était chargée d’études sur le marché du travail dans le département « Emploi et revenus d’activité » de l’Insee lors de la rédaction de cet article*
*Emmanuelle Nauze-Fichet a rejoint récemment le bureau des études statistiques sur l’enseignement scolaire du ministère de l’Education Nationale
Quelles perspectives pour la population active?
A partir de 2006-2008, l’arrivée progressive
à l’âge de 60 ans des générations nombreuses
de l’après-guerre devrait engendrer « toutes choses
égales par ailleurs » un retournement progressif à
la baisse des ressources en main-d’œuvre. Les différents
secteurs économiques sont inégalement exposés à
ce choc démographique, même si le jeu de la concurrence pour
les recrutements futurs reste largement incertain.
Au début de l’année 2002, la France
métropolitaine comptait 26,7 millions d’actifs au sens du
Bureau international du travail, soit 24,3 millions de personnes ayant
un emploi et 2,4 millions de chômeurs. Depuis la fin des années
soixante, la population active s’est accrue de 5 millions de personnes,
au rythme moyen de 150 000 actifs supplémentaires chaque année.
Mais le moteur de cette croissance ininterrompue, la forte augmentation
de la population de 20 à 59 ans, est aujourd’hui en voie d’essoufflement
du fait du vieillissement démographique.
Un retournement progressif à la baisse
de la population active
Alors que les premières générations
nombreuses de l’après-guerre ont déjà fêté
leur 55e anniversaire, la croissance de la population active devrait commencer
à ralentir. A l’horizon 2006, selon un scénario tendanciel,
la population active pourrait encore augmenter de 200 à 300 milliers
de personnes, à un rythme ralenti par rapport à la décennie
précédente. Son effectif culminerait alors à près
de 27 millions.
A partir de 2006-2008, l’arrivée à
l’âge de 60 ans des premières générations
nombreuses de l’après-guerre devrait inverser la tendance.
Le nombre d’actifs devrait diminuer, de manière modérée
d’abord, moins de 30 000 par an au cours des années 2006 à
2010. Le rythme de réduction deviendrait ensuite plus rapide au
fur et à mesure du vieillissement de la population, pour atteindre
80 000 personnes par an vers 2025.
A l’horizon 2020, la baisse cumulée serait
de 750 000 actifs par rapport au maximum atteint. En 2050, elle pourrait
atteindre 2,8 millions de personnes, la population active retrouvant alors
son niveau du début des années quatre-vingt (Nauze-Fichet
et Lerais, 2002).
Population active observée et projetée (scénario tendanciel) en milliers
Projections de population active 2001-2050, Insee – Dares
Ces chiffres ne décrivent que l’un des avenirs
possibles, à conjoncture et législation inchangées,
et dans l’hypothèse où les grandes tendances observées
dans le passé se poursuivraient à l’avenir. Ce scénario
tendanciel suppose ainsi que la fécondité se maintient à
son niveau moyen des vingt dernières années, soit 1,8 enfant
par femme, et que l’espérance de vie continue à augmenter.
L’apport migratoire annuel est supposé stable à 50
000 personnes, solde moyen au cours des années récentes.
Le scénario suppose également que les taux d’activité
se stabiliseraient rapidement pour toutes les catégories de population,
sauf pour les femmes de 45 à 60 ans et pour les hommes et femmes
de 60 à 64 ans. Pour les premières, le développement
de l’activité féminine jusqu’aux générations
nées vers le milieu des années soixante permet d’anticiper
que les taux d’activité augmenteront encore sensiblement après
45 ans. Pour les 60-64 ans, l’impact de la réforme des retraites
de 1993 devrait augmenter tout au long de la période de projection,
compte tenu des modifications structurelles dans les profils de carrière
(tendance passée à l’augmentation de l’âge
d’entrée dans la vie active).
D’autres hypothèses peuvent être envisagées.
Ainsi, la baisse de la population active pourrait être retardée
et atténuée par une remontée de l’activité
pour les catégories pour lesquelles certaines marges existent :
les femmes, les plus âgés et peut-être les plus jeunes.
Variantes hautes de projection
de la population active (*)
(en milliers de personnes)
|
Scénario tendanciel |
2001
26 426
|
2006
26 895
|
2011
26 751
|
2020
26 141
|
2050
24 095
|
Ecarts au scénario « tendanciel » (actifs supplémentaires, en milliers)
|
Variantes démographiques
Fécondité haute
(2,1 enf./femme)
|
-
|
|
-
|
|
-
|
|
-
|
|
2097
|
Solde migratoire
(100 000/an)
|
|
-
|
|
102
|
|
253
|
|
542
|
|
1372
|
|
Variantes d’activité
Chômage à 5 %
|
|
-
|
|
250
|
|
399
|
|
410
|
|
385
|
Activité féminine haute
|
|
-
|
|
19
|
|
67
|
|
221
|
|
546
|
|
(*) Les variantes démographiques
basses ont un impact symétrique à la baisse.
En matière d’activité, les scénarios hauts
ont été privilégiés dans l’optique
de comparaison et parce que les aléas portent a priori surtout
à la hausse.
Source : Projections de population active 2001-2050, Insee - Dares.
|
Une amélioration du contexte économique
pourrait y contribuer, ainsi qu’un cadre institutionnel plus incitatif.
