bénéficient les clients des associations, ou encore pourquoi elles ne pourraient pas exercer des activités dans un cadre mandataire.

Les structures proposant des services au domicile, tant les entreprises que les associations et les CCAS, ont des difficultés de recrutement parce qu’il n’existe pas, sur le marché du travail, le personnel qualifié dont elles ont besoin. Cette pénurie de main-d’œuvre est la conséquence directe, d’une part du manque d’attirance du secteur qui a gardé dans l’opinion publique une image de domesticité et de travail non professionnel, d’autre part de l’absence d’une filière complète dans le dispositif de formation initiale.

Il existe aussi un besoin en structures collectives. Il faudra construire, en nombre important, des établissements pour personnes du quatrième âge. Enfin, les recherches sur les appartements intelligents ou les vêtements avec capteurs déboucheront sur de nouvelles facilités de vie pour les personnes dépendantes, ce qui ne manquera pas de créer de nouveaux services et de nouvelles activités.

Bibliographie

  • Vive le Papy Boom, Robert Rochefort, éditions Odile Jacob, septembre 2000
  • Le cœur à l’ouvrage, Jean-Claude Kaufmann, éditions Nathan, juillet 1997
  • Faire ou faire-faire, Jean-Claude Kaufmann, Presses Universitaires de Rennes, 1996
  • Seules, Brigitte Croff, Editions Métailié, 1994
  • Emplois de proximité / Conseil d’analyse économique, La Documentation française, Décembre 1998
  • Le développement des services de proximité, Rapport de J.P Bailly, Conseil économique et social, janvier 1996
  • Rapport au conseil exécutif, CNPF (Medef) G.Drouin et CH.Salmon, Avril 1994
  • Rapport du contrat d’études prospectives de la branche de l’aide à domicile, ministère des Affaires sociales
  • L’emploi des personnes à domicile : étude auprès des utilisateurs et des intervenants, Ircem-Sofres, juillet 2001 et janvier 2002
  • L’emploi dans les services aux ménages / Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail, Office des publications de l’UE à Luxembourg, 2001
  • Guide marketing dans les services à la personne, SESP, septembre 1999
  • Guide de la qualité dans les services à la personne, SESP, septembre 2000
  • Métiers et compétences dans les services à domicile sous la direction de J.N Leselier, SESP, juin 1999
  • La loi de janvier 1996 et les développements des services aux particuliers : bilan 2000, Idap pour la DGEFP, juillet 2001
  1. Voir l’article d’Agnès Rochefort-Turquin et Jean-Yves Ruaux.
  2. Les démographes prévoient que 50 % des femmes nées après 2000 seront centenaires et l’Office européen des statistiques projette que le nombre d’octogénaires passera en France de 1,5 million actuellement à 5 millions en 2040.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2002-11/des-services-adaptes-aux-besoins-du-quatrieme-age.html?item_id=2447
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