Un niveau d’immigration différent aurait un effet immédiat
sur l’évolution de la population active, alors qu’une
remontée ou une baisse de la fécondité modifierait
les perspectives au-delà de 2020. A l’horizon des vingt prochaines
années, toutefois, le poids de la démographie passée
devrait jouer largement, les générations susceptibles de
participer au marché du travail étant pour l’essentiel
déjà nées.
Des secteurs économiques diversement
exposés
au choc démographique
Les contraintes futures sur les ressources globales en
main-d’œuvre laissent présager une concurrence accrue
entre les secteurs économiques au niveau des recrutements. Les
besoins spécifiques de chaque secteur dépendront bien sûr
de la demande économique ou sociale plus ou moins forte qui s’adressera
à eux. Ils dépendront également de l’ampleur
variable des départs en retraite attendus, en fonction de l’historique
des recrutements passés, des âges usuels de retraite et des
pratiques de recours aux cessations anticipées d’activité.
En première approche, dans l’optique simple d’un renouvellement
de la main-d’œuvre, on peut apprécier à moyen
terme comment les secteurs économiques seront diversement exposés
au choc démographique. Deux paramètres clés informent
sur ce degré d’exposition : la pyramide des âges des
emplois, caractérisée notamment par la part des 50 ans et
plus, et l’âge moyen de cessation d’activité.
La part des 50 ans et plus dans l’emploi des différents
secteurs économiques constitue un premier indicateur sur l’importance
des départs futurs en retraite au cours de la décennie à
venir. De l’ordre d’un quart en moyenne en 2002, cette part
s’est accrue de plus de trois points en cinq ans, les premières
générations du baby boom ayant atteint la cinquantaine.
Les secteurs qui ressortent comme les plus âgés sont bien
sûr l’agriculture, mais également les activités
immobilières et financières (banques et assurances) et le
secteur de l’éducation, de la santé et de l’action
sociale. A l’inverse, les secteurs les plus jeunes sont les services
aux entreprises, les industries agricoles, le commerce, la réparation
et le secteur des transports. La construction se situe plutôt dans
la moyenne.
Au sein des secteurs, la part des seniors varie sensiblement
en fonction des catégories professionnelles. Elle est logiquement
plus élevée pour les métiers les plus qualifiés
ou pour les professions indépendantes, auxquelles on accède
respectivement, en moyenne, plus tardivement (après des études
plus longues ou au terme d’un parcours professionnel préalable).
Egalement, la pyramide des âges est plus particulièrement
vieillissante dans des secteurs et professions qui ont été
marqués par une vague de recrutements massifs, dans les années
1970, suivie d’un ralentissement des embauches dans les années
1980 à 1990 (Topiol, 2001). C’est le cas notamment des secteurs
de l’administration et des banques, des professions d’enseignants,
chercheurs et cadres de la fonction publique. A l’inverse, les secteurs
et professions de l’informatique sont plus jeunes, ayant bénéficié
de recrutements importants dans les années récentes.
Au-delà des paramètres de structure par
âge, la sensibilité d’un secteur au choc démographique
dépendra également des usages en matière de cessation
d’activité pour les diverses professions concernées.
L’analyse des transitions entre emploi et préretraite ou retraite
met ainsi en évidence d’importantes disparités selon
les catégories de professions.
Si l’âge moyen de transition entre emploi
et préretraite ou retraite est de 58 ans, il peut varier de moins
de 55 ans dans certains métiers aux statuts spécifiques
(police, armée, professions des transports…) à plus
de 59 ans pour les non salariés et professions libérales
(agriculteurs, médecins, avocats, dirigeants d’entreprise…).
Dans le domaine de la construction, les âges moyens de départ
en préretraite ou retraite s’étagent de 55 ans pour
les ouvriers qualifiés des travaux publics, du béton et
de l’extraction à 59 ans pour les cadres du Bâtiment
et des Travaux publics (Topiol, 2001).
Les différentes caractéristiques sectorielles
permettent d’anticiper en partie les flux de départs en retraite,
qui devraient fortement s’accélérer après 2005
: en moyenne sur dix ans, ils pourraient représenter au total chaque
année 2,2% de l’emploi du tertiaire marchand, 2,4% de l’emploi
dans la construction ou l’industrie, 2,7% dans l’administration
(CGP, 2002).
Ces ordres de grandeur ne sauraient malgré tout
suffire à apprécier le degré des difficultés
de recrutement auxquelles seront confrontés les secteurs. En effet,
dans un contexte de concurrence entre secteurs que l’on pressent
comme susceptible de se durcir, les phénomènes de mobilité
ne peuvent être négligés. Sur ce plan, d’ailleurs,
le caractère relativement « jeune » de certains secteurs
d’activité peut être trompeur, masquant dans certains
cas des difficultés à fidéliser la main-d’œuvre
(problèmes de « turn over » liés aux difficultés
de certaines conditions de travail). Ainsi, la capacité future
des différents secteurs à faire face aux contraintes sur
la main-d’œuvre reste en partie indéterminée,
dépendant à la fois de leurs aptitudes à attirer,
former et fidéliser les actifs potentiels.
Bibliographie
- Effets démographiques sur l’offre en métiers et qualifications, rapport du Commissariat général au plan, La Documentation Française, octobre 2002
- Projections de population active : un retournement progressif, E.Nauze-Fichet et F.lerais, Insee Première, n°838, mars 2002
- L’évolution des sorties d’emploi vers la retraite et la pré-retraite : une approche par métiers, A.Topiol, Document de travail de la Dares, n°48, juillet 2001
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2002-11/quelles-perspectives-pour-la-population-active.html?item_id=2437
